Polémique salafistes-Ahmed Assid: 4 clés pour comprendre

  La société marocaine s’achemine-t-elle vers une polarisation entre laïcs et islamistes à l’instar de ce que l’on voit dans plusieurs autres pays musulmans ? L’escalade verbale dans le cadre de la polémique entre Ahmed Assid et plusieurs leaders salafistes l’a laissé craindre. Voici un point sur la situation et les clés pour comprendre.  

Polémique salafistes-Ahmed Assid: 4 clés pour comprendre

Le 2 mai 2013 à 18h48

Modifié 27 avril 2021 à 22h17

  La société marocaine s’achemine-t-elle vers une polarisation entre laïcs et islamistes à l’instar de ce que l’on voit dans plusieurs autres pays musulmans ? L’escalade verbale dans le cadre de la polémique entre Ahmed Assid et plusieurs leaders salafistes l’a laissé craindre. Voici un point sur la situation et les clés pour comprendre.  

1. LES FAITS

L’origine de l’affaire remonte au 19 avril 2013. S’exprimant dans le cadre d’une rencontre organisée par l’AMDH, Ahmed Assid a parlé du Maroc et de la nécessité de concilier l’enseignement avec les valeurs universelles de droits humains. Il a donné l’exemple de la manière dont une lettre adressée par le Prophète aux dirigeants de l’époque, est enseignée. Cette manière est selon lui, est inadaptée au contexte actuel puisque cette lettre qui comportait un ultimatum est enseignée comme un haut fait d’armes, voire érigée en exemple. (vidéo ici, attention le son est mauvais).

L’affaire prend très vite de l’ampleur.

Sur Facebook (voir fac-similé ci après), des journaux, sur le web, dans trois mosquées, sur les pages des leaders salafistes, Assid est pris à partie, sommé de se repentir, désigné à la vindicte générale, traité d’ennemi de Dieu… autrement dit excommunié. Les propos de l’intellectuel sont incontestablement déformés, par le biais de sophismes bien connus. A travers lui, ce sont bien tous les laïcs, ainsi que les démocrates qui sont visés, car la plupart des courants salafistes et ils ne s’en cachent pas, considèrent que la démocratie est une hérésie occidentale et qu’en aucun cas la souveraineté ne doit aller au peuple.

300 associations jusqu’à présent se déclarent solidaires de Ahmed Assid, des pétitions sont lancées et un comité de soutien est créé. Une page Facebook est créée pour l’occasion.

 

2. UN COMMENTAIRE DE HASSAN AOURID.

Dans une tribune publiée par le quotidien al massae, ce mercredi 1er mai, l’intellectuel Hassan Aourid, appelle à la « sagesse » pour éviter « la discorde ».

La démonstration de Hassan Aourid est la suivante :

« -La société risque d’être entraînée dans une spirale de violence verbale, qui est dangereuse et qui nous éloigne des questions les plus importantes, en un moment sensible et décisif de notre histoire.

« -Les sociétés modernes sont construites sur la liberté de pensée et la liberté d’opinion ; tant que cela ne viole pas la loi, ni l’ordre public.

« -Chaque société est cimentée par sa propre notion d’ordre public ; on ne peut, sous le prétexte d’une liberté individuelle, troubler l’ordre public ; cet ordre public ne peut être isolé du contexte culturel, des valeurs, sentiments, croyances, convictions, même s’il ne s’agissait que de mythes fondateurs ; les composantes de la société, culturelles, ethniques, minoritaires ou pas, méritent le plus total respect.

« -Dans toute société avancée, l’histoire montre que les relations entre le sentiment religieux et les réalités scientifiques, ne sont pas toujours aisées, ont conduit à des tensions, des batailles, politiques ou autres, pour arriver à un modèle de coexistence. Grâce à la révolution digitale, ou à cause d’elle, ces différents tiraillements se font désormais au grand jour

« -Les différends doivent être résolus par le dialogue, en aucun cas par la violence, quel que soit le type de violence, symbolique, verbal, ou autre…

« -Ahmed Assid doit présenter des excuses pour la mauvaise interprétation à laquelle ses propos ont donné lieu.

« Recourir à la justice ne règlera pas le problème. Un procès peut conduire à un schisme, une cassure, une internationalisation de l’affaire avec des arrières-pensées.

« De même, les appels implicites au meurtre et/ou à repentance, ne sont pas recevables. »

En fait, l’auteur renvoie les protagonistes dos à dos.

« Les erreurs dans l’expression, l’exagération dans la prise de parole, dans l’expression d’une opinion, ne peuvent en aucun cas justifier les appels au meurtre ».

 

3. LES EXPLICATIONS DE AHMED ASSID.

Nous avons posé à Ahmed Assid quelques questions par téléphone :

-Qu’avez-vous dit au juste ?

-J’étais dans un colloque organisé par l’AMDH et je parlais des valeurs. Le thème choisi était les valeurs, les droits humains. Je parlais des valeurs dans le système éducatif national. J’ai expliqué qu’en fait, on a intégré dans ce système, des valeurs contradictoires. Ce qui n’est pas compatible avec les objectifs de la pédagogie moderne.

J’ai donné un exemple avec la violence. On explique la religion comme étant une religion de paix et de tolérance et en même temps, on met une lettre du Prophète qui appelle les autres rois de son temps à se convertir à l’islam, avec une menace. J’ai dit : si on prend cette lettre dans son contexte historique, il n’y a pas de problème ; mais si quelqu’un l’écrit aujourd’hui, c’est une lettre terroriste. Et ça a été considéré par les salafistes comme une insulte au Prophète et on m’accuse d’avoir dit que le Prophète est terroriste. C’est une interprétation fausse… on a même utilisé les mosquées contre moi.

-Le chef du gouvernement a estimé que vos propos sont inacceptables…

-Le chef du gouvernement devait être neutre et ne pas adopter l’interprétation exagérée de cette tendance salafiste. Je n’ai jamais dit que le Prophète est terroriste. Cette lettre, dans son contexte historique, ne pose pas de problème. Et dans ce contexte historique, il y a le Prophète. Donc, j’ai écarté le Prophète. J’ai dit que si cette lettre était faite aujourd’hui, on va la considérer comme une lettre terroriste.

Je considère que si M. Benkirane adopte l’interprétation des salafistes, c’est parce qu’ils ont voté pour son parti au cours des dernières élections, il veut les garder avec lui, sacrifier la vérité. Il a été un peu pragmatique, et d’un autre côté, il oublie son rôle de chef du gouvernement qui est de maintenir la stabilité dans le pays. Il veut cacher aussi l’échec du gouvernement, les problèmes économiques et sociaux qu’il n’arrive pas à affronter.

-Pensez-vous recourir à la loi, poursuivre les trois imams qui vous ont consacré des prêches?…

-Non, je participe au débat public, rationnel, je ne pense pas…

-Dans la rue, on vous reconnaît, on vous parle ??

-Les gens me reconnaissent, me saluent, me disent qu’ils sont solidaires…

-En parlant de vous, on répète souvent que vous êtes un militant amazigh. Alors que si l’on suit votre raisonnement, on est dans une problématique de citoyenneté…

-Oui , je suis un intellectuel et professeur de philosophie.

Ce n’est pas un problème entre les amazighs et les islamistes, mais entre les modernistes, les gens qui croient en la démocratie et les autres.

-Quel est le fonds de votre pensée par rapport à la place de la religion dans la société et les institutions ?

-il faut absolument laïciser, progressivement, séparer l’Etat de la religion,  pour arriver à l’Etat de droit, garantir les libertés, l’égalité et la justice.

Utiliser, instrumentaliser la religion dans le domaine politique, n’a fait qu’approfondir le despotisme et toutes sortes de comportements qui ne respectent pas la loi ni les droits humains.

Je considère que cette séparation de l’Etat et de la religion a toujours existé dans les coutumes amazighs, ça fait partie de nos coutumes ancestrales. Dans les régions, les communautés amazighs pratiquaient la séparation, la jemaa (ndlr : assemblée de notables) dirigeait la tribu, mais l’imam restait dans la mosquée, il n’était jamais membre de cette assemblée. C’est une sorte de sécularisme ; il nous faut une laïcité à la marocaine, d’une part construite sur les valeurs universelles, et d’autre part sur nos coutumes ancestrales.

Notre société doit se concilier avec les valeurs universelles, ce qui suppose une relecture de la religion. Je n’ai jamais insulté ni le Prophète ni Dieu, je n’ai jamais dit qu’il faut rompre avec la religion. Mais je dis que le problème, c’est qu’il y a une interprétation, une lecture salafiste, passéiste, qui règne, qui ne peut pas régler les problèmes d’aujourd’hui. Il faudrait une relecture, qui doit être basée sur une nouvelle méthodologie, qui n’est pas celle des anciens clercs, et qui prend en considération les sciences d’aujourd’hui et la nouvelle situation de l’être humain et des sociétés modernes.

Le fiqh, la jurisprudence musulmane, est une lecture du coran. A travers le fiqh, il y a eu des lectures dont chacune est liée à un contexte. Aujourd’hui, les salafistes essaient de présenter les mêmes lectures que par le passé, comme s’il n’y avait pas eu de changement, comme si on n’avait jamais connu l’Etat moderne, ni les droits humains, c’est impossible. Il faudrait un nouveau fiqh pour aujourd’hui.

-Que pensez-vous de l’idée qui prône un compromis historique entre laïcs et islamistes pour éviter la polarisation de la société?

-Si les islamistes peuvent s’adapter au nouveau contexte historique et aux exigences de la démocratie, ce serait une bonne chose. Mais il faudrait le démontrer par une nouvelle pensée islamiste. Ce qu’ils présentent aujourd’hui n’est pas un signe qu’ils acceptent la démocratie. Au contraire, les islamistes, que cela soit au Maroc, en Tunisie ou en Egypte, essaient de réduire la démocratie au vote.

Mais ils ne prennent pas en considération que la démocratie, c’est avant tout des valeurs, le respect de l’autre. En fait, ils veulent imposer à toute la société un mode de religiosité à travers les lois, il faudrait qu’ils montrent dans leur pensée, leurs actes, qu’ils ont bien changé. Jusqu’à présent, il n’y pas encore de signe positif.

 

4. QUE FAUT-IL EN PENSER?

Ahmed Assid ne dit rien de nouveau. Des penseurs bien connus de la sphère arabe ou musulmane l’ont précédé dans la même voie.

Les idées fondamentales sont les suivantes :

-la charia est une construction humaine, elle n’est pas un message divin ; le message divin, c’est le Coran. Son interprétation par des hommes est datée, elle a eu lieu dans des contextes historiques et géographiques donnés et elle est dépassée. Depuis le 3ème siècle après la mort du Prophète, la jurisprudence s’est presque figée et les oulémas paraphrasent les mêmes textes. La clôture de l’ijtihad (exégèse ou interprétation) a été décrétée. Les sociétés sont restées figées.

-il y a une historicité (partielle et relative) qui ne doit pas être occultée. Elle a été traitée par plusieurs chercheurs.

-la nécessaire conciliation entre droits humains universels et religion. Plusieurs chercheurs renommés comme Yadh Ben Achour avancent l’idée que l’islam a été un précurseur en droits humains et que le Coran comporte les éléments essentiels, d’une grande générosité, qui sont les fondements des droits universels tels que nous les connaissons aujourd’hui, bien avant la déclaration universelle des droits de l’Homme.

-que la notion de charia, telle qu’elle est comprise par les courants salafistes, est incompatible avec les éléments constitutifs d’un Etat de droit.

Ce que dit Ahmed Assid s’inscrit dans la droite ligne des réflexions de nombreux chercheurs. Il devrait avoir le droit d’exprimer sa pensée sans être traité d’ennemi de Dieu, ce qui équivaut à une excommunication.

Ahmed Assid se livre volontiers à l’exercice appelé à tort controverse ; il s’agit en fait de débats publics sur les sujets liés à la religion, prenant parfois un tour caricatural, comme récemment avec le fqih Zemzemi. De plus, il a eu le tort d’accepter d’être catalogué intellectuel et militant amazigh alors que sur le terrain où il se place, celui de l’universalité, son amazighité est une information secondaire.

Car le danger n’est pas seulement celui de la violence verbale ou symbolique, voire la violence tout court ; c’est aussi celui de l’ethnicisation.

De son côté, Hassan Aourid ne prend pas de risques dans son texte. Le passage où il suggère à Ahmed Assid de s’excuser pour l’interprétation qui a pu être faite de ses propos, est étrange. S’excuse-t-on de ce qu’on n’a pas fait ? De même, s’il invoque à raison la notion d’ordre public, il ne faut pas non plus oublier que cette notion a été le recours de nombreux systèmes autoritaires ou dictatoriaux pour museler les libertés.
 

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