Elections : Les ralliements commencent, la particularité de 2021 vue par David Goeury

A l'approche de chaque élection, un véritable mercato s’organise avec plusieurs notables qui changent d’étiquette politique. Pour les élections de 2021, les ralliements risquent d'être plus nombreux à cause du changement du quotient électoral. L’occasion d’interroger le chercheur David Goeury sur l’ampleur attendue de ce phénomène.

Elections : Les ralliements commencent, la particularité de 2021 vue par David Goeury

Le 16 mars 2021 à 19h07

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

A l'approche de chaque élection, un véritable mercato s’organise avec plusieurs notables qui changent d’étiquette politique. Pour les élections de 2021, les ralliements risquent d'être plus nombreux à cause du changement du quotient électoral. L’occasion d’interroger le chercheur David Goeury sur l’ampleur attendue de ce phénomène.

Si les changements d’étiquette politique se produisent à chaque rendez-vous électoral, l’année 2021 a de fortes chances d’être marquée par une hausse du nombre d’élus désireux de quitter leur parti pour un autre qui leur offrira davantage de chances de remporter un siège au Parlement.

Stratégie collective des partis contre intérêts personnels des candidats

Sur les perspectives ouvertes aux élus par le nouveau mode de calcul du quotient électoral pour les élections législatives, David Goeury, enseignant-chercheur au laboratoire “Médiations - Science des lieux, sciences des liens” de la Sorbonne Université, nous confirme que l’investiture partisane d’un candidat est en effet devenue un élément de débat important, surtout dans le contexte récent de changement du quotient électoral.

« Cela relève de logiques complexes qui articulent stratégies nationales, régionales et locales car il faut bien comprendre qu’il y a deux perspectives différentes qui se rencontrent à savoir celle du parti qui a une stratégie collective et celle du candidat qui a une stratégie personnelle.

Des partis en quête de candidats assez nombreux pour porter leurs couleurs

« Les partis politiques devront disposer de suffisamment de candidats à même de porter leurs couleurs sur tout le territoire et dans la mesure du possible à toutes les élections, sachant que plus de 95% des électeurs marocains cochent toujours la case du même parti pour différentes élections.

« Comme les électeurs ont peur de se tromper ou de voir leur vote annulé s’ils cochent pour 2 partis différents, seuls les plus avertis et les militants vont voter pour 2 partis différents sur un même bulletin.

« Sachant que beaucoup de partis n’ont pas assez de candidats pour être représentés dans les 92 circonscriptions législatives, et que s’ils n’ont pas de candidat dans une circonscription, ils recueilleront très peu de suffrages, cela pénalisera donc plus leur score pour la liste régionale des femmes.

« Même cas de figure aux communales et régionales où aucun parti n’aura assez de candidats dans toutes les communes. Par conséquent les partis les moins présents à l’échelle communale auront donc forcément du mal à recueillir assez de de voix pour diriger seul un conseil régional.

Les notables influents sont toujours aussi sollicités

« A cela s’ajoute le problème des élections indirectes aux conseils provinciaux et à la chambre des conseillers, où les partis devront trouver assez de candidats locaux disposant d’une forte capacité de négociation avec les autres élus pour les pousser à voter pour lui et occuper ces fonctions stratégiques.

« En effet, le président d’un conseil provincial est l’interlocuteur privilégié du gouverneur et un élu à la chambre des conseillers, à un poids très important auprès des administrations centrales sises à Rabat.

Des opportunités d’ascension politique offertes aux candidats disposant de réseaux

« Dans ce contexte, les partis ont donc forcément deux choix : soit faire émerger des réseaux militants sur le temps long, soit convaincre un notable disposant de réseaux de clientèle de le rejoindre, en contrepartie d’opportunités politiques d’ascension, du type un siège au parlement ou alors la présidence d’un conseil provincial.

« Si à court terme, la deuxième stratégie est la plus efficace, elle nécessite cependant des négociations complexes, du fait que les places prestigieuses sont beaucoup plus limitées et la compétition bien plus forte », explique Goeury, avant de brosser la stratégie personnelle qui devra être adoptée par des candidats qui seront le plus souvent tentés de rejoindre les rangs d’un parti qui leur offrira un maximum de chances d’être élus.

Des dépenses de campagne élevées pour des candidats qui espèrent un retour

« Pour un candidat X, se lancer dans une campagne électorale est extrêmement coûteux en temps, en énergie mais aussi en argent car en l'absence de militants bénévoles qui porteront la campagne, il lui faudra non seulement recruter et rémunérer une équipe mais aussi et surtout s’intégrer à un jeu complexe de transactions électorales.

« Sachant que le notable qui doit être capable de convaincre immédiatement son réseau de clientèle ne pourra pas s’appuyer uniquement sur des promesses d’actions durant son mandat, il sera obligé de s’engager dans des dépenses de campagne très importantes dont il attendra évidemment un retour.

« Ce dernier prendra soit la forme d’un prestige politique pour conserver ou renforcer son statut social, soit d’un soutien futur pour faire face aux aléas économiques ou politiques ou enfin d’un retour sur investissement par de nouvelles opportunités économiques.

Des ralliements qui ont augmenté après la création du PAM

« C’est dans ce contexte que se mettra alors en place un jeu très complexe de séduction entre les partis et les notables.

« C’est ce qui s’est produit dans certains partis qui souhaitaient développer une stratégie de conquête politique rapide comme le PAM qui est un très jeune parti, fondé en 2007.

« C’est d'ailleurs en la mettant en pratique aux scrutins de 2016 pour maximiser ses résultats électoraux que le PAM a été capable de débaucher 11 élus d’autres partis dont 6 appartenaient au RNI et 3 à l’Istiqlal.

Le RNI et l’Istiqlal veulent récupérer leurs transfuges déçus par le PAM

« Aujourd’hui, le RNI et le PI souhaitent récupérer leurs candidats et attirer des déçus du PAM d’autant plus que certains notables peuvent se sentir menacés par l’apparition de concurrents dans leur parti.

« Cela a été le cas à Jerada où la famille Darhou avait participé à la formation du PAM ; mais quand l’entrée en politique de la famille Toutou avait amené le PAM à préférer ces derniers à partir de 2011, la famille Darhou s’était rapprochée de l’Istiqlal pour les élections de 2015 et de 2016.

« Enfin, il arrive aussi que d’autres élus veuillent garder un rôle politique malgré leur éviction de leur parti d’origine. Comme par exemple le cas récent de l’ancien encarté au RNI, Abderrahim Bouaida, qui vient de rejoindre l’Istiqlal.

Seul le PJD résiste encore au changement d’étiquette politique

« Il faut donc analyser chaque trajectoire de changement partisan, en se demandant si c’est une stratégie offensive du parti ou une stratégie défensive d’un élu qui est brutalement privé d’investiture.

« Ensuite, si la circulation des notables est effectivement très forte entre les partis, il semble plus difficile à des dissidents du PJD d’entraîner avec eux un électorat qui soit capable de leur permettre de remporter une élection.

« En effet, les élus du PJD s’appuient surtout sur des militants qui discutent les investitures mais aussi les programmes », précise Goeury pour qui un dissident du PJD devra obligatoirement disposer d’un réseau personnel très fort et d’un prestige aussi fort localement, pour sauter le pas afin de se présenter sous une autre étiquette politique.

Créer un parti politique à la veille des scrutins serait un pari très risqué pour Benkirane

« C’est d’ailleurs la raison pour laquelle en 2016, aucun parti n’avait réussi à débaucher un élu du PJD.

« De plus, l’idée de créer un parti dissident que l’on prête à Abdelilah Benkirane après qu’il a gelé son adhésion au PJD pour protester contre l’adoption de la loi sur le Cannabis est un pari très risqué.

« En effet à court terme, ce nouveau parti risquerait d’avoir un score très faible dans les urnes et serait surtout accusé de jouer le rôle de ses adversaires qui souhaitent l’affaiblissement du PJD.

La réforme du quotient électoral va accroître la compétition

« Aujourd’hui, la réforme récente du quotient électoral, qui a fait passer le mode de calcul du nombre de voix valides à celui d’inscrits sur les listes électorales, va certainement accroître la compétition dans les grandes circonscriptions urbaines », prédit le chercheur du centre Jacques Berque.

Il faut en effet rappeler que ce sont les candidats désignés têtes de liste qui auront le plus de chances de remporter un siège de député et que les 2ème et 3ème sur les listes ne pourront pas être élus à moins d’un taux de participation électoral très important, mais très peu probable.

« En 2016, ces circonscriptions ont été marquées par une double tendance, à savoir un désengagement des notables qui voyaient bien qu’ils ne pouvaient plus accéder à un siège par les mobilisations traditionnelles des réseaux de clientèle et des transactions électorales, mais aussi par l’affirmation d’une nouvelle dynamique militante d’une élite éduquée et francophone autour de la FGD.

Difficile de prévoir à qui bénéficiera la récente réforme du quotient

« Si la réforme du quotient électoral devrait profiter à ces 2 profils très différents qui s’inscrivent dans 2 logiques électorales totalement divergentes, il est toutefois difficile de savoir qui en profitera le plus.

« Cela dépendra de la capacité de mobilisation spécifique de chacun, dans un contexte de transformation des attentes des citoyens urbains marocains qui posent les deux questions suivantes :

« D’une part, est-ce que ces notables seront capables de renouer avec les transactions électorales massives, et est-ce que d’autre part, les réseaux militants de la FGD pourront se mobiliser localement pour dépasser leurs tensions actuelles internes, à l’image du PSU ?

Des recompositions partisanes qui ne sont pas l’apanage du seul Maroc

« Ceci dit, s’il existe au Maroc un débat constant sur le changement d’étiquette électorale, il convient cependant également de s’interroger sur la liberté des élus de choisir un parti politique qui leur plaît.

« En effet, sachant que les démocraties européennes sont marquées par d’importantes recompositions partisanes (Italie, Espagne, France) et qu’il y a d’importants mouvements d’élus qui changent de parti ou de nombreux candidats qui se présentent sous des étiquettes nouvelles, on est en droit de se demander pourquoi le Maroc devrait faire exception de ces recompositions partisanes.

Des pratiques bénéfiques qui évitent de monnayer les ralliements

« Au final, si lors des dernières élections, ces pratiques sont restées minoritaires (Lahcen Haddad passé du MP au PI), la législation actuelle sur l’interdiction de changement d’étiquette en cours de mandat apparaît comme un bon compromis pour éviter que les élus monnayent leur affiliation », conclut Goeury pour qui ces ralliements permettront aussi d’ouvrir des espaces de négociation et de discussion sur l’orientation des partis à l’approche des scrutins …

 

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