Constat d’échec pour l’enseignement à distance

Baisse du niveau des élèves, impact sur leur santé mentale et physique, coût financier et contraintes logistiques pour les parents..., l'enseignement à distance a montré ses défaillances. Enseignants, médecins et parents le dénoncent et appellent au retour du présentiel.

Constat d’échec pour l’enseignement à distance

Le 21 septembre 2020 à 19h52

Modifié 11 avril 2021 à 2h48

Baisse du niveau des élèves, impact sur leur santé mentale et physique, coût financier et contraintes logistiques pour les parents..., l'enseignement à distance a montré ses défaillances. Enseignants, médecins et parents le dénoncent et appellent au retour du présentiel.

Six mois après la mise en place de l’enseignement à distance, le constat est sans appel : ce mode d’enseignement est un échec cuisant. Et il est parti pour durer encore longtemps : la circulation du virus dans les zones les plus touchées ne faiblit pas, au point que le gouvernement a annoncé, vendredi 18 septembre, la prolongation des mesures restrictives pour 14 jours supplémentaires à Casablanca, dont fait partie la fermeture de toutes les écoles primaires, secondaires et établissements supérieurs, et par conséquent la poursuite de l’enseignement à distance. Des quartiers dans d'autres villes sont également toujours concernés.

Par où commencer tellement la liste des défaillances est longue ? Il y a d’abord les répercussions sur la santé mentale des enfants. Les pédiatres l’ont dit et redit : l’enfant a besoin de liens sociaux qu’il développe à l’école et qui sont nécessaires à son épanouissement.

La rupture brutale de ces liens provoquée par le confinement et qui perdure, en raison du maintien de l’enseignement à distance, n’est donc pas sans conséquence. "Les enfants ne voient plus leurs amis. Or, le manque de liens peut conduire à des états d’aliénation", avait prévenu le Dr Hassan Afilal, pédiatre et président de la Société marocaine de pédiatrie, en juin dernier auprès de Médias24.

Une semaine avant la rentrée scolaire, le Dr Hassan Afilal avait recommandé un retour à l’école, particulièrement pour les moins de 14 ans, afin de préserver leur santé mentale et leur équilibre psychologique. "Personne ne sait quand cette épidémie prendra fin. Nous sommes en train de nous installer dans la durée ; nous ne pouvons donc pas nous permettre de reporter la rentrée car nous n’avons aucune visibilité sur la fin de cette épidémie. Si nous savions qu’elle allait se terminer d’ici un mois ou deux, nous pourrions éventuellement reporter la rentrée scolaire. Mais actuellement, nous n’en savons rien. A quoi bon reporter dans ce cas ? D’autant que les enfants ont fondamentalement besoin d’entretenir le lien social", avait-il ainsi soutenu auprès de Médias24.

Des élèves qui n'ont pas accès aux cours ou qui peinent à se concentrer...

L’enseignement à distance a également un impact sévère sur le niveau scolaire des élèves, car il requiert des conditions qui ne peuvent pas être toujours garanties : une bonne connexion internet, des outils technologiques efficaces et qui soient mis à la disposition de l’enfant, des parents aptes à effectuer un suivi régulier des devoirs, un espace de travail propice au calme et à la concentration…

Or, ces conditions sont loin d’être réunies au sein de la majorité des familles : des enseignants récemment contactés par Médias24 ont fait état du capharnaüm qui règne pendant les cours à distance. Ils se désolent de ne pouvoir enseigner dans de bonnes conditions et s’inquiètent du retour de bâton. Nombreux sont les élèves qui accusent un sérieux retard dans l’acquisition des compétences, assurent ces enseignants.

L’un d’entre eux, Najib Choukri, président de l’Association marocaine des enseignants de français et directeur du groupe scolaire privé Adrar, à Agadir, assure que certains élèves, dont le nombre n’est pour l’instant pas quantifié, n’ont absolument pas bénéficié de l’enseignement à distance, faute de moyens techniques et d’outils technologiques. "Ceux-là ont perdu non seulement ce qu’ils ont appris avant le confinement, mais aussi les acquis de l’année antérieure", nous a-t-il déclaré. D’autres élèves ont suivi les cours par Whatsapp, mais "n’ont quasiment rien retenu et sont désormais presque au même niveau que les élèves qui n’ont pas du tout suivi les cours".

Najib Choukri nous a fait part aussi de son inquiétude de voir arriver des élèves du primaire ne sachant ni lire, ni écrire, ni compter. ''Ils ne maîtrisent ni l’alphabet ni les chiffres. On se retrouve désormais avec des enfants presque analphabètes pour certains.''

Une autre professeure de français dans un groupe scolaire privé à Casablanca assure que ses élèves ne savent plus rédiger correctement des phrases simples. ''Ils ont quasiment perdu les compétences acquises entre septembre et mars, voire même ce qu’ils ont appris les années précédentes. La plupart ne sont pas au niveau.''

Un retard grandissant qui s’annonce d’ores et déjà difficilement rattrapable, tant l’intérêt des élèves pour les cours se réduit comme peau de chagrin, observe cette enseignante. Elle ne cache pas ses difficultés à capter leur attention : ''Je n’arrive pas à faire de leçons complètes. Tout le monde parle en même temps ; les enfants se cachent derrière la caméra, jouent avec les micros, décrochent le téléphone en plein cours.''

Dérangés par un entourage familial parfois peu conscient des exigences de calme qu’implique l’enseignement à distance, perturbés par des problèmes de connexion ou des appareils pas toujours très fiables, les élèves parviennent difficilement à rester concentrés, voire à se concentrer tout court. D’autant que face aux risques de décrochage scolaire que laisse planer ce contexte, les enseignants se sentent démunis ; inaptes à récupérer les élèves potentiellement déviants, du fait de la rupture de l’interaction directe entre enseignants et élèves, propre au présentiel, contrairement au distanciel qui marque justement une rupture dans cette interaction, désormais indirecte car elle se fait par écrans interposés.

Preuve que l’enseignement à distance favorise l’éloignement de certains élèves : l’année dernière, à fin mai, sur les 34 élèves que cette professeure de français avait en classe, deux seulement suivaient les cours de façon très assidue. ''Les 32 restants, c’était un jour oui, un jour non… Une dizaine d’élèves ont même été totalement absents à la fin de l’année.'' En cette rentrée scolaire, sur ses 33 élèves officiellement inscrits, six sont totalement absents. ''Je ne connais pas leur visage ; ils ne se sont pas connectés une seule fois depuis la rentrée. Ce sont des élèves invisibles, absolument pas intégrés dans le groupe'', soupire-t-elle.

des enseignants qui n’enseignent plus...

Il y a autre chose également : l’inadaptabilité des plateformes utilisées dans le cadre de cet enseignement à distance, et l’absence de formation des professeurs pour utiliser la plateforme Microsoft Teams. ''Nous n’avons pas été formés à l’utilisation de cette plateforme ; nous avons donc fait de l’autoformation'', a déclaré Boughaleb Lemaadni, professeur en sciences de la vie et de la Terre (SVT) dans un lycée public de Tiflet, à notre rédaction.

L’inadaptabilité de ces plateformes, Boughaleb Lemaadni la juge responsable de la baisse du niveau des élèves. Il estime d’ailleurs qu’il ne fait même plus de l’enseignement, mais de la vulgarisation scientifique. ''C’est de l’apprentissage à distance, ou de l’auto-apprentissage.''

Les élèves, quant à eux, sont devenus des consommateurs passifs : ''Étudier à distance suppose des moyens techniques qui permettent à l’élève de suivre les cours, d’interagir avec les supports. L’enseignement à distance n’a pas été optimisé ; la SVT à distance, c’est de la vulgarisation, pas de l’enseignement. On ne fait que publier des documents, diffuser des audios... Les élèves, eux, ne font que les consommer.''

Yeux scotchés sur les écrans, ils retiennent peu et surtout, comprennent peu, faute de bénéficier d’explications claires. Au passage, les écrans ne sont pas non plus sans conséquence sur la santé mentale des enfants. Deux ophtalmologistes récemment contactés par Médias24 ont en effet pointé du doigt les troubles de l’apprentissage et de l’attention que peut engendrer une surexposition aux écrans.

...et des parents mécontents qui ne savent plus où donner de la tête

Il n’y a pas que les enfants et les enseignants qui sont à bout : l’enseignement à distance s’avère tout aussi difficile pour les parents qui doivent jongler entre leurs impératifs professionnels et leurs responsabilités parentales. Ils ne cachent pas non plus leur inquiétude face aux difficultés de leur progéniture et le sentiment d’impuissance que le contexte actuel suscite chez eux.

Dans un long mail reçu ce lundi par Médias24, la mère d’un petit garçon, résidente à Casablanca (donc dans l’une des zones les plus touchées par le virus) et travaillant à temps plein, fait part de son désespoir et de son inquiétude à l’égard des enfants privés d’enseignement en présentiel. Et de tous les liens sociaux qui vont avec. Cette mère de famille dit nous avoir contactés car elle ''[ne trouve pas] de moyen alternatif pour crier haut et fort l’impact des décisions du gouvernement de maintenir les écoles de Casablanca fermées sur [notre] psychique (sic)''.

Si elle se montre consciente de la hausse des cas actifs à Casablanca, elle estime que ''[ses] enfants n’ont pas à payer le prix fort de l’incohérence entre les décisions lancées et leur application sur le terrain''. Et d’ajouter : ''Je pense que de nombreux parents sont dans le même cas. Nous sommes inquiets pour nos enfants. Nous ne savons plus nous concentrer sur notre travail, tellement ce sujet déducation nous travaille de jour comme de nuit.''

Cette mère de famille témoigne par ailleurs de son incompréhension de certaines mesures : ''Nous nous sentons piégés, sans appui. Les centres de loisirs sont ouverts mais les écoles sont fermées. A Nouaceur, les écoles sont ouvertes, mais à Casablanca elle sont fermées !'' Et aussi d’un fort sentiment d’injustice : ''On nous applique des amendes en cas de non respect des règles sanitaires ; on nous demande de payer les frais d’écoles et les fournitures ; on continue à payer nos impôts… Mais nous ne sommes pas une banque. Nous devons avoir un service en retour. On nous exige des devoirs, mais nos droits sont lésés sous prétexte de la gestion d’une crise sanitaire. J’estime que l’un n’empêche pas l’autre.''

Son témoignage n’est pas sans faire écho au recours qui va être déposé demain par un collectif de parents contre le gouvernement pour ''excès de pouvoir'', le but étant d’annuler la décision de fermeture des établissements scolaires à Casablanca. Dans sa lettre rendue publique jeudi 17 septembre, ce collectif s’adresse aux autorités compétentes et au ministère de l’Éducation nationale en particulier, afin de sensibiliser l’opinion publique quant à "cette situation délicate qui prive du droit constitutionnel et fondamental qui est l’éducation", selon les termes des auteurs de ses lignes.

Le collectif a notamment exprimé sa ''colère'' et sa ''grande inquiétude'' suite à la décision d’annuler la rentrée des classes en présentiel pour les écoles des zones fermées au niveau national, communiquée le 6 septembre dernier dans la soirée – de surcroît de façon très tardive, la veille de la rentrée scolaire.

Et d’ajouter : "Nous condamnons la décision car ses conséquences sur nos enfants, sur notre activité professionnelle et sur l’avenir de notre pays seront irréparables. En effet, l’enseignement à distance lors du confinement a montré ses limites, malgré l’implication des familles et des enseignants. L’enseignement en présentiel doit désormais reprendre sa place afin d’ancrer les apprentissages et combler les lacunes éventuelles tout en permettant aux familles de retrouver un équilibre, tant économique que psychologique."

Le retour au présentiel, un pari trop risqué ?

La situation sanitaire actuelle permet-elle toutefois un retour au présentiel, sachant que des cas de contamination sont apparus dans certaines écoles publiques et privées ? L'enseignement à distance n'est-il pas un moindre mal, compte tenu du contexte ? C’est ce que pense le Dr Kamal Marhoum El Filali, chef de service des maladies infectieuses au CHU Ibn Rochd de Casablanca. S’il reconnaît que l’enseignement à distance n’est certes pas l’idéal pour les élèves, aussi bien ceux du cycle primaire que secondaire, il a estimé auprès de Médias24 que l’enseignement à distance doit être privilégié en cette période de propagation inquiétante du virus à Casablanca.

Selon lui, le présentiel "se heurte à la conjoncture actuelle et à la contrainte qu’elle engendre, en l’occurrence la propagation du virus". Le retour à ce mode d’enseignement "risquerait au contraire de favoriser davantage la circulation du virus et, in fine, la fermeture de certains établissements. Or sans traitement efficace à 100% et sans vaccin, la seule possibilité qu’il nous reste pour réduire, si ce n’est vaincre la diffusion du virus, c’est d’empêcher que les gens le transportent d’une personne à une autre, d’un lieu à l’autre", a-t-il également déclaré. Il a rappelé enfin que les écoles n’accueillent pas que des enfants en bas âge, et que les plus grands sont susceptibles de ramener le virus au domicile et ainsi de contaminer l’entourage.

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