Maroc-Espagne : la crise de Sebta, le coup de trop ?

Dans les médias internationaux, l’exode de milliers de Marocains vers Sebta est devenu le sujet principal dans le traitement de la crise entre le Maroc et l’Espagne. Ou comment Madrid fait oublier la cause originelle de la crise, l’accueil sous fausse identité du chef du Polisario, pour tourner à son avantage, au moins sur le plan de l’image, un match où elle ne peut que perdre.

Arancha Gonzalez Laya et Nasser Bourita à Rabat le 24 janvier 2020-_-_

Maroc-Espagne : la crise de Sebta, le coup de trop ?

Le 21 mai 2021 à 20h59

Modifié 22 mai 2021 à 11h19

Dans les médias internationaux, l’exode de milliers de Marocains vers Sebta est devenu le sujet principal dans le traitement de la crise entre le Maroc et l’Espagne. Ou comment Madrid fait oublier la cause originelle de la crise, l’accueil sous fausse identité du chef du Polisario, pour tourner à son avantage, au moins sur le plan de l’image, un match où elle ne peut que perdre.

C’est un peu comme le match Maroc-Iran de la dernière Coupe du monde de Russie. Le Maroc mène un bon match, contrôlant le jeu pendant toute la durée de la rencontre, avant le malheureux coup de tête de Bouhaddouz contre son camp. Un but qui a tout changé.

Ce qui s’est passé ces derniers jours entre Rabat et Madrid est similaire à cette image de l’équipe gagnante, talentueuse, sûre d’elle, mais qui donne l’occasion à son adversaire de marquer un but. Ou marque carrément contre son camp.

Dans cette crise diplomatique ouverte depuis quelques semaines, il y a un avant et un après Sebta.

Première manche : avantage Rabat

Prise en flagrant délit, avec l’accueil sous fausse identité du chef des séparatistes du Polisario, un recherché de justice accusé en Espagne de crimes de guerre, de viols, de torture et autres atrocités… Madrid s’est mise dans une position peu enviable, devant son partenaire marocain et toute la communauté internationale.

Rabat tenait une cause juste, demandait des explications, prenant à témoin la communauté internationale et l’Union européenne sur cette hypocrisie espagnole vis-à-vis d’un partenaire solide, fiable et très utile.  Les réactions diplomatiques qui s’en sont suivies étaient toutes bonnes, bien ciselées, reflétant comme l’ont reconnu plusieurs pontes des relations internationales, le professionnalisme de la diplomatie marocaine.

Durant cette première manche, le Maroc enchaînait les buts contre les filets madrilènes. Avec de simples communiqués ou déclarations données aux médias, Rabat a réussi à affaiblir le gouvernement de Pedro  Sanchez, à diviser la classe politique espagnole, à montrer au monde entier comment un pays européen, donneur de leçons en matière de droits de l’homme, a accepté d’accueillir sur son territoire un criminel de guerre, violeur et tortionnaire sous un faux nom et un faux passeport.

La position de Madrid était assimilable à celle d’un boxeur mis en échec par son adversaire, relégué dans un coin du ring, prêt à s’écrouler sous les coups qui pleuvent de toutes parts. Y compris de la part de sa propre opinion nationale. Tant elle était incapable de trouver une issue honorable à ce scandale gigantesque, impossible à justifier de manière explicite et convaincante.

Quelle explication les Espagnols auraient-ils pu trouver au fait d’accueillir Brahim Ghali, sans consulter le Maroc, et d’avoir accepté, avec la complicité de l’Algérie, de le faire entrer sur son territoire sous une fausse identité pour lui permettre de fuir la justice ? Et surtout comment ont-ils pu imaginer un seul instant que le Maroc, aux services de renseignement incroyablement efficaces connus du monde entier, n’allait pas découvrir le pot-aux-roses ?

Comme l’a si bien écrit le patron de la MAP, Khalil Hachimi El Idrissi, le stratège émérite qui a accouché de cette idée mérite la médaille de l’idiot utile de l’année…

Jusque-là, le Maroc était aux yeux de l’opinion internationale en position de force. Il avait certes semé le trouble du fait de ses positions offensives - mais amplement justifiées -, aussi bien à Madrid qu’à Alger.

Mais Bouhaddouz apparut... Sur un malheureux coup de tête Sebtaoui surgi de nulle part, il renversa le sort du match, déclenchant une nouvelle manche où on peut le dire sans ambages, Madrid a su, en utilisant subtilement l’art de la guerre de l’image, à occulter la trahison Ben Battouche, et mettre le Maroc dans une position embarrassante vis-à-vis de de la communauté internationale.

Sebta, un coup mal calculé

En provoquant un pic migratoire sans précédent à Sebta – acte qui certainement était destiné à envoyer un message à l’Espagne et lui montrer le coût de sa « trahison » et son ingratitude --, le Maroc a peut-être donné le coup de trop. Au moins au cours des derniers jours, sur le plan de l’image, qui est aujourd’hui une arme beaucoup plus puissante que le plus moderne des chars ou des avions de chasse militaires.

Les scènes de milliers de jeunes Marocains, mineurs, enfants, familles entières avec des nourrissons, arrivant par la mer à la nage à Sebta, ont choqué. Aussi bien sur le plan interne qu’à l’international. Les médias espagnols se sont emparés de ces images pour montrer au monde entier que le Maroc « essaie de les faire chanter en jetant à la mer ses propres enfants », comme ils disent. Saisissant la balle en plein vol, Pedro Sanchez a fait de cette crise maroco-espagnole une affaire européenne.

A fleur de peau, l’opinion européenne est sous le choc. Exit l’affaire Ben Battouche, sur les télés, la presse, les radios, la crise entre le Maroc et l’Espagne est désormais réduite à une crise migratoire. A une tentative de chantage non seulement à l’Espagne, mais à toute la communauté européenne des 27. C'est du moins ainsi que l'on a présenté les choses.

Rabat voulait envoyer un message à Madrid, et c’est finalement Bruxelles qui en a accusé réception, accusant par la voie de plusieurs de ses responsables le Maroc de « non-respect de ses accords avec l’UE » dans des termes parfois très provocateurs et/ ou condescendants, inacceptables.

La migration, selon plusieurs analystes qui se relaient sur les plateaux télés espagnols, français et même arabes (Al Arabiya, Al Jazeera et d’autres…) n’étant pas un sujet bilatéral maroco-espagnol, mais un accord qui lie Rabat à Bruxelles. Le tout sur fond de ces scènes déchirantes d’une jeunesse prête à tout pour fuir son pays.

Une image que Madrid et les Européens exploitent désormais pour montrer, comme on a pu le lire dans un éditorial, d’une rare violence, plein de mépris et au ton condescendant, du journal Le Monde, le « vrai visage » du Maroc.

Après avoir été le maître du jeu, Rabat est momentanément sur la défensive. Le Chef du gouvernement espagnol, au plus bas des sondages après l’affaire Ben Battouche, a réussi, jeudi au Parlement, à resserrer les rangs de la classe politique, majorité et opposition, qui voit désormais en l’offensive marocaine une atteinte à l’intégrité territoriale de l’Espagne. Et qui se dit mobilisé derrière son gouvernement pour arrêter, comme l’a exprimé le président de la ville occupée de Sebta, cette « tentative d’invasion » marocaine.

Les quelques intervenants marocains, invités en duplex par les télés internationales pour analyser la situation, tentent tant bien que mal d’expliquer que le fond du sujet n’est pas la migration, mais l’affaire Ben Battouche. Mais que nenni… Le monde entier a le regard fixé sur cette exode massif des Marocains vers l’Europe, poussant même certains amis du Maroc à douter des intentions de Rabat. Selon eux, le Maroc essaierait peut-être, comme le fait Erdogan par son chantage régulier par la carte de la migration, de favoriser la montée de l’extrême droite dans toute l’Europe, en France en particulier. Chose qui n’est évidemment pas dans l’intérêt du royaume.

Alors que Rabat était, il y a quelques jours, en attente de réponses à ses questions légitimes sur l’accueil de Brahim Ghali, c’est elle aujourd’hui qui se retrouve en position de justifier ce qu’il s’est passé à Sebta. Attendons de voir ce que nous apporteront les prochains jours… Continuons à y croire.

>>LIRE EGALEMENT L'ANALYSE DE ALI BOUABID:

Nous, l'Espagne et l'UE...

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