Élections 2021: Trompettes, coups de canon et lâcher de colombes ?

Premier bénéficiaire du nouveau quotient électoral en termes de sièges, le Rassemblement national des indépendants (RNI) pourrait renforcer son poids politique. Les performances qu’il réaliserait aux prochaines élections restent, cela dit, difficiles à prédire.

Élections 2021: Trompettes, coups de canon et lâcher de colombes ?

Le 16 juillet 2021 à 20h24

Modifié 17 juillet 2021 à 7h58

Premier bénéficiaire du nouveau quotient électoral en termes de sièges, le Rassemblement national des indépendants (RNI) pourrait renforcer son poids politique. Les performances qu’il réaliserait aux prochaines élections restent, cela dit, difficiles à prédire.

Les législatives de 2016 ont été crépusculaires pour le Rassemblement national des indépendants (RNI). Arrivé quatrième avec 37 sièges, dont 28 aux circonscriptions locales et 9 grâce à la liste nationale, le parti avait perdu d’une seule traite 19 mandats: en 2011, il occupait la troisième position et disposait d’un groupe parlementaire de 52 députés.

La situation du RNI en 2016 était singulière, dit le géographe David Goeury, membre du think-tank Tafra et chercheur associé au Centre Jacques Berque de Rabat. Pour expliquer le délabrement des scores du parti, le géographe met en avant plusieurs facteurs: prédation du Parti authenticité et modernité (PAM), qui a pillé nombre de candidats (et de sièges) au RNI, faible implication du leadership dans les campagnes, vu que l’attention de Salaheddine Mezouar était captée par la COP 22. « Donc, les dernières législatives n’offrent pas vraiment un aperçu fiable de la capacité électorale du RNI. Il est préférable d’observer le score du parti lors des élections communales et régionales de 2015 durant lesquelles il avait réussi à mobiliser 886 000 électeurs contre seulement 558 000 en 2016 », estime le géographe.

En 2021, en plus de bénéficier de l’effort de redressement mené dès 2017 par l’actuelle direction, et dont témoignent les victoires du parti dans des législatives partielles, le RNI devrait également tirer parti du nouveau quotient.

Selon les projections réalisées par Médias24 avec les scores des législatives de 2016 publiés par le think-tank Tafra, la nouvelle règle de calcul allouerait 39 sièges au RNI dans les circonscriptions locales, alors qu’il en remportait 28 à l'ancien quotient. Ce score ferait du RNI le premier parti bénéficiaire du nouveau quotient en termes de sièges.

L'étude des scores du RNI aux dernières législatives permet de déduire qu'il s'agit du parti le plus souvent et le plus directement affecté par des victoires multi-sièges dans les grandes villes: il occupe les dernières positions correspondant aux derniers sièges, et un grand écart le sépare du parti arrivé premier, PJD ou PAM selon les cas. Lorsque le parti en tête d'une circonscription remporte plus d'un siège, le RNI est automatiquement exclu de la dévolution des mandats.

À partir du moment où un score élevé ne permettrait plus l'accès à un plus d'un siège, le RNI gagnerait un accès à des mandats supplémentaires. Neuf des onze nouveaux sièges qu’il gagnerait au nouveau quotient proviendraient de l'urbain: trois, rien qu'à Casablanca (Aïn Chock, Sidi Bernoussi et Moulay Rachid), deux à Rabat (Rabat-l'Océan et Skhirate-Témara), un à Tanger-Assilah, un à Fès-Nord, un à Marrakech-Médina et un à Safi. Les deux sièges restants émaneraient des provinces à dominante rurale de Kelaât Es-Sraghna et de Rehamna.

 

Du solide, du concurrentiel et du volatil

Les critères retenus dans cette série d'articles pour mesurer le caractère robuste, concurrentiel ou volatil d'un siège ne changent pas.

Nous considérons que la sûreté d'un siège dépend de la position de son titulaire dans le classement, en fonction:

-du nombre de sièges en jeu (les sièges acquis en première et en deuxième positions dans des circonscriptions de plus de trois sièges sont les plus solides, concurrentiels au-delà de la deuxième position et jusqu'à l'avant-dernière position, et volatils en dernière position);

-de la nature de la circonscription (si elle est convoitée ou non, si les partis ont l'habitude d'y présenter des listes très compétitives);

- de l'écart de votes avec le parti suivant, qui pourrait faire basculer le siège en cas de recul du parti gagnant, en prenant en considération qu'un écart de 2.000 voix par exemple ne vaut pas la même chose selon que l'on soit à Nador (75.650 suffrages valides en 2016, PAM en première position avec 13.974 voix) ou à Aousserd (6.064 votes valides en 2016, USFP arrivé premier avec 1.997 suffrages);

-enfin, est également prise en compte la compétitivité et le potentiel électoral du parti suivant.

D’autres critères comme le bilan du parti dans la circonscription, les rapports de force locaux ou encore l’écart de voix séparant les partis ayant obtenu des sièges avec ceux qui n'en obtiennent pas, peuvent compléter les précédents.

Sur les 39 mandats qu'aurait obtenu le RNI avec le nouveau quotient en 2016, huit auraient constitué des sièges solides, 18 des sièges concurrentiels et 13 très concurrentiels, voire précaires.

Étant donné le nombre important de sièges remportés par le parti, qu'il nous sera difficile de discuter dans le détail, nous ne reviendrons dans cet article que sur des cas particuliers, ainsi que sur des choix de catégorisation qui peuvent paraître arbitraires, sinon aller à l'encontre des scores du parti, et qui nécessitent donc justification.

D'abord, les sièges réellement gagnés en 2016. Nous choisissons de considérer comme sûr, et non pas concurrentiel, le mandat remporté par le parti à Benslimane (3 sièges) en deuxième position du classement. Ceci, en raison du très faible écart de 133 votes séparant le RNI de l'Istiqlal arrivé premier, et de la différence de 2.628 suffrages avec le PJD, arrivé troisième. À Benslimane donc, le RNI se trouve plus proche de la première position que de la troisième.

Il en va de même pour Tiznit (2 sièges) où le RNI arrive deuxième, mais à 202 voix de distance du PJD qui se classe premier, et en creusant un écart de 7.479 suffrages avec le PAM, troisième.

En revanche, à Bzou-Ouaouizaght et à Driouch où le RNI arrive deuxième sur trois, nous considérons ces sièges comme concurrentiels en raison de l'écart significatif avec le parti arrivé premier (le PAM à une distance de 6.134 voix à Bzou, et le MP à 3708 à Driouch), et le faible écart le séparant du parti suivant (l'UC à 669 suffrages à Bzou-Ouaouizaght, et le PAM à 396 à Driouch). De plus, le RNI dispose de moins de 2.000 voix d'avance sur le parti arrivé quatrième, qui n'obtient aucun siège (1989 voix d'écart avec le MP à Bzou-Ouaouizaght et 1.723 avec l'AHD à Driouch). Pour ces raisons, ces victoires ne peuvent être considérées comme solides, mais concurrentielles — sans pour autant être précaires.

À Errachidia, il a été choisi de considérer comme très concurrentiel, voire précaire, le mandat remporté par le RNI en 2016 à l'ancien quotient, en raison de l'invalidation de l'élection de Mustapha El Omari en 2020 suite à sa condamnation par la chambre des crimes financiers de la Cour d'appel de Fès. L'élection partielle qui s'est tenue début 2021 a accordé le siège vacant à l'USFP à 10.756 votes, contre 10.729 pour le RNI et 9.201 pour le PJD. Une course serrée et un très faible écart qui attestent de deux choses: la conservation des forces du parti de la colombe au niveau de la circonscription malgré la perte d'un siège, et la relative décroissance électorale du PJD.

Il serait cependant faux de considérer les scrutins partiels comme d'authentiques législatives à l'échelle 1/92, et qu'elles offrent un aperçu fiable, mais « miniaturisé », de l'horizon politique qui se dessinerait le 8 septembre: le taux de participation et les dynamiques du vote ne sont pas les mêmes, pas plus que les ressources déployées par les partis, et pas davantage que les scores engrangés par les candidats. Les élections partielles constituent, cela dit, un indicateur intéressant de l'état des forces à un moment donné. Et, lorsqu'elles n'entraînent pas un important déclin électoral d'un parti, il est permis de penser qu'il pourrait maintenir ses scores.

À Guelmim, autre circonscription où le RNI gagnait un siège à l'ancien quotient, le départ du député Abderrahim Bouaida en direction de l'Istiqlal risque de peser sur les chances du parti, d'où la classification de ce siège comme volatile. Par ailleurs, le parti n’y disposait que d’un écart de 707 voix face au PJD, qui le talonnait de près.

Démissions et adhésions: au revoir et bonjour

La totalité des nouveaux sièges que le RNI aurait gagné au nouveau quotient auraient été concurrentiels (Rabat-l'Océan, Skhirat-Témara, Aïn Chock, Moulay Rachid, Tanger-Assilah, Marrakech-Médina) ou très concurrentiels (cas de Fès-Nord, de Sidi Bernoussi, de Safi, de Kelaât Es-Sraghna, et enfin de Rehamna), étant donné qu'ils découleraient des dernières positions du classement. Les variables les plus importantes sont l'écart de voix avec le parti suivant, et sa capacité électorale.

Malgré l'arrivée du RNI en dernière position dans certaines circonscriptions (celles de Moulay Rachid et de Marrakech-Médina à titre d'exemple), un confortable écart le sépare du parti suivant, ce qui nous permet de classer ces sièges non comme menacés ou à risque, mais en tant que sièges concurrentiels.

Le siège le plus précaire du RNI est celui de Fès-Nord, qui aurait été gagné au nouveau quotient. Arrivé quatrième avec 2.304 suffrages, le RNI disposerait d'une pudique marge de 69 votes face à son challenger, l'USFP, qui se classe cinquième. L'écart séparant le RNI du parti occupant la troisième position, soit le PAM (8.237 suffrages), est nettement plus grand: 5.933 votes.

L'activité du parti dans la région de Fès-Meknès renseigne sur sa volonté d'améliorer ses chances aux prochaines législatives: consolidation des bureaux locaux et plus largement les organes régionaux du parti, effort de recrutement, etc. Cela dit, il devrait faire face à une forte compétition, et composer avec des accrocs qui font peser un risque de déclin d'orbite: passage de l'ancien ministre Mohamed Abbou à l'Istiqlaldéchéance commerciale de Badr Tahiri, dont il résulte son inéligibilité à la fonction publique élective pour une durée de cinq ans. Pour ces raisons, nous considérons comme concurrentielle la victoire du RNI à Taounate, et précaire celle de Meknès, malgré l'arrivée de Abbou en première position à Taounate, et Tahiri quatrième sur six à Meknès en 2016: dans le premier cas, le départ de Abbou a laissé au RNI le temps de rebattre ses cartes et de sélectionner un remplaçant. L'ancien ministre ne fera d'ailleurs pas d'ombre à son premier parti; il ne se présentera pas à Taounate. Dans le deuxième, la survenue de cette affaire à quelques mois seulement des législatives pourrait poser un problème plus délicat.

Puis il y a Safi, autre siège qui aurait été remporté au nouveau quotient, et autre victoire qui ne tiendrait qu'à un fil. Arrivé en sixième et dernière position avec 6525 votes, seul un écart de 330 votes séparerait le RNI de l'Union constitutionnelle (6.195 voix). Un léger recul de 6%, ou un petit bond de l'UC pourrait faire basculer le siège.

À Marrakech, où le RNI aurait remporté un seul siège concurrentiel au nouveau quotient, le parti escompte une victoire qui rattrape la piètre performance de 2016. La section régionale du parti est dirigée par Mohamed Kabbaj, qui compte parmi les atouts du parti dans la région: président du groupe KMR, détenteur, entre autres, de l'Université privée de Marrakech et de Casablanca, ainsi que des écoles ESG et Sup de Co Marrakech.

Le RNI a également recruté Younes Benslimane, député PJD et vice-président de la mairie de Marrakech. À l'instar des autres grandes villes du pays, courues par des candidats de renom — étant donné que les partis n'y convoitent pas uniquement de potentiels sièges parlementaires, mais également un mandat mayoral ou la présidence de la région — les trois circonscriptions de Marrakech seront un important lieu de compétition aux prochaines élections. Et s'il ne parvient pas à briser l'ascendant du PJD et du PAM, le RNI devrait a minima déclasser l'Istiqlal, le Mouvement populaire et le Parti du progrès et du socialisme pour gagner des sièges dans la ville, selon les circonscriptions.

À Rehamna, les chances du RNI paraissent plus incertaines. Quand bien même il se trouverait titulaire d'un siège en troisième position grâce au nouveau quotient, et malgré l'écart de 3.508 voix qui le distancie du parti suivant (FGD), le RNI encourt un risque d'insuccès aux prochaines législatives suite au départ de Hamid El Akroud vers l'Union constitutionnelle. Elu en 2011, défait en 2016, El Akroud faisait partie des notables historiques du parti. Le RNI ne voit dans sa défection que tapage et indiscipline. Quoi qu'il en soit, le siège de Rehamna peut être considéré à risque. Il passe en rouge.

Il ne se passe pas une semaine sans nouvelles démissions et recrutements; mouvement naturel des marées qui précède chaque élection. Nos estimations ainsi que les évaluations qui les accompagnent sont donc à prendre avec un grain de sel. Elles ne sont valables — en tant qu'assomptions hypothétiques et spéculatives, rappelons-le — qu'aussi longtemps que les données sur lesquelles elles se fondent restent valables.

Avec 39 sièges locaux au nouveau quotient, en plus des 9 gagnés sur la liste nationale en 2016, ce qui porterait le total à 48, le RNI se serait classé quatrième derrière le PJD (72 sièges locaux, 27 nationaux, soit 99 au total), PAM (77 sièges locaux, 21 nationaux, 98 au total), et l'Istiqlal (39 sièges locaux, 11 nationaux, 50 au total) selon les projections à partir des résultats de 2016; un rang qui concorde avec son positionnement de parti pivot d'une éventuelle majorité gouvernementale, quelle qu'en soit la composition. Cela étant dit, un écart important sépare le RNI des partis dont émanerait le potentiel futur chef du gouvernement, et il joue à niveau à peu près équivalent avec l'Istiqlal, à deux sièges près.

 

MISE EN GARDE DE L'AUTEUR

Cette mise en garde est tardive mais nécessaire, puisqu'elle fait suite à un précédent article proposant des projections des scores de la gauche marocaine au nouveau quotient. La série de projections réalisées par Médias24 sur la base des scores de 2016 a un caractère hypothétique et spéculatif revendiqué, et doit être lue en en tenant compte.

Que peut-on raisonnablement faire dire aux résultats d’élections passées, et quelle compréhension peut-on en tirer sans minimiser leur apport, ni les surinterpréter en modèle d’intelligibilité de ce qui s’annoncerait le 8 septembre, et donc sans outrepasser le sens effectif de ces résultats en leur conférant un sens qu’ils n’ont pas ?

Établir des projections consiste à faire des calculs sur le passé. La démarche se situe entre l'évaluation, soit l’appréciation de données concrètes — scores électoraux, votes, sièges, etc. — et la prévision, qui se penche sur les évolutions possibles, les effets potentiels de certains changements, etc.

Dans leur inventaire des figures de l'anticipation, les auteurs Léo Coutellec et Paul-Loup Weil-Dubuc ne se trompent pas lorsqu’ils caractérisent l'anticipation prédictive, catégorie à laquelle appartiendrait bien la projection, comme une approche surdéterminant le probable à partir des conditions du passé, et supposant une préemption du futur.

Non seulement la projection crée des prévisions conservatrices, vu qu'elle reconduit des données issues d'un contexte antérieur, un passé capturé au moment où il s'accomplissait, pour concevoir un avenir qui serait un passé reproduit ou, au mieux, son prolongement plus ou moins ajusté — quand la démarche impliquerait un minimum de travail adaptatif, se saisirait de tendances qui se dégagent, de dynamiques en cours, etc., comme c’est le cas dans cette série d’articles — mais elle pose aussi, selon les deux auteurs, la problématique de la pertinence des connaissances qui en sont issues.

Dans toute projection, informations, données et connaissances subissent une transformation totale: elles ne portent plus sur la situation à laquelle elles sont indexées, mais sur autre chose; elles sont engagées dans un rapport à l'avenir, et sont mobilisées pour produire un savoir sur l'avenir. Ceci, sans être tout à fait détachées du poids de leur contexte originel, de ses contingences et de ses déterminations, des trajectoires et des possibles qu’il dessine. Établir des projections basées sur les scores d'une élection précédente consiste, pour ainsi dire, à « faire du neuf avec du vieux »; de la rétrospection, soit une forme passéiste de la prospection.

L’élection de 2016 ne peut être celle de 2021. Le contexte n'est pas le même, pas plus que les acteurs, les logiques, les mobilisations, les motivations du vote, etc. Tout effort de prédiction ne peut qu'être immédiatement placé sous le régime de l'incertitude structurelle, qui est le régime de l'avenir. Et, même quand cet effort de prédiction aurait pour objet un passé transformé (avec l'introduction d'éléments nouveaux, comme le quotient électoral), il n'en resterait pas moins incertain: si le nouveau quotient était entré en vigueur en 2016, les partis auraient adopté des comportements et stratégies différentes: ceux qui y auraient perdu auraient cherché à le mitiger, et qui y auraient gagné auraient cherché à maximiser ses effets.

 

 

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