La richesse des nations et le capital immatériel: de quoi parle-t-on?

PAR LARABI JAIDI, ECONOMISTE. Le Conseil économique social et environnemental (CESE) et Bank Al-Maghrib viennent de livrer une étude sur la "Richesse globale du Maroc entre 1999 et 2013. Le capital immatériel: facteur de création et de répartition équitable de la richesse nationale". Que signifie cette étude ? Quel est son intérêt ?

La richesse des nations et le capital immatériel: de quoi parle-t-on?

Le 16 novembre 2017 à 15h22

Modifié 11 avril 2021 à 2h43

PAR LARABI JAIDI, ECONOMISTE. Le Conseil économique social et environnemental (CESE) et Bank Al-Maghrib viennent de livrer une étude sur la "Richesse globale du Maroc entre 1999 et 2013. Le capital immatériel: facteur de création et de répartition équitable de la richesse nationale". Que signifie cette étude ? Quel est son intérêt ?

La problématique de la mesure du capital immatériel du Maroc ouverte par le discours royal de 2014 est d’un immense intérêt. Elle n’est pas seulement une curiosité intellectuelle, propre au monde du savoir. Sa finalité ultime n’est pas de repositionner le Maroc dans le classement des nations. Elle est surtout d’une grande utilité pour réévaluer les politiques publiques de développement.  

Mais il faut admettre que la comptabilisation de la richesse d’une nation est une entreprise complexe. Elle suppose de mesurer des actifs mais aussi des passifs. Trois problèmes connexes apparaissent : quels sont les postes de cette richesse ? Comment les évaluer individuellement et par agrégation ? Comment articuler les comptes de stock et les comptes de flux ?  

Nous savons que toute mesure économique est définie en termes de valeur monétaire. Cependant, la prise en compte des stocks conduit à mélanger des valeurs de statuts différents dans la mesure: valeur réalisée contre paiement d’une somme d’argent, valeur imputée, valeur actualisée (c’est-à-dire anticipée), valeur substituée (coût d’opportunité). Étant donné la disparité des statuts, l’intégration des comptes de revenu (flux) et des comptes de patrimoine (stock) ne peut aller sans conventions et approximations.

La littérature économique sur la croissance ainsi que les productions des organismes internationaux ont exploré des méthodologies et conduit des investigations sur la mesure de la richesse des nations.

Initialement, le problème  réside dans l’appréciation des défis à long terme qui menacent les ressources de la planète et qui concernent les générations futures plus encore que les générations présentes : le changement climatique, l’épuisement des forêts et la raréfaction des ressources aquatiques et fossiles.

Plus récemment, les crises ont renseigné sur les risques de solvabilité des secteurs financiers privé et public qui menacent la solvabilité financière des Etats.  

De ces investigations, il en est sorti que le maintien de la richesse totale d’une nation est la clé des régimes de croissance viables, soutenables et durables. Le développement à long terme dépend de la richesse totale, c’est-à-dire:

- du capital matériel produit (équipements, structures et terrains urbains),

- du capital naturel (gisements, ressources forestières, zones protégées, terres cultivées et pâturages)

- et du capital immatériel (capital humain, infrastructures institutionnelles, capital social et actifs financiers étrangers nets). 

La somme de ces trois composantes est la richesse réelle de la nation.

Aussi, les perspectives de développement futur d’une nation sont liées aux variations de sa richesse réelle nette totale. C’est-à-dire les variations qui ne détruisent pas la richesse, mais génèrent plutôt une épargne nette ajustée (ou épargne authentique) permettant un investissement net de la société. C’est la condition pour emprunter le sentier d’une économie soutenable.

En l’état présent de nos connaissances, la richesse des nations est loin d’être mesurée de manière complète. S’il est possible de mesurer les différents types de capital qui forment la base productive de l’économie, il est plus complexe de mesurer la productivité agrégée du volume des autres types de capital.  

Tout d’abord, le capital naturel est extraordinairement diversifié (gisements, forêts et terrains). Les ressources naturelles marchandes sont soit non renouvelables (énergie et minéraux), soit renouvelables (forêts et poissons). Des tentatives sont faites pour comptabiliser les stocks de matières énergétiques. Il est par contre délicat d’attribuer une valeur monétaire aux autres ressources naturelles comme l’air et l’eau. De plus, il faut évaluer sur le plan monétaire les catégories de dommages causés par l’épuisement des ressources naturelles, la dégradation du patrimoine naturel non marchand, des atteintes à la biodiversité.  

Ensuite, la mesure des actifs immatériels a fait plus de progrès dans la comptabilité des entreprises qu’en comptabilité nationale.

La révolution des technologies de l’information a donné un tel essor aux actifs immatériels qu’on leur accorde une plus grande attention dans la valeur des actifs et du patrimoine de l’entreprise. Par contre, les comptables nationaux sont moins enclins à capitaliser les dépenses immatérielles à l’échelle du pays.  

Il est vrai que les actifs immatériels ont un caractère non vérifiable et non visible, ce qui complique et rend parfois difficile l’application de la méthodologie de l’inventaire permanent. D’autre part, il n’est pas facile de distinguer les composantes prix et quantités et même trouver une unité de mesure pertinente.

Mais la vision microéconomique de l’entreprise et la vision macroéconomique du développement se différencient par la liste des postes classés en investissements immatériels.

Au niveau de l’entreprise, la préoccupation est l’innovation, la gouvernance et la responsabilité sociale.

Au niveau macroéconomique, les organismes internationaux ont inclus d’autres catégories: institutions, cohésion sociale, légitimité politique, efficacité des administrations publiques, règles de droit… Certaines sont universelles. D’autres servent à promouvoir un modèle type de société. Toutes restent à mesurer.

Enfin la mesure du capital humain rencontre d’autres embûches. Il est évidemment incorporé dans les personnes. On suppose que sa valeur est liée à l’investissement en nombre d’années d’éducation. Mais pour l’approcher, il faut tenir compte du problème des différences de qualité de formation, de taux d’intérêt appropriés appliqués aux dépenses annuelles d’éducation par travailleur.….

On constate que si pour les catégories d’actifs immatériels qui s’apparentent plus au capital matériel, il est possible d’utiliser des méthodes pour en mesurer la valeur en tenant compte du coût d’usage et du rendement du capital, la mesure du stock de capital humain est autrement plus délicate. Elle exige de  mesurer le nombre de travailleurs actifs ajusté des risques de mortalité pendant la vie active, de définir un prix fictif de la  productivité de cette catégorie de capital, etc.

En somme, la mesure des types de capital qui ne sont pas pris en compte dans les systèmes de comptabilité nationale est une condition préalable à la comptabilisation de la richesse nationale. Seul un effort statistique massif mobilisant les ressources publiques permettra une avancée décisive sur ces problématiques.

Mais ce n’est pas qu’une question de statistiques ou de classement dans les rangs des nations.

L’enjeu est l’élaboration de politiques publiques appropriées pour le développement humain durable et de responsabilité envers les générations futures. 

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