Dr Tayeb Hamdi : Sauf vaccination rapide, pas de retour à la vie normale avant fin 2022

Depuis quelques semaines, le milieu médical est confronté à une multiplication de cas de Covid et de patients admis en réanimation dont une partie croissante décède. Si la situation sanitaire marocaine est bien meilleure que celle qui prévaut chez le voisin tunisien, le Dr Tayeb Hamdi n’exclut pas une nouvelle mutation du virus qui retarderait le retour à la vie normale à fin 2022 ou début 2023.

Dr Tayeb Hamdi : Sauf vaccination rapide, pas de retour à la vie normale avant fin 2022

Le 15 juillet 2021 à 20h14

Modifié 16 juillet 2021 à 8h05

Depuis quelques semaines, le milieu médical est confronté à une multiplication de cas de Covid et de patients admis en réanimation dont une partie croissante décède. Si la situation sanitaire marocaine est bien meilleure que celle qui prévaut chez le voisin tunisien, le Dr Tayeb Hamdi n’exclut pas une nouvelle mutation du virus qui retarderait le retour à la vie normale à fin 2022 ou début 2023.

Médias24 : Avec la remontée actuelle des cas, est-ce que le Maroc est dans une quatrième vague ?

Dr Tayeb Hamdi : Pas vraiment car notre pays n'a pas vraiment connu une troisième vague. En effet, le Maroc a agi de manière anticipative avec des mesures restrictives renforcées qui ont empêché l'avènement d'une troisième vague.

En réalité, ce qui se passe aujourd’hui est plutôt une troisième vague et pas une quatrième comme ce qui se passe Europe.

Nous sommes dans les prémices d'une 3ème vague qui a de fortes chances de se confirmer dans les semaines à venir.

Certes, il y aura un nombre croissant de contaminations mais la vague sera différente des précédentes en termes de dégâts dans les hôpitaux avec normalement un nombre moins élevé de décès et de réanimations.

-Pourtant le nombre de cas croît rapidement. A partir de quel chiffre faut-il s'inquiéter ?

-Quand le variant Delta a été détecté en Inde et que les études ont montré en Grande-Bretagne qu'il était 60 % plus rapide que son prédécesseur Alpha, le milieu médical marocain a exprimé son inquiétude.

En effet, un variant qui se répand aussi vite avec une virulence accrue qui démarre dans un pays même lointain comme l'Inde ne peut qu'inquiéter l'ensemble de la planète car on a vu dans le passé qu'on ne peut pas l'arrêter.

Si on avait les moyens de le faire, nous aurions déjà arrêté la première souche du Wuhan, ce qui s'est avéré impossible.

-Qu'a-t-il de vraiment différent des premières souches, classique puis Alpha ?

-Le variant Delta qui fait partie des variants inquiétants est le même coronavirus, sauf qu'il a connu des mutations qui lui ont conféré des caractéristiques nouvelles.

Ce variant est porteur de deux mutations majeures à savoir d'une part qu’il se propage beaucoup plus vite que l'Alpha qui lui-même se propageait 60 % plus vite que la souche classique et que d'autre part, qu'il déjoue et affaiblit l'immunité de quelqu'un qui se retrouve moins protégé que contre la souche classique ou Alpha.

S’il donne lieu à 2 fois plus d’hospitalisations qu’Alpha, il n'y a pas d'étude qui prouve un taux de létalité plus important mais quand un variant est plus transmissible, même sans être plus létal ou plus virulent, il va quand même tuer beaucoup plus que les souches précédentes.

Ainsi, si au début du mois on a 200 décès, le mois suivant avec un variant qui se propage plus vite on aura 6 à 7 fois plus de nombre de morts, cette dynamique mortifère continue de manière exponentielle.

En réalité, les décès ne sont donc pas attribués à la virulence du virus mais plutôt à la multiplication des cas.

-23.000 tests par jour sont-ils suffisants pour suivre correctement l'épidémie ?

-Pas du tout.

-Dans ce cas, il faudrait passer à combien de tests ?

-Quel que soit le chiffre, l’échantillon ne sera jamais suffisant car on ne verra qu'une petite partie de l’épidémie et qu’il y a beaucoup de paramètres à couvrir pour avoir une véritable vision globale.

Vu que ça peut aller du simple à 40 fois, il n'y a pas de moyenne recommandée en matière de tests.

-Avec 113 nouvelles réanimations mercredi 14 juillet, le Maroc est-il en voie d’être débordé ?

-Plusieurs service de réanimation qui étaient fermés ont dû rouvrir leurs portes comme, par exemple, ceux de Fès qui étaient saturés la semaine dernière et ceux de Casablanca.

-Pourtant le taux d'occupation des lits de réanimation n'est que de 12% ?

-C'est un chiffre national mais au niveau des villes, c'est différent avec de nombreux services de réanimation qui commencent à saturer.

-Y a-t-il un risque d'arriver à la situation catastrophique de la Tunisie ?

-L’effondrement éventuel de notre système de santé nous inquiète beaucoup car il aurait des conséquences bien plus dramatiques que le coronavirus.

En effet, quand vous avez 100 personnes qui attrapent le virus, 80 personnes vont guérir spontanément avec n'importe quel variant ou souche classique soit 80 % d'un échantillon de 100 personnes.

15 % auront besoin de soins modérés comme un peu d'oxygène dans les services hospitaliers ou dans un simple cabinet médical où certains devront réadapter leur traitement de cardiologie, de diabète…

En dernier lieu, 5 % des patients infectés devront aller en réanimation dont un décèdera donc au final sur 100 personnes nous aurons perdu une personne.

Maintenant, admettons que le système de santé s'effondre avec des hôpitaux surchargés qui ferment et ne peuvent plus admettre personne comme cela s'est passé récemment en Inde.

Les 80 personnes vont continuer à guérir spontanément mais parmi les 15 qui avaient besoin de petits soins, une petite partie va mourir et les 5 qui doivent aller en réanimation où il n'y a plus de place vont tous décéder.

Sur les 100 personnes infectées au départ, on va donc perdre 7 au 8 personnes au lieu d'une seule.

La gravité de l'épidémie aura donc été multipliée par 8, faute de soins disponibles.

De plus, une personne qui sera victime d'un accident de la route ou d’un problème cardiaque (AVC …) et qui aurait pu être sauvée en réanimation va également mourir.

Au final, l'effondrement du système de santé va donc multiplier par 9 ou 10 le nombre de décès.

-Est-ce que le Maroc peut arriver à ce schéma catastrophe ?

-Jamais, parce que c'est le rôle de l'État est justement de prévenir ce scénario.

-A-t-on suffisamment de respirateurs et de lits de réanimation ?

-Aucun pays au monde n'a suffisamment de matériel de réanimation.

-Dans ce cas comment pouvez-vous être sûr de vous ?

-Parce que l'État pourra intervenir avant les signes d'alerte en imposant des mesures restrictives.

-Un nouveau confinement ?

-En effet, il pourra fermer en amont et ne pas attendre que les choses s'aggravent en aval.

-Comment expliquer le fait qu’une bonne partie de la population soit vaccinée et qu'il y a de plus en plus de contaminations et même de morts ?

-Aujourd'hui, 30 % de la population âgée de plus de 40 ans est doublement vaccinée (environ 10 millions de Marocains) mais le problème est qu'une partie des personnes à risque de cette classe d'âge n’est pas vaccinée.

Cela donne 80% à 85 % des 40 ans et plus qui sont vraiment immunisés mais si ce taux apparaît réjouissant, les 15% à 20 % qui ne sont pas encore vaccinés représentent encore près de 2 millions de personnes.

Depuis son apparition, le virus Delta a commencé par toucher essentiellement les jeunes à cause du fait que ces derniers se déplacent beaucoup plus et respectent beaucoup moins les mesures-barrière.

Après quelques semaines, il a fini par contaminer les parents et proches plus âgés non vaccinés même s'ils se protègent mieux en termes de mesures-barrière et ne sortent pas beaucoup dans la rue.

Partant de là, parmi les 2 millions de personnes non vaccinés, le Delta pourra donc tuer des milliers de personnes.

     -Quid des personnes complètement vaccinées ?

-Elles peuvent aussi attraper le virus mais dans une proportion très minime car le taux d'efficacité de la double vaccination est de 80 % soit 80 personnes sur 100.

Les 20 restants pourront l’attraper avec des symptômes très légers ou au pire sous une forme moyenne.

     -Sans aucun décès ?

-Les études actuelles montrent une efficacité de 94 % contre une hospitalisation et de 97 % contre les décès.

     -En d'autres termes, il reste 3 % ou 3 personnes qui peuvent mourir ?

-Oui mais cela concernera surtout des personnes âgées déjà porteuses de maladies graves (cancer, diabète …) que la vaccination ne va pas protéger à 100 %.

Mais au final, il y aura très peu de décès parmi les personnes vaccinées. Récemment par exemple, il y a eu une personne vaccinée qui est décédée à Meknès dont tout le Maroc a parlé mais c'était un événement exceptionnel.

A contrario, aux États-Unis, 99,2 % des décès ont été attribués à des gens non vaccinés.

     -Est-ce que le variant Delta s'attaque plus facilement aux jeunes ?

-Jusqu'à présent, il n'y a aucune étude qui montre une affinité spéciale pour les jeunes mais encore une fois, il est tout à fait normal dans les premières semaines de propagation qu’un variant plus rapide comme le Delta commence d’abord par s’attaquer aux jeunes qui sont beaucoup plus mobiles et donc à risque.

     -Combien de millions de Marocains faudra-t-il vacciner pour arriver à une immunité collective ?

-Pour arriver à une immunité collective, il faudra faire en sorte qu'elle soit nationale mais aussi internationale.

En effet, si on vaccine 100 % des Marocains, on ne pourra pas éviter que le virus continue de circuler sur la planète et qu'un nouveau variant arrive et remette en cause l’efficacité de la vaccination.

     -Le Maroc n’est donc pas à l'abri d'un nouveau variant qui ruine tous ses efforts ?

-En effet, personne ne peut savoir si une nouvelle souche ne va pas affaiblir le vaccin.

Sur le plan scientifique, les vaccins garderont toujours une certaine efficacité mais on ne sait pas si elle sera suffisante pour protéger la population vaccinée.

C'est la raison pour laquelle il faut vacciner le plus vite possible  l'ensemble de la planète car si on vaccine l'Amérique et qu’on laisse le virus circuler en Asie et en Afrique, c'est comme si on n'avait rien fait du tout.

     -A quel horizon pourra-t-on arriver à l'immunité collective ?

-Il est difficile de vous répondre car nous ne maîtrisons pas le calendrier des livraisons de vaccins.

Ceci-dit, avec l’ancien variant Alpha, il nous fallait un taux de couverture vaccinale de 70% mais aujourd'hui avec le développement du nouveau Delta, nous devons arriver à un taux de vaccination des Marocains d’au moins 85 %.

Sachant que la Grande-Bretagne pense revenir à une vie quasi normale avec un taux de vaccination de 70 %, peut-être que le Maroc y arrivera avec un taux de 55 % car nous avons la chance d’avoir une population jeune qui présente moins de risques que les populations âgées européennes.

-Une question que beaucoup de Marocains se posent, un nouveau confinement national est-il possible ?

-Les mesures restrictives comme le couvre-feu, le confinement, l'arrêt de la circulation ... font désormais partie de la pharmacopée pour lutter contre le virus et personne ne peut exclure qu'on y fasse à nouveau appel.

Il est cependant inimaginable qu'on laisse la situation s'aggraver jusqu'à devoir arriver à cette extrémité qui imposerait un confinement national et général.

-On peut donc agir pour éviter cette alternative ?

-Oui, car si Casablanca flambe, il faudra fermer la ville au lieu d'attendre que tout le Maroc flambe à son tour.

 -En d'autres termes, vous ne l'excluez pas complètement ?

-Sur le plan théorique, certainement pas car c'est un outil qui peut s'avérer nécessaire en cas d'apparition d'un nouveau variant plus grave.

-Sachant que dans de nombreuses régions du Maroc, plus personne ne porte le masque et que l’Aïd El Kebir sera l'occasion de grands rassemblements familiaux, faut-il s’inquiéter sur une flambée des cas ?

-En effet, à titre personnel, j'ai beaucoup plus peur du variant marocain que du variant indien à savoir du relâchement actuel total des comportements qui m'inquiète de plus en plus.

On ne peut pas laisser la population otage des comportements irresponsables de certains qui ne respectent pas les mesures barrières.

Sachant que tous les endroits fermés qui présentent un risque de contamination ont un responsable (cafés, restaurants, mosquées ..), Il suffit de les fermer en cas de non-respect.

     -Vous préconisez donc la fermeté face aux comportements irresponsables ?

-En France par exemple un projet de loi prévoit une amende de 45000 € d'amende pour ceux qui laisseraient rentrer des gens sans pass sanitaire.

Au Maroc, en cas de récidive, il faut être sans pitié et fermer l'établissement.

     -Avec 20.000 nouveaux cas par jour, le système de santé marocain serait-il saturé ?

-Cela dépendra du nombre de cas de réanimation qui seront engendrés mais il faut agir avant, avec des mesures restrictives pour ne pas arriver à un tel scénario.

-A partir de combien de cas par jour, y a-t-il un risque d'explosion ?

-Il faudrait connaître le chiffre exact de patients touchés par le variant Delta pour répondre à votre question.

-En étant réaliste, le retour à la vie normale aura lieu à quel horizon ?

-S'il n'y a pas d'émergence de nouveau variant, à la fin de 2022 ou au début de 2023 mais sans certitude.

A contrario, si on continue à vacciner rapidement et que l’on respecte les mesures barrières, le retour à une vie presque normale pourra se faire à la fin de l'année courante.

-Quand pourront rouvrir les boîtes de nuit qui sont le pire cauchemar des épidémiologistes ?

-Après une large vaccination nationale, on pourra ouvrir les boîtes de nuit, qui sont en effet les lieux les plus risqués en termes de contamination, pour les seuls clients qui disposent de pass vaccinal.

-Que pensez-vous des personnes qui affirment qu’imposer un pass vaccinal pour se rendre dans divers endroits (cinéma, restaurants …) est attentatoire à leur liberté ?

-D’abord, je me dois de rappeler que la vaccination est obligatoire dans plusieurs cas de figure comme le BCG pour les enfants, la fièvre jaune pour voyager en Afrique ….

-Donc cette nouvelle obligation vaccinale ne vous choque pas ?

-Je n'ai aucun problème avec ceux qui refusent de se faire vacciner en prétextant une atteinte à leur liberté même si mon rôle de professionnel de la santé est de protéger un maximum de personnes.

Mettre sa ceinture de sécurité dans une voiture, c'est pour se protéger soi-même et pas pour les autres mais si quelqu’un prend le risque de se faire tuer dans un accident, ça le regarde.

Mais je trouve grave qu’une personne non vaccinée se promène dans la rue et infecte les autres.

En effet, ce réservoir de virus fait prendre des risques à toute la société qui va infecter de nombreuses personnes, nous devrons peut-être fermer des restaurants, des écoles voire tout un pays sans parler de service de réanimation qui seront saturés à cause de son inconscience.

Au final, chacun a le droit d'agir comme il veut mais la liberté a ses limites quand elle touche à la santé voire à la vie des autres

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