Ce que coûterait un reconfinement de Casablanca sur le plan socio-économique

Le retour au confinement à Casablanca est un scénario de plus en plus plausible. Pour des opérateurs économiques sondés par Médias24, cette décision qui peut s'avérer nécessaire pour limiter la propagation du virus, aura un coût socio-économique important si jamais elle est prise.

Ce que coûterait un reconfinement de Casablanca sur le plan socio-économique

Le 10 septembre 2020 à 19h53

Modifié 11 avril 2021 à 2h48

Le retour au confinement à Casablanca est un scénario de plus en plus plausible. Pour des opérateurs économiques sondés par Médias24, cette décision qui peut s'avérer nécessaire pour limiter la propagation du virus, aura un coût socio-économique important si jamais elle est prise.

Compte tenu de la forte dégradation de la situation épidémiologique à Casablanca et de prévisions négatives de l'évolution de la pandémie, deux scénarios sont actuellement envisagés par les autorités: un reconfinement pendant une courte période ou l'adoption de mesures ultra-draconiennes. Selon nos sources, le premier scénario est le plus probable. Une décision dans un sens ou dans l'autre ne saurait tarder.

Si un reconfinement de la métropole peut s'avérer nécessaire sur le plan sanitaire (phase de transmission communautaire du virus, risque de saturation des structures hospitalières...), économiquement, il peut être lourd de conséquences, selon plusieurs opérateurs et économistes sondés par Médias24. Surtout si sa durée est prolongée au-delà de 14 jours.

Les craintes de nos interlocuteurs sont légitimes. Mais comme l'a bien rappelé Dr. Mohammed Benghanem, directeur de l'hôpital Ibn Rochd à Casablanca dans une émission diffusée sur 2M mercredi 9 septembre, c'est l'homme qui crée les richesses et non pas l'inverse ; la santé publique est donc prioritaire. De plus, personne ne peut prédire comment évoluera la situation épidémiologique dans les prochains jours, ni quelle décision prendront les autorités. Ni encore combien durera un éventuel reconfinement.

En tous les cas, voici les avis des opérateurs et économistes interrogés sur le scénario de reconfinement de Casablanca.

Bloquer Casablanca ferait exploser la mortalité des entreprises

Un grand capitaine d’industrie Casablancais, qui dirige un groupe employant des milliers de personnes, estime, sous couvert d'anonymat comme toutes nos autres sources, « qu’il vaut mieux laisser le virus circuler que de refermer complètement la ville ». « Si on reconfine Casablanca, on courrait vers une catastrophe économique et sociale. Pas seulement au niveau de la ville, mais au niveau de tout le pays », affirme-t-il.

Ses craintes sont partagées par toutes les autres sources que nous avons contactées, car comme nous le dit cet économiste : « confiner Casa, c’est arrêter le cœur battant du Maroc ».

« Selon les statistiques officielles, la ville représente près du tiers de la richesse créée au niveau national. Mais en réalité, elle représente 50% du PIB induit, car elle est un hub qui arrose toutes autres régions du pays. Si on bloque Casablanca, c’est toute l’économie du pays qui ralentira », explique un économiste.

Pour notre capitaine d’industrie, si les autorités reconfinent Casablanca, le premier impact se ressentira sur les entreprises. « La mortalité des entreprises qui sera induite par un nouveau confinement sera 10 fois supérieure à la mortalité causée par le virus. Sauf que quand une entreprise fait faillite, on ne tue pas que l’économie mais on crée aussi de la précarité sociale ».

On ne connaît pas encore l'ampleur que prendrait un nouveau confinement. Mais s’il est semblable à celui décrété fin mars au niveau national, cela signifiera l’arrêt de presque toutes les activités : fermeture des commerces (à part les épiceries et les grandes surfaces), des cafés, des restaurants, limitation au maximum des déplacements, instauration du télétravail pour les activités qui s'y prêtent, fermeture d’usines et d’unités de production, des marchés formels et informels (Derb Omar, Derb Ghallef…), etc.

« Les entreprises, notamment dans le commerce et les services, ne survivront pas à un nouveau confinement. Aujourd’hui, même avec les crédits oxygène et relance qui ne servent en réalité qu’à payer les salaires, les fournisseurs et quelques charges courantes, elles n’arrivent pas à s’en sortir. Si on reconfine, beaucoup mettront les clés sous le paillasson », estime un homme d’affaires et membre actif de la CGEM.

Cette vague de faillites que prédisent nos interlocuteurs en cas de reconfinement de Casa aura des effets dévastateurs sur l’emploi, selon eux. Non seulement sur la capitale économique mais aussi au niveau de tout le pays.

Une explosion du chômage et de la précarité est attendue

Casablanca concentre une bonne partie des activités économiques du pays : 30% dans l’industrie, 33% dans les services et 50% dans le commerce. C’est par conséquent un des grands bassins de l’emploi dans le pays, aussi bien dans le secteur formel que dans l’informel.

« Avec les trois mois de confinement, les entreprises ont entamé des plans pour se séparer de 20% de leurs salariés pour pouvoir survivre. Cette tournure que prennent les choses, avec une reprise économique perturbée par les mesures déjà prises et le retour du spectre du confinement à Casablanca et peut-être dans d’autres villes, je pense qu’il nous faudra aller jusqu’à 50% d’allègement des effectifs si on veut sauver les entreprises de la faillite. Et cela doit être autorisé explicitement par les autorités », exprime le membre de la CGEM.

Comptant plus de 800.000 ménages selon le dernier recensement de la population, avec un taux d’activité de 50% (à fin 2019), la casse dans l’emploi aura de lourdes conséquences sociales si des filets sociaux ne sont pas mis en place.

Entre avril et juin, les autorités ont mis en place des aides pour les familles : 2.000 DH pour les salariés déclarés à la CNSS et 800 à 1200 DH pour les travailleurs de l’informel, Ramedistes et non Ramedistes.

Le reconfinement de la ville sera-t-il accompagné de mesures similaires pour amortir le choc social ?

« Cela n’est pas le sujet », nous répond un économiste. « Octroyer des aides pour 200.000 ou 300.000 ménages ne coûtera pas beaucoup d’argent. Une nouvelle levée du fonds anti-Covid peut être lancée, et l’Etat peut même mobiliser des moyens pour subvenir aux besoins des populations de la ville qui se retrouveront sans revenus. Le vrai sujet, c’est comment assurer la survie des entreprises. Aider une personne sur un mois, c’est facile. Mais lui garantir le retour à son emploi est le plus difficile ».

Si le reconfinement de Casablanca est décidé, notre économiste estime que la récession de l’économie marocaine serait encore plus violente. L’Etat ainsi que Bank Al Maghrib tablaient sur une récession de 5% pour 2020. Une prévision qui se retrouve déjà dépassée avec l’explosion des cas de Covid entre juillet et août, et les mesures restrictives décidées dans certaines villes et régions. « Si on confine Casablanca, on risque de perdre 3 points de PIB non agricole supplémentaires, soit une récession d’au moins 8%. Et je suis très optimiste. Et même la croissance attendue en 2021 ne sera pas au rendez-vous comme le prévoit le gouvernement  », explique notre source.

« Benchaaboun doit se Merkeliser »

Pour l’ensemble de nos interlocuteurs, la période post-confinement a montré que la seule chose qui peut aider à relancer l’économie du pays c’est la fin du virus. Et donc un vaccin.

« On parle de la disponibilité d’un vaccin fin 2020. En supposant que cela soit vrai, il faut compter au moins six mois pour qu’il soit déployé au niveau national. Dans le meilleur des cas, la reprise ne sera donc réellement possible qu’à partir du deuxième semestre de 2021. Je ne vois pas comment on pourrait faire de la croissance dans ce contexte. Le ministre des Finances doit revoir tous ses calculs et changer ses dogmes, car ses recettes ne marchent plus… »,  prévoit un opérateur économique.

Pour lui, « Benchaaboun doit se Merkeliser » : « En attendant d’en finir avec le virus,  il faut injecter de l’argent. Et pour cela il faut sortir des dogmes du passé. Même Angela Merkel, la plus orthodoxe de tous les dirigeants du monde, a changé sa politique économique et a mis de l’argent sur la table, cassant toutes les normes de Maastricht. Notre ministre des Finances doit changer de logiciel. Sans argent, on court vers la faillite et des troubles sociaux », ajoute notre interlocuteur.

Reconfinement de Casablanca ou pas, nos sources pensent que le scénario de la reprise en V sur lequel tablait le gouvernement est mort. Et que les mesures mises en place doivent s’adapter à la nouvelle situation.

« C’est perdu pour 2020. Mais le ministre des Finances peut se rattraper dans la loi de finances 2021 en mettant des mesures audacieuses pour remettre de la confiance dans l’économie. Il ne faut pas rester sur la défensive, mais déployer une politique contra-cyclique, quitte à imprimer de l’argent, s’endetter davantage, créer de l’inflation… le monde entier le fait, je ne comprends pas pourquoi on ne le ferait pas aussi », propose une de nos sources.

Il suggère par exemple pour la LF 2021 une défiscalisation des investissements, l’octroi d’une aide directe aux entreprises qui embauchent sous forme de défiscalisation des emplois nouvellement créés pour une certaine durée, revoir le code du travail pour permettre plus de flexibilité dans l’emploi et éviter la faillite des entreprises et l’explosion du chômage, soulager les foyers en leur permettant de déduire les frais de scolarité de l’IR…

« Nous avons vécu un long cycle de dogmatisme économique et monétaire. Il est temps d’en sortir, de penser « out of the box », la période s’y prête. Sans idées nouvelles, on ne peut pas réussir à relancer le pays. Mais si on continue dans les recettes du passé, c’est la faillite assurée », explique-t-il.

Tous les opérateurs sondés par Médias24, qui ne représentent pas -il faut le signaler- l’ensemble de la communauté des affaires, sont contre une décision de reconfinement de Casablanca. Pour eux, le virus est là, et il faut vivre avec : imposer le respect des règles sanitaires, durcir les contrôles, améliorer le système de prise en charge des malades, mettre de nouvelles mesures de limitation des déplacements s’il le faut… Mais tout sauf un confinement pur et dur.  Le son de cloche de cet échantillon du monde des affaires est clair. Mais les autorités ont dès le début de la pandémie privilégié les considérations sanitaires à la chose économique. Une ligne qui semble ne pas encore avoir changé. 

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