Le soutien à la demande, le parent pauvre du plan de relance économique ?

L’Etat sort pour l’instant l'artillerie lourde pour relancer l’offre, à travers un soutien massif aux entreprises. Mais aucun signe de préparation d’un plan de soutien à la demande et au pouvoir d’achat des ménages n’est visible pour l’instant. Or, la relance post-Covid ne passera que par un soutien parallèle à l’offre et à la demande.

Le soutien à la demande, le parent pauvre du plan de relance économique ?

Le 22 juin 2020 à 19h17

Modifié 11 avril 2021 à 2h46

L’Etat sort pour l’instant l'artillerie lourde pour relancer l’offre, à travers un soutien massif aux entreprises. Mais aucun signe de préparation d’un plan de soutien à la demande et au pouvoir d’achat des ménages n’est visible pour l’instant. Or, la relance post-Covid ne passera que par un soutien parallèle à l’offre et à la demande.

Le soutien à la demande est visiblement le parent pauvre des discussions officielles sur la relance de l’économie. Le Maroc n’a pas jusque-là adopté un plan de relance officiel, qui sera, en toute logique, discuté et acté à l’occasion du projet de loi de finances rectificative que préparent les services du ministre des Finances Mohamed Benchaâboun.

Mais tous les signaux émis jusque-là par les pouvoirs publics vont dans le sens d’un soutien massif et inconditionnel aux entreprises, sans la prise en compte de l’autre grand levier de la relance : le soutien à la demande.

On ne le dira jamais assez : le côté inédit de cette crise du Covid-19 réside dans son effet double et simultané sur l’offre (la production) et la demande (la consommation).

Selon la majorité des économistes sondés par Médias24, une reprise rapide, en V, comme l’espère le Wali de Bank Al Maghrib, doit passer obligatoirement par l’activation de ces deux leviers, en même temps.

Gros arsenal pour sauver l’entreprise

Or, pour l’instant, toute l’attention va aux entreprises, ce qui est légitime. Pour une reprise de l’économie, les secteurs qui ont été touchés par la crise, le confinement, doivent retrouver un rythme de production normale, renflouer leur trésorerie, rattraper les pertes subies, assurer leur survie…

C’est la première garantie à un redémarrage de l’économie. La CGEM a pour cela présenté une proposition de plan de relance détaillé, avec des mesures spécifiques pour chaque secteur. Un plan qui exige, selon le patronat, un soutien public évalué entre 80 à 100 milliards. Et dont les grands contours ont été clairement appuyés par le ministre des Finances.

Les contours de son plan de relance vont allier activation de la commande publique, la préférence nationale dans l’octroi des marchés publics, les crédits garantis par l’Etat pour financer le besoin en fonds de roulement (BFR) des entreprises, mais aussi la création d’un fonds de recapitalisation de 15 milliards de dirhams pour sauver les entreprises privées et publiques les plus fragilisées par la crise.

Ce plan est appuyé également par des mesures de politique monétaire qui faciliteront son déploiement. Comme la baisse historique du taux directeur à 1,5%, qui permettra aux entreprises de financer leur BFR à travers Damane Relance à un taux de 3,5%. Ou l’allègement, dès fin mars, des règles prudentielles appliquées aux banques pour leur permettre de prêter plus facilement aux entreprises, tout en leur accordant un méga coussin de liquidité pour se servir en cash à bas coût.

Côté offre, pouvoir exécutif et autorités monétaires ont donc sorti l’artillerie lourde pour venir en aide au monde des affaires. Le tout avec la conception d’une nouvelle stratégie industrielle portée par Moulay Hafid Elalamy qui boostera le business, à travers notamment des mesures de protection des industriels marocains contre la concurrence étrangère et une politique d’import substitution qui créera de nouvelles niches porteuses pour le secteur privé. 

La crainte d’un chèque en blanc au patronat

Soutenir l’offre, avec des plans massifs comme ceux en cours de conception, est une très bonne chose. L’entreprise est le pilier de l’économie. Eviter des faillites en cascade, soutenir l’activité des entreprises, renflouer leurs carnets de commandes, leur faciliter l’accès au financement et les protéger de la concurrence étrangère sera en mesure d’assurer leur survie, et les remettre en selle pour aller chercher de la croissance quand les effets de la pandémie sur l’économie mondiale se tasseront.

Une entreprise qui retrouve une bonne santé, c’est aussi une entreprise qui sauvegarde des emplois, et qui peut éventuellement en créer. En aidant les entreprises, l’Etat, sans doute, pense également à ce volet de sauvegarde de l’emploi. Mais les choses ne sont pas dites clairement. Car dans leurs sorties publiques, ni le ministre des Finances ni celui de l’Industrie n’ont parlé d’aides conditionnées par la sauvegarde de l’emploi ou le maintien des revenus des salariés.

La tendance observée est bien inverse, puisque la CGEM revendique d’ores et déjà le report de l’augmentation du SMIG programmée en juillet et « demande dans son mémorandum adressé au gouvernement la possibilité de baisser les salaires des employés jusqu’à 50% », comme nous le confie Miloudi Moukharik, secrétaire général de l’UMT.

En Europe, des plans de relance de centaines de milliards d’euros ont été décidés. Des aides massives aux différentes filières industrielles mais qui sont à chaque fois conditionnées par le maintien de l’emploi voire même la création de nouveaux jobs. C’est le cas du plan déroulé par Macron pour les secteurs de l’automobile, l’aéronautique ou l’industrie pharmaceutique où des dizaines de milliards d’euros de subventions seront apportées aux opérateurs, contre l’engagement ferme de sauvegarder les emplois existants dans leurs usines françaises, le rapatriement de certaines activités sous-traitées jusque-là en Asie, et l’investissement dans de nouvelles niches écolo-compatibles pour accélérer la transition verte et créer des emplois dans cette nouvelle économie.

Les Allemands ont eu la même approche. Des centaines de milliards d’aides sont accordées aux entreprises, mais conditionnées par les mêmes exigences de maintien et de création d’emplois.

Mieux encore : conscients que tous ces efforts seront insuffisants pour rattraper les pertes subies pendant le confinement, ces deux Etats ont pris une batterie de mesures, pour non seulement sauvegarder les emplois, mais améliorer encore plus le pouvoir d’achat des ménages et les encourager à consommer plus. Objectif : endiguer le chômage, mais accélérer la consommation pour assurer une reprise rapide de l’économie.

En Allemagne par exemple, en plus des accords avec les entreprises bénéficiaires du soutien public pour la sauvegarde de l’emploi, Angela Merkel a décrété une mesure radicale pour booster la consommation, avec une baisse générale (mais temporaire) de TVA, dont le taux passe de 19 à 16% (de 7 % à 5 % pour le taux réduit), et ce, jusqu’au 31 décembre 2020. Ce qui produira une baisse générale des prix de 2 à 3 points, qui augmentera mécaniquement le pouvoir d’achat des ménages. Une mesure fiscale qui s’accompagnera d’une distribution d’une allocation familiale de 300 euros par enfant pour les familles, ou encore la baisse des coûts de l'électricité pour les particuliers.

Des plans sociaux déjà lancés par les grands groupes

La logique de la relance est donc double : soutien aux entreprises, mais aussi aux ménages pour qu’ils puissent accélérer la reprise et limiter les effets de la récession. Dans l’automobile par exemple, secteur stratégique en Allemagne, des milliards seront servis aux constructeurs, mais en parallèle, l’Etat a décidé de doubler la prime à l’achat d’un véhicule électrique de 3.000 à 6.000 euros.

Même type de mesures décidées en France, où l’on voit que les pouvoirs publics sont conscients également de cette double mécanique offre/demande pour relancer l’économie. En France, pays connu pour son système social unique, l’Etat, tout en actant des engagements avec les entreprises pour le maintien et la création d’emplois, continue de booster le pouvoir d’achat des ménages à travers de nouvelles aides et allocations familiales, un système de chômage partiel très généreux, des systèmes de primes au renouvellement automobile, à l’achat de vélo, de trottinettes électriques, ou de renouvellement des systèmes de chauffage domestique…

Des petits détails, mais qui montrent que la tendance dans les modèles de relance dans cette crise du Covid reposent aujourd’hui sur les deux leviers, celui de l’offre évidemment, mais aussi celui de la demande. Pas simplement en sauvegardant l’existant, mais en l’améliorant pour maximiser l’effet de rattrapage.

C’est cette logique qui est aujourd’hui (pour l’instant) absente dans le discours de nos décideurs, qui semblent vouloir donner un chèque en blanc aux entreprises, sans obtenir des contreparties réelles en termes de sauvegarde de l’emploi, de réinvestissement dans des filières porteuses et créatrices de nouveaux emplois, ou d’accélération de la transition énergétique et digitale…

La loi de finances rectificative que prépare le gouvernement apportera peut-être des réponses à ces questions, mais les signaux menant vers cette direction sont pour l’instant faibles. Surtout quand on sait que sur le terrain, plusieurs grands groupes, qui ont bénéficié aussi bien de Damane Oxygène et qui sont éligibles à tous les mécanismes de soutien décrétés par le gouvernement, ont déjà lancé des plans sociaux pour réduire leur masse salariale… Un sujet sur lequel nous reviendrons avec plus de détails.

Des pistes pour soutenir la demande

Pour réactiver la demande, booster le pouvoir d’achat des ménages et la consommation, ce ne sont pas les solutions qui manquent. Le Maroc n’a pas les moyens de l’Allemagne, ni ceux de la France, mais peut à son échelle décréter certaines mesures qui peuvent assurer une reprise saine, rapide et équilibrée de son économie.

La première et la plus évidente, consiste à conditionner les aides accordées aux entreprises par le maintien de l’emploi. Une entreprise qui bénéficiera de la commande publique, d’une recapitalisation par le fonds des 15 milliards ou qui profitera de Damane Relance (crédit sur 7 ans dont 2 ans de franchise, garanti par l’Etat et facturé grâce à la souplesse de Bank Al Maghrib à 3,5%), doit au moins s’engager à ne pas licencier.

L’argent public et celui des banques, garantis par les deniers publics doit servir à financer le BFR des entreprises, certes, pour leur permettre de payer leurs fournisseurs et répondre aux commandes qui tomberont, mais aussi à continuer de payer au moins leurs salariés.

L’argent public injecté dans des entreprises privées ne doit pas servir en ces moments de crise à préserver la rentabilité de l’entreprise, mais à assurer sa survie, la continuité de son activité et la sauvegarde des revenus de son personnel.

En plus du conditionnement des aides publiques, l’Etat dispose également de leviers budgétaires et fiscaux pour soutenir la demande et le pouvoir d’achat des ménages.

Voici quelques idées inspirées d’interviews réalisées par Médias24 avec des économistes et des experts, ainsi que des plans soumis au gouvernement par certains partis politiques :

-Baisser temporairement la TVA, comme en Allemagne. Pas une baisse générale comme celle consentie par Merkel, mais au moins un allègement de quelques points sur les produits qui composent l’essentiel du panier de la ménagère. Un manque à gagner fiscal qui peut être récupéré en relevant la TVA à l’import, ou sur les produits de luxe par exemple. Le PPS propose par exemple une TVA de 40% pour les produits de luxe importés.

-Réduire l’impôt sur le revenu pour la classe moyenne. Un salarié du privé comme du public dès qu’il dépasse un revenu de 15.000 DH est taxé aujourd’hui à hauteur de 38%. Une revue à la baisse du barème de l’IR, dans ses différentes strates allant du SMIG (exonéré) à cette tranche supérieure des 15.000 DH peut produire une injection directe de pouvoir d’achat chez des millions de ménages (salariés du privé et fonctionnaires) assujettis à la retenue à la source sur les revenus salariaux.

Là aussi, ce gap peut être comblé par la taxation de nouvelles niches de revenus : fonciers, financiers, locatifs… Mais en instaurant aussi, comme le proposent de plus en plus de partis politiques, un nouvel impôt sur le patrimoine et les successions. Et l’établissement d’une nouvelle tranche supérieure de l’IR sur les hauts revenus.

Dans son mémorandum envoyé au gouvernement, le parti de l’Istiqlal propose par exemple le relèvement du seuil exonéré à 36.000 DH (3.000 DH par mois) au lieu de 30.000 DH actuellement (2.500 DH par mois) et le relèvement de la tranche supérieure à 240.000 DH (soit 20.000 DH par mois) au lieu de 180.000 DH (soit 15.000 DH par mois).

-Autres idées de l’Istiqlal sur l’IR : l’augmentation de la réduction d’impôt sur le revenu pour charge de famille de 360 DH à 1.080 DH par personne à charge (soit 90 DH par personne/par mois). Une réduction qui n’a connu, selon le parti de Nizar Baraka, qu’une seule évolution en presque 30 ans (pour passer de 15 DH/par mois à 30 DH/par mois) ou encore la déduction de l’impôt sur le revenu à hauteur de 500 DH par enfant et par mois pour frais de scolarité.

-Pour pousser la classe moyenne à accéder au logement et tirer de facto le secteur de l’immobilier dans son sillage, l’Istiqlal propose par exemple d’exonérer tout achat de logement inférieur à 1 million de dirhams réalisé d’ici décembre 2020 des droits d’enregistrement et des frais de la conservation foncière et réduire de 50% ces droits jusqu’en 2022 pour l’acquisition des logements de première résidence dont le coût ne dépasse pas un million de dirhams…

- Mettre en place, comme le propose encore une fois le parti de l’Istiqlal, une aide à l’embauche, par la généralisation de la mesure des 10 salariés, actuellement réservée aux entreprises nouvellement créées. Une mesure qui existe aujourd’hui et qui consiste en l’exonération de l’IR pour les salaires de moins 10 000 DH bruts sur une durée de 24 mois. L’Istiqlal propose sa généralisation pour encourager les entreprises à embaucher.

-Pour les entreprises qui ne peuvent pas s’engager sur la sauvegarde de leur masse salariale en raison d’un chamboulement de la structure de leur business ou de leur marché, l’Etat peut proroger les aides sociales pour maintenir l’emploi et préserver les revenus des salariés et les indépendants mis en chômage total ou partiel jusqu’à fin 2021.

-Prolonger jusqu’à fin 2020 la mise en œuvre par la CNSS pour les secteurs sinistrés de la mesure qui consiste à permettre aux employeurs d’accorder une indemnité d’aide à leurs salariés exonérée l’IR, plafonnée à un maximum de 6 000 dirhams. Autre mesure proposée par l’Istiqlal.

Des mesures qui concernent en somme la population des salariés et des fonctionnaires, qui sont en fait une minorité dans la masse des ménages marocains qui vivent, comme l’a révélé cette crise, en dehors des radars des systèmes de l’impôt et de la protection sociale.

Pour que le plan d’accélération de la demande soit général et efficace, cette couche de la population travaillant dans l’informel, ou vivant dans la précarité, doit également bénéficier d’un soutien public. L’Etat a déjà expérimenté les transferts monétaires directs durant la période de confinement. Une opération qui doit selon plusieurs économistes et politiques interviewés par Médias24 être prolongée d’au moins 6 mois… Le temps que l’Etat sorte enfin son projet de RSU et de ciblage direct des populations vulnérables pour aboutir dans l’idéal à une sorte de revenu universel ciblant cette tranche de la population.

Si le système des aides directes a pu être financé durant le confinement par les contributions spéciales au Fonds anti-Covid, sa généralisation doit en revanche reposer sur des mécanismes de financement durables. Et la seule solution qui paraît viable, juste et logique, c’est d’instaurer un mécanisme de solidarité entre classes aisées et pauvres, à travers l’impôt.

C’est ce qu’a toujours proposé la FGD, et c'est ce que proposent actuellement l’Istiqlal, l’USFP ou encore le PPS, ainsi que beaucoup d’économistes et d’experts. Un mécanisme qui consistera à financer les aides sociales par des impôts spécifiques : comme celui sur la fortune, les successions ou les hauts revenus ou encore des taxes spéciales sur les secteurs et entreprises en situation de monopole ou bénéficiant par leur statut d’un monopole de fait.

Des propositions qui tendent toutes à relever le pouvoir d’achat des ménages, salariés, fonctionnaires, travailleurs de l’informel et chômeurs, pour assurer à la fois une reprise rapide de l’économie et qui peuvent enclencher une nouvelle dynamique pour la réduction à terme des disparités sociales et territoriales qui rongent notre pays.

Elles sont portées par des intellectuels, des économistes et aujourd’hui même par des partis politiques comme la FGD, l’Istiqlal, l’USFP, le PPS mais qui ne trouvent visiblement pas d’écho pour l’instant auprès des pouvoirs publics. Le discours de la classe politique, des intellectuels étant totalement inaudible, comparé à une organisation comme la CGEM, puissant lobby, organisé et qui n’hésite pas quand il le faut à faire jouer la logique du « rapport de force » dans ses négociations avec les pouvoirs publics.

A moins que Benchaâboun nous surprenne lors de la présentation de son projet de loi de finances rectificative par un plan de relance qui prend en compte les propositions du patronat pour la relance de l’offre, mais qui n’omet pas d’agir sur l’autre levier de le reprise : la consommation, la demande et le pouvoir d’achat des ménages. C’est tout le mal que l’on souhaite…

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