Gazoduc Maghreb-Europe : Non, le Maroc n’a pas arrêté les négociations avec l’Espagne et l’Algérie

El Mundo, un des grands journaux espagnols, a annoncé que le Roi du Maroc a ordonné de mettre fin aux négociations sur le renouvellement du contrat d’acheminement du gaz via le pipeline qui relie, à travers le Royaume, l’Algérie à l’Espagne, et qui arrivera à échéance en octobre. Une « fake news », selon une source sûre marocaine, qui nous confirme que les négociations sont toujours en cours. Détails.

Gazoduc Maghreb-Europe : Non, le Maroc n’a pas arrêté les négociations avec l’Espagne et l’Algérie

Le 15 juin 2021 à 18h49

Modifié 15 juin 2021 à 20h23

El Mundo, un des grands journaux espagnols, a annoncé que le Roi du Maroc a ordonné de mettre fin aux négociations sur le renouvellement du contrat d’acheminement du gaz via le pipeline qui relie, à travers le Royaume, l’Algérie à l’Espagne, et qui arrivera à échéance en octobre. Une « fake news », selon une source sûre marocaine, qui nous confirme que les négociations sont toujours en cours. Détails.

Cet article d’El Mundo n’est pas le premier à prédire la fin du contrat qui relie l’Algérie, le Maroc et l’Espagne depuis un quart de siècle et qui arrive à échéance en octobre 2021.

Depuis l’éclatement de la crise diplomatique entre Rabat et Madrid, plusieurs organes de presse algériens et espagnols ont avancé que le Maroc allait utiliser le non-renouvellement du contrat gazier comme représailles contre son voisin ibérique. Quand d’autres avançaient que c’est l’Algérie qui n’est plus favorable à ce deal entré en vigueur en 1996 et par lequel la Sonatrach fournit plus de 10 milliards de m3 de gaz à l’Espagne et au Portugal via ce pipeline long de 1.300 km (dont 540 km passant par le territoire marocain).

Le 20 mai, El Confidencial, autre organe de presse espagnol, écrivait que Madrid et Alger avaient déjà anticipé ce coup marocain, en négociant un deal qui permettrait de détourner les approvisionnements passant par le Maroc, en utilisant le gazoduc Medgaz, qui relie directement Béni Saf en Algérie au port d’Almeria en Andalousie. Un gazoduc qui fournit actuellement 60% des besoins de l’Espagne en gaz, et dont les capacités ont été augmentées, selon la presse algérienne, pour permettre à l’Algérie d’y faire passer les 10 milliards de m3 qui transitent, jusque-là, par le Gazoduc Maghreb Europe.

« Les négociations sont toujours en cours », selon une source marocaine

Face à ces informations récurrentes, le Maroc n’a pas réagi pour l’instant. Et ne compte pas réagir via les médias, comme nous l’affirme le ministre de l’Energie et des mines Aziz Rabbah.

« On ne répond pas aux rumeurs de la presse. Et on ne peut pas l’empêcher d’écrire ce qu’elle veut. Si on voulait répondre, on aurait publié un communiqué pour préciser les choses », nous dit le ministre, qui refuse ainsi de commenter le sujet, nous affirmant que « ce genre d’affaires ne se traite pas par médias interposés ».

Une source de haut niveau dans le secteur de l'énergie nous a répondu par un bref démenti lorsque nous l'avions questionnée au sujet d'une rupture du contrat ou des négociations.

Mais une source sûre, très proche du dossier, a accepté de nous parler en exigeant le OFF. Son discours et ses déclarations réfutent tout ce qui a été publié ces derniers temps autour de ce sujet, et démentent de manière formelle l’information publiée par El Mundo.

« Ce qui s’écrit dans la presse depuis quelques semaines n’est pas vrai. Les discussions autour du renouvellement du contrat continuent et se poursuivent de manière normale. Les négociations portent notamment sur l’aspect technique et commercial du contrat. On ne peut pas arrêter un contrat de ce genre du jour au lendemain », affirme notre source, tout en expliquant que « les intérêts économiques dépassent les conflits passagers qu’il peut y avoir entre les différentes parties ».

L’expérience des 25 dernières années lui donne raison. Les relations entre le Maroc et l’Algérie ont de tout temps été tendues, compliquées. Et des crises diplomatiques avec l’Espagne, le Maroc en a connues plusieurs en ce quart de siècle. La plus emblématique étant celle de l’îlot Leila, qui a failli déboucher sur une guerre entre Rabat et Madrid en 2002. Mais aucune de ces crises ni de ces tensions n’a remis en cause ce contrat commercial…

Qu’est-ce qui a changé pour que le Maroc décide aujourd’hui de freiner un deal Maghreb-Europe qui a toujours fonctionné ? « Rien », nous dit notre source, qui ne comprend pas « ces manœuvres médiatiques », qui selon lui « n’auront de toutes les façons aucun impact ou influence sur les négociations ».

« Nous sommes dans des négociations purement commerciales, entre clients, acheteurs et propriétaires de l’infrastructure. Je ne pense pas que ces manœuvres puissent influencer quoi que ce soit », estime notre source.

Nous tenons à préciser que notre source ne dit pas si le contrat sera renouvelé ou pas. Mais affirme simplement que les négociations sont toujours en cours et que le Maroc n’est pas dans une logique de représailles ou de guerre commerciale contre l‘Espagne, comme avancé par la presse ibérique ou algérienne sur ce dossier. A quoi aboutiront ces négociations ? Seul l’avenir nous le dira.

Le deal entre les trois parties prévoit pour rappel l’approvisionnement de l’Espagne pour une quantité de 10 millions de m2 de gaz par an produits par la Sonatrach, via ce gazoduc qui passe par le Maroc. En contrepartie du droit de passage, le Maroc obtient une redevance en nature et en numéraire. Ces 10 milliards de m3 alimentent également le Portugal et représentent près de 15% des besoins de l’Espagne en gaz.

Des négociations, deux scénarios et une certitude

Si les négociations sont toujours en cours, on n’en connaît pas encore l’issue, comme dans tout deal commercial. Mais deux scénarios sont sur la table : la rupture du contrat ou son renouvellement. Un renouvellement qui peut se faire aux mêmes conditions actuelles ou à des conditions différentes. Et dans les deux cas, le Maroc est dans une position confortable, nous explique notre source.

En cas de renouvellement du contrat, ce sera « business as usual ». Le gaz continuera de passer de l’Algérie vers l’Espagne. Et le Maroc continuera d’obtenir sa redevance en numéraire et en nature.

« C’est ce qui serait le plus logique d’un point de vue économique », selon notre source. Car l’Espagne, explique-t-il, n’a pas intérêt à dépendre d’une seule source d’approvisionnement pour ses besoins en gaz. « Le Gazoduc Medgaz (directement entre l'Algérie et l'Espagne) peut répondre aux besoins de l’Espagne, mais il s’agit d’une question de sécurité. Avoir une seule source d’approvisionnement est très risqué, en cas de survenance d’un problème technique, d’un accident ou d’un changement de stratégie commerciale de l’Algérie comme ce qui s’est passé en 2020 », indique notre source.

En 2020, l’Algérie avait en effet diminué ses transferts de gaz à l’Espagne via Medgaz, sans en alerter son client, qui vivait pourtant une des plus grandes vagues de froid de son histoire. Alger ayant préféré dealer avec la Chine et le Japon qui lui proposaient des prix plus intéressants que ceux, fixes, négociés avec Madrid.

Prétexte présenté alors par Alger face aux réclamations espagnoles : « des problèmes lors du traitement du gaz, qui ont entraîné des retards dans l’approvisionnement par gazoduc », comme le rapportait à l'époque la presse espagnole. Un argument qui n’a pas convaincu Madrid, restée depuis suspicieuse à l’égard des arguments algériens.

Par sécurité donc, l’Espagne n’a pas intérêt à dépendre à 100% du gazoduc Medgaz. Et préférera toujours avoir le gazoduc Maghreb Europe comme alternative d’appoint. Ce qui arrange aussi bien les intérêts de l’Algérie, du Maroc que de l’Espagne…

Reste le deuxième scénario : celui d’un échec des négociations et d’une rupture du contrat pour une raison ou une autre, soit de la part de l’Algérie ou de la part du Maroc.

Notre source se dit là aussi confiante. « Je ne suis pas devin, mais je ne pense que la rupture viendra du Maroc. Quant à l’Algérie, elle ne peut pas décider toute seule de rompre le contrat. Car dans l’autre bout de la chaîne, il y a les clients espagnols et portugais qui n’ont pas intérêt à dépendre d’une seule source d’approvisionnement », nous dit-il.

Mais en cas de rupture, le scénario catastrophe décrit par la presse algérienne qui prédit une grande crise économique au Maroc à cause de la perte de la redevance gazière, aussi bien en argent qu’en gaz, n’aura pas lieu.

Côté argent, la redevance touchée par le Maroc n’a pas dépassé les 500 millions de dirhams en 2020, selon les données du ministère marocain des Finances, soit une baisse de plus de 50% par rapport à 2019. Une baisse de recettes due à la chute des prix des produits énergétiques et de la baisse de la demande en Europe induite par la crise du Covid. Le plus gros montant touché par le Maroc depuis l’entrée en vigueur de ce contrat a été de 2,4 milliards de dirhams. Et c’était en 2014, en plein pic des prix du pétrole et des produits énergétiques.

En cas de rupture, le Maroc perdait donc entre 2,4 milliards et 500 millions de dirhams. Une quantité négligeable dans un budget étatique de plus de 228 milliards de dirhams, hors produits des emprunts.

Côté redevance en gaz, là aussi les pertes ne produiront aucun effet sur l’économie marocaine, selon notre source.

« La part de gaz que le Maroc tire du gazoduc est destinée exclusivement à l’ONEE pour la production d’électricité. Cette quantité n’est pas utilisée pour répondre à la consommation régulière d’électricité, mais intervient uniquement en cas de pic de consommation. Le Maroc, selon le contrat qui le lie à l’Algérie et l'Espagne, est obligé de consommer cette quantité, à un prix fixe. Mais si cela s’arrête demain, plusieurs alternatives existent, notamment les approvisionnements en gaz naturel liquéfiés (GNL) », confie notre source.

Des approvisionnements qui peuvent provenir de plusieurs destinations, et des fois à des prix meilleurs : « Le Maroc peut s’approvisionner d’Asie, mais les prix sont exorbitants. Il y a aussi des fournisseurs en Europe qui proposent des prix moins élevés. Ou même aux Etats-Unis où les prix sont encore moins chers qu’en Europe », explique-t-elle.

Tout cela pour dire que l’ONEE ne sera pas en panne. Car il peut s’approvisionner ailleurs selon les conditions du marché, et même en Algérie, comme le rappelle notre source : « Au-delà du gazoduc, l’ONEE a un contrat direct avec la Sonatrach. C’est un contrat qui engage la société algérienne et qui ne peut l’arrêter comme bon lui semble. Quand il y a des impératifs stratégiques, on est obligé de multiplier les vannes, les options… », ajoute notre source.

Mais qu’en est-il de la production interne de gaz, notamment celle de Sound Energy ? Peut-elle représenter une alternative pour le Maroc en cas de volte-face algérienne ?

« Pas vraiment », nous dit notre source. « Le seul projet en cours, c’est le GNL qui va alimenter l’industrie locale à partir de Tendrara. C’est un projet en phase préliminaire. Mais dont la concrétisation est imminente. Ce n’est qu'une question de temps, de financement, de signature de contrats… ».

Et le gaz de Tendrara n’a pas vocation à alimenter l’ONEE mais plutôt l’industrie locale.

« Dans un premier temps, l’objectif est de produire 100 millions de m3 par an. Mais ça servira à couvrir des besoins industriels, comme ceux des producteurs de céramique », détaille notre source.

Le gaz de Tendrara ne représente donc pas une alternative au gaz algérien, qui n’est pas utilisé d’ailleurs pour l’industrie. Quant à l’ONEE, il a, selon notre source, une palette de choix et d’options activables rapidement pour pallier à toute situation…

Conclusion : cette histoire racontée par la presse espagnole et algérienne n’est finalement qu’une tempête dans un verre de…gaz !

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