Maghreb Steel : le pour ou le contre

Faut-il sauver Maghreb Steel ? et si oui, comment ? En d’autres termes, la collectivité doit-elle, sous une forme ou une autre, s’engager dans le sauvetage d’un investissement privé ? Le pour et le contre, en attendant la décision du gouvernement.  

Maghreb Steel : le pour ou le contre

Le 30 septembre 2013 à 17h32

Modifié 11 avril 2021 à 2h35

Faut-il sauver Maghreb Steel ? et si oui, comment ? En d’autres termes, la collectivité doit-elle, sous une forme ou une autre, s’engager dans le sauvetage d’un investissement privé ? Le pour et le contre, en attendant la décision du gouvernement.  

La question se pose de nouveau, car Maghreb Steel est en difficulté et ne s’en cache pas. L’entreprise vient de prendre l’opinion publique à témoin, car l’été a été difficile et elle vient de licencier 350 salariés.

Les faits :

- Maghreb Steel est le plus gros investissement privé jamais réalisé au Maroc, selon ses promoteurs. Selon nous, l’un des plus gros. 5,7 milliards de DH, financés en grande partie par un consortium composé de 6 banques marocaines. Le capital a été porté de 0,9 à 2,4 milliards de DH.

- L’entreprise tourne à 40% de sa capacité.

- Les exportations de l’entreprise ont atteint 150.000 tonnes soit 1,14 milliard de DH de CA en 2012. A plein régime de production, promet la direction dans son communiqué, «ce chiffre pourrait tripler pour avoisiner les 4 milliards de DH». Malgré la crise, le chiffre d’affaires de Maghreb Steel s’est maintenu à 2,7 milliards DH en 2012, dont 43% à l’export, selon la même source.

- L’invasion des produits importés : pour exemple, les importations de tôle galvanisée et de laminé à froid ont augmenté respectivement de 225% et 238% entre 2011 et 2012. Ce qui a engendré pour l’entreprise une perte sur cette période évaluée à 500 millions DH.

- Parallèlement, les bailleurs de fonds ont confirmé leur soutien par la signature début août d’un protocole d’accord engageant les 6 banques regroupées autour d’un consortium.

- Les ventes des mois de juillet et août ont été «catastrophiques» selon Maghreb Steel et on s’attend de même source à ce que «la reprise en septembre ne bénéficie qu’aux importations».

- Une enquête antidumping de la part du ministère du Commerce extérieur a été initiée en janvier 2013 suite à une demande de l’entreprise dès novembre 2012.  Selon Maghreb Steel, qui s’impatiente, «les conclusions de l’enquête confirment le dumping sur les importations provenant des pays de l’Union européenne (UE) et de la Turquie», mais aucune décision n’a été prise.

En avril dernier, une enquête similaire sur les produits longs, a abouti à l’instauration d’une taxe d'un montant de 0,55 DH le kilo, une mesure qui ne concerne pas directement Maghreb Steel.

Maghreb Steel annonce avoir adressé de nombreuses lettres de rappel au ministère du Commerce extérieur, insistant sur le caractère d’urgence des mesures à adopter, sans résultat jusqu’à présent.

- Dans son communiqué, Maghreb Steel prévient : «Si les mesures anti-dumping venaient à tarder, ces licenciements pénibles et douloureux devraient continuer et l’usine connaître des périodes d’arrêt plus ou moins longues, voire un arrêt total de l’activité».

- L’entreprise fait à l’avance porter la responsabilité de ce qui pourrait advenir au gouvernement: «Aujourd’hui, le gouvernement a une responsabilité pour préserver le plus important investissement industriel privé jamais réalisé au Maroc».

Pour ou contre ?

Les arguments en faveur d’une aide de l’Etat à Maghreb Steel sont connus. Il y a une sorte de consensus qui entoure cette question, y compris au niveau de l’Etat.

Le premier argument est d’ordre juridique : si l’accusation de dumping est prouvée, le Maroc a le droit mais aussi l’obligation de protéger son industrie. Cet argument, seul, devrait suffire à protéger Maghreb Steel. Mais les résultats de l’enquête du ministère du Commerce extérieur n’ont toujours pas été rendus publics.

Le second est d’ordre affectif : il faut protéger le made in Morocco, et encourager les industriels marocains à investir.

Le dernier argument est plus discutable. Il s’agit de la nécessité d’avoir une politique d’industrialisation du Maroc, qui aille au-delà du plan Emergence qui se cantonne à des secteurs précis et limités. C’est l’industrie qui crée des emplois, sans elle le Maroc va encore souffrir et très longtemps, du chômage.

La sidérurgie est à la base de toute industrie, à la base de l’industrialisation d’un pays. Non pas par son activité, mais par son produit, qui est la matière première de toute industrie. Lorsqu’on examine les produits industriels, l’on se rend bien compte que la plupart comportent une structure métallique indispensable : vélos, motos, voitures, électroménager, machines outils, outillage divers….

Le raisonnement d’un industriel, c’est que l’acier est une matière première et que son intérêt consiste à l’acheter le moins cher possible, tant que l’accusation de dumping n’est pas prouvée.

Créer des barrières tarifaires, c’est priver nos usines d’une matière première importée à un prix intéressant, nous dit un industriel. «Le prix de l’acier brut a toujours fluctué, ajoute-t-il, on ne peut parler de dumping».

Pour lui, le projet Maghreb Steel, comme toute aciérie, est trop énergivore pour être rentable dans un pays comme le Maroc. «Imposer des droits anti dumping sur les produits concurrents, c’est imposer aux industriels locaux de subventionner Maghreb Steel,» accuse-t-il.

«Lorsque j’exporte, lorsque je soumissionne dans le cadre d’appels d’offres internationaux à OCP par exemple, je suis en concurrence avec des entreprises étrangères qui auront payé l’acier moins cher. Au final, c’est notre industrie qui va payer le prix fort, ainsi que nos exportations. Il n’est pas logique de protéger la matière première sans protéger le produit fini».

Alors, il faut laisser couler Maghreb Steel ? «Pas du tout, Maghreb Steel doit être sauvé. Mais je suis contre les subventions. Si l’Etat met la main à la poche, il est préférable qu’il rachète tout ou partie de l’entreprise.»

Un autre industriel va dans le détail : Les cours de l’acier dans le monde fluctuent avec les cours des matières premières (minerai de fer, charbon, ferraille..) et du prix de l’énergie électrique et bien entendu selon la loi de l’offre et la demande. Il est donc tout à fait normal que les prix des produits sidérurgiques et métallurgiques baissent en ces périodes de récession. Arcelor, poursuit-il, n’a pas hésité à fermer des unités (Hagondange par exemple), malgré les pressions des gouvernements, car elles n’étaient plus rentables.

Une aciérie ne pourra jamais être rentable au Maroc, tranche-t-il, car la ferraille et l’énergie électrique sont les principaux intrants d’une aciérie électrique, à eux seuls, ils constituent 65% du prix de revient de l’acier. Au Maroc, nous ne disposons pas ou très peu de ferraille et notre électricité est l’une des plus chères du bassin méditerranéen.

Ce qu’en dit Maghreb Steel

Nous avons posé ces différentes objections à Othman Benmelih, directeur général de Maghreb Steel, qui répond ci-dessous. Nos lecteurs jugeront.

M24 : Est-il logique de protéger une matière sans protéger tous les produits finis qui l’utilisent? Autrement dit, si nos industriels utilisent l’acier au Maroc qui est plus cher qu’ailleurs, arriveront-ils à vendre leurs produits ?

Othman Benlemlih : Votre question ne se limite pas seulement aux importations d’acier mais peut être généralisée pour tous les produits.

Dans un cadre de mondialisation et quel que soit le produit, on pourra toujours trouver moins cher ailleurs. Du coup, si on en avait les moyens et si on allait au bout de la logique, il est inutile de s’échiner à produire, puisque l’on peut aussi bien consommer du produit importé à moindre coût.

Comme aucun pays ne peut se le permettre, chacun doit mettre en place un cadre économique qui favorise la compétitivité de ses entreprises, pour que celles-ci  puissent remplir leur rôle qui est de créer de l’emploi et de la richesse.

Concernant le domaine de l’acier, il faut bien comprendre que la situation est conjoncturelle et non structurelle. Maghreb Steel durant ses 35 ans d’existence n’a jamais eu besoin de protection. Elle était aussi forte sur son marché intérieur qu’à l’export qui représentait environ 50% de son chiffre d’affaires.

Mais avec la crise mondiale, la sidérurgie a connu de grandes difficultés, notamment en Europe. Les entreprises se sont placées dans une logique de survie et se sont lancées dans des baisses de prix dont le seul but est de maintenir une activité minimum et éviter la fermeture définitive des sites de production.

Ce dumping est d’autant plus néfaste à Maghreb-Steel que nos portes sont grandes ouvertes. Nous sommes l’un des rares pays à respecter à la lettre les accords de libre-échange, ce qui est loin d’être réciproque ! Demandez aux industriels qui tentent d’exporter vers l’Europe, la Turquie ou les Etats-Unis : il existe une multitude de barrières qui rendent très difficile, voire impossible, la vente dans ces pays.

Cette situation est d’ailleurs prévue par les accords de libre-échange. Maghreb-Steel a saisi dans ce sens le Ministère de l’Industrie dès novembre 2012. Celui-ci a diligenté une enquête qui est quasi achevée et semble confirmer les situations de dumping. C’est là que le Gouvernement doit prendre ses responsabilités et prendre des mesures anti-dumping. Il s’agit essentiellement de protections douanières limitées dans le temps et en fonction des écarts de prix constatés dans l’enquête.

Mais ne risque-t-on pas, en protégeant l’acier au Maroc, de pénaliser les industriels locaux qui ne seront plus compétitifs au niveau international, voir national, quand c’est un produit fini qu’on peut éventuellement importer ? En somme, en protégeant Maghreb Steel, ne risque-t-on pas de pénaliser l’industrie marocaine ?

Bien sûr, aucune mesure ne peut plaire à tout à tout le monde! En l’occurrence, les importateurs peuvent se plaindre d’une réduction de leurs marges avec des impacts différents selon les cas (négociants, transformistes…). Mais ces impacts ne sont pas de nature à remettre en cause leur activité.

C’est par contre le cas de Maghreb-Steel, où aujourd’hui les importations dans le secteur ont tellement augmenté qu’elles mettent directement en péril l’avenir de l’entreprise.

C’est au gouvernement de fixer des priorités et de trancher : faut-il prendre des mesures provisoires d’accompagnement pour aider son industrie lourde à passer le cap de la crise, quitte à mécontenter provisoirement quelques-uns… Ou doit-il laisser faire, au risque de mettre en péril un investissement de 6 milliards de DH, qui représente 2.000 emplois et 1,1 milliard de dirhams à l’export en 2012 ?

Ce choix a d’ailleurs déjà été pris au Maroc pour d’autres produits tels que le rond à béton.

Ailleurs, les Etats-Unis n’ont pas hésité, surtout après l’erreur de Lehman-Brothers, à remettre en cause leur politique non-interventionniste: l’Etat n’a pas hésité à aider financièrement General Motors qui était au bord de la faillite.

Aujourd’hui, l’ancien leader mondial de l’automobile se retrouve dans une bonne situation financière et a remboursé sa dette à l’Etat.

Il n’est pas question de mettre en place des mesures de protection définitives, qui auraient pour effets pervers de réduire l’impératif de compétitivité de nos entreprises. En revanche, il est nécessaire que l’Etat prenne des mesures rapides et provisoires quand nos industries sont menacées.

Votre unité de Mohammedia a une capacité de production de 1 million de tonnes alors qu’elle n’en produit que 400.000. Comment expliquer cette surcapacité ?

En l’absence d’intervention au niveau des importations, Maghreb-Steel a dû se résoudre à se séparer en août de 350 employés et sa production tourne au ralenti. D’où le décalage entre la production actuelle et la capacité de production.

La protection est-elle la meilleure solution pour notre industrie ?

En tout cas, le ministère du commerce a ouvert une enquête en appuyant les arguments de Maghreb Steel. On pouvait lire dans son rapport pré-enquête : «A la lumière des renseignements documentés fournis par Maghreb Steel, il est conclu que les allégations, selon lesquelles les tôles en acier laminées à chaud originaire des pays de l’Union Européenne et de la Turquie seraient importées à des prix de dumping et qu’elles auraient causé un dommage important au producteur national, sont fondées».

On attend toujours les résultats de l’enquête et surtout, les décisions qui seront prises par le gouvernement.

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