Nouveau Modèle de Développement : 4 concepts clés à retenir sur la stratégie économique (Youssef Saâdani)

L'économiste Youssef Saadani, membre de la commission spéciale pour le modèle de développement apporte un éclairage sur le financement du nouveau modèle et expose quatre concepts phares de la proposition économique. Verbatim.

Nouveau Modèle de Développement : 4 concepts clés à retenir sur la stratégie économique (Youssef Saâdani)

Le 6 juin 2021 à 16h29

Modifié 6 juin 2021 à 18h59

L'économiste Youssef Saadani, membre de la commission spéciale pour le modèle de développement apporte un éclairage sur le financement du nouveau modèle et expose quatre concepts phares de la proposition économique. Verbatim.

Le nouveau modèle de développement ambitionne de porter le Maroc vers un autre palier de croissance. Deux questions sont alors importantes à poser : Comment ? Et à quel coût ?

Les éléments de réponse à ces deux interrogations ont été apportés par l'économiste Youssef Saâdani, membre de la commission, lors du débat organisé par Médias24 le jeudi 3 mai. La vidéo des propos de M. Saâdani est visible ici.

"Le Maroc gagnera avec le nouveau modèle. Au total, le bilan sera positif pour le pays", avance-t-il avant d'aller dans le détail de la réflexion.

L'ambition affichée de la CSMD est de réaliser une croissance de 6% sur une durée longue. Comment?

"On a réussi dans les année 2000 à accélérer la croissance en arrivant à des pics de 5,5% à 6%, mais sur une courte durée de trois années. Là, on cherche à se hisser à un nouveau régime de croissance pendant une durée plus longue", explique Youssef Saâdani.

"Il y a des pays qui ont réussi à le faire, notamment la Turquie par exemple qui, sur ces dix dernières années  (2010- 2019), a maintenu une croissance de 5,8%. On n'est pas sur des ambitions chimériques ou fantaisistes, mais nous sommes sur un nouveau régime de croissance qu'on ne peut atteindre que par une mobilisation générale et si des réformes structurelles de fonds et des ruptures importantes et décisives sont opérées".

"Ce que l'on sait de la croissance en regardant l'expérience internationale: ce n'est pas en faisant davantage la même chose qu'un pays croît et se développe;  c'est en faisant des choses différentes et à plus forte valeur ajoutée. Ce qui implique qu'on ne fera pas 6% de croissance simplement en augmentant la taille de ce qui existe déjà. On peut le faire si on mise sur la diversification, la montée en gamme et l’internationalisation", avance-t-il.

A partir de cette réflexion, l'économiste explique que l'approche et la philosophie économique du nouveau modèle s'appuie notamment sur quatre concepts clés :

- Le boom de productivité;

- Les gisements de prospérité;

- La révolution entrepreneuriale;

- Les task forces sectorielles.

1.Tripler les gains de productivité chaque année

Au Maroc, la croissance a été traditionnellement portée par l'accumulation de capital.

"Si on veut faire 6% de croissance, l'accumulation de capital ne peut plus être la source principale de croissance. Il faudra trouver un relais de croissance et ce seront principalement les gains de productivité".

"Cela implique de multiplier par trois les gains de productivité annuellement au Maroc".

"A l'échelle macroéconomique, cela représente un défi colossal. Cela veut dire que tous les acteurs, publics ou privés, grands groupes ou PME, doivent devenir plus productifs soit à travers de l'efficience productive (faire mieux avec ce que l'on a), soit de l'efficience allocative (mettre les ressources sur des activités plus porteuses de valeur ajoutée)".

2.Des gisements de prospérité existent partout

"Avant d'aller mener le combat pour la croissance, et commencer cette bataille, il faut faire une revue des troupes. Un inventaire de nos forces. C'est ce qu'on a fait avec la cartographie des gisements de prospérité", explique Saâdani.

"On a regardé domaine par domaine, quelles étaient les potentialités sectorielles sous-exploitées. On a été incroyablement surpris de voir qu'on a concrètement sous nos pieds et autour de nous des potentialités considérables, si elles étaient mieux organisées, pourraient débloquer un potentiel de croissance absolument considérable".

"La spécificité du Maroc, et là c'est un message d'optimisme, c'est qu'il bénéficie d'un mix de potentialités qui est parmi les plus importants au monde. Il y a très peu de pays qui ont un capital naturel aussi abondant, une proximité avec le grand marché qu'est l'Europe, une position géostratégique, un patrimoine immatériel, une diaspora qualifiée, un capital culturel, un marché intérieur intéressant,..".

L'économiste donne l'exemple de plusieurs secteurs sous-exploités, le tourisme en tête.

"Le Maroc attire 7 millions de touristes étrangers, hors MRE. La Turquie attire 40 millions de touristes. Les îles Canaries attirent 15 millions. On peut tourner le problème dans tous les sens".

"On a tout même des atouts extraordinaires. On peut avoir un tourisme balnéaire, un tourisme culturel, un tourisme éco-responsable, on a des villes emblématiques connues dans le monde comme Marrakech,... On a un potentiel considérable pourquoi nous n'arrivons pas à faire 30 ou 40 millions de touristes?", s'interroge Youssef Saâdani.

Il donne également l'exemple de l'aquaculture. "On produit à peu près 1.000 tonnes en aquaculture. Le potentiel identifié est de 300.000 tonnes. C'est qu'il y a un problème".

"Quand on regarde dans le détail,  on voit qu'il y a des gisements de prospérité partout. Et à ce niveau, on appelle de manière très concrète à mettre en place un plan national de transformation économique qui serait un portefeuille de nos ambitions sectorielles".

La CSMD appelle à traduire les potentialités en "des ambitions mobilisatrices, dans un cadre de référence qui soit partagé par tout le monde et qui lie les différents acteurs publics et privés".

3.Cette croissance doit être portée par les entrepreneurs

Qui va aller chercher ces potentialités ? "Ce sont les entrepreneurs, qu'ils soient startuppeurs, PME, grands groupes, ou IDE, ...", répond Saâdani.

"C'est le dynamisme entrepreneurial qui est le moteur de la transformation productive d'un pays".

Mais il y a effectivement un déficit entrepreneurial très important au Maroc. "Pour  produire une révolution entrepreneuriale, il faut comprendre les racines du mal".

"Aujourd'hui, rationnellement l'entreprenariat a un coût supérieur à son bénéfice. Dans le rapport coût/bénéfice, la situation est très dissuasive".

La CSMD a identifié les trois coûts majeurs qu'il faut abaisser pour déclencher la révolution entrepreneuriale:

- Le coût de transaction. "Ce coût est très élevé (barrières réglementaires et administratives)".

- Le coût de production. "Pour qu'un entrepreneur initie un projets d'investissement il faut que ce dernier soit rentable. Il faut par conséquent que les coûts de production soient compétitifs à l'échelle mondiale".

- Le coût de la découverte. "Tout ce qui est nouveau est risqué. Donc ça exige un accompagnement public. Il y a des externalités et il est rentable pour l’État d'accompagner les entrepreneurs vers la découverte de nouveaux métiers plus innovants".

"L'enjeu majeur pour produire cette révolution, c'est changer le rapport coût/bénéfice en abaissant massivement les coûts et en augmentant la probabilité de succès et d'espérance de gain", résume Saâdani.

4.La task force pour lever les obstacles

Il reste un problème à résoudre, celui des contraintes qu'il faut lever. Comment ?  "C'est là où  intervient le quatrième concept des Task force sectorielles", réplique Saâdani.

"Les entreprises qui veulent exploiter les potentiels se heurtent à deux sortes de problèmes. Des problèmes génériques communs à l'ensemble des secteurs (l'éducation, l'environnement des affaires, la formation, la justice,...). Ces problèmes doivent être traités au niveau de politiques publiques structurelles".

"Et il y a des problèmes spécifiques à chaque secteur. Leur résolution doit être au bon échelon d'intervention, c'est-à-dire au niveau du secteur. On propose donc de mettre en place une nouvelle gouvernance des stratégies sectorielles, autour de ces task force qui sont un outil public-privé de coordination".

"L'idée est que le Maroc fixe des ambitions sectorielles dans le cadre d'une politique nationale de transformation, il mandate un groupe de réforme pour une durée limitée avec une mission précise. Ce groupe est composé d'acteurs publics et privés. Il a un chef de file ministériel mais il a aussi un sponsor privé afin de donner de la voix au secteur privé".

Dans le cadre de cette task force, il faut "aligner les intérêts autour d'objectifs chiffrés et d'avoir un mécanisme de suivi et d'arbitrage".

La commission appelle à ce que "ces Task force soit mis assez vite autour d'un portefeuille d'ambitions sectorielles prioritaires".

Les pistes de financements du nouveau modèle

Alors comment financer cette grande ambition ? "Ce qu'on affiche en régime de croisière, c'est à peu près 10 points de PIB en terme d'implication budgétaire, à mobiliser pour les dépenses prioritaires, les dépenses d'avenir identifiées dans le nouveau modèle", répond Youssef Saâdani qui rappelle qu'il y a "toute une partie qui décrit la réflexion sous-jacente à la mobilisation du financement qui doit se faire sans augmentation importante de la pression fiscale".

"On table sur une mobilisation additionnelle, principalement par l'élargissement de l'assiette fiscale qui serait d'ailleurs accompagnée par une baisse de la charge fiscale sur les entreprises exposées à la concurrence internationale", ajoute-t-il.

Ensuite, il y a deux idées principales qui fondent la doctrine du financement. "Il y a l'idée du cercle vertueux. Si on met en place les réformes, cela va déclencher une dynamique de croissance qui va ensuite permettre de financer le modèle de développement. Mais cela se fera à terme, pas immédiatement".

"A court terme, il y a des mesures de rationalisation de la dépense. A ce niveau, il y a des propositions assez fortes sur la mise en place d'une revue générale des dépenses publiques".

Par ailleurs, "il y a une proposition visant à inscrire dans la programmation budgétaire les dépenses d'avenir et de piloter cela de manière pluriannuelle dans le budget, en lien avec la loi organique des finances qui doit être mobilisée pour financer le modèle et dégager des marges de manœuvre dans le cadre d'une soutenabilité à terme du modèle".

L'intervention de Youssef Saâdani peut être visionnée ici.

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