Entretien: “Le document sur les marchés de la lutte anti-Covid n'est pas définitif, il manque les réponses du ministère”

Le directeur de la planification et des ressources financières au ministère de la Santé publique, Abdelouahab Belmadani, répond aux accusations de la mission parlementaire sur les marchés de la lutte anti-Covid. Ces accusations sont contenues dans un document présenté comme un rapport de mission parlementaire exploratoire.

Entretien: “Le document sur les marchés de la lutte anti-Covid n'est pas définitif, il manque les réponses du ministère”

Le 22 juillet 2021 à 10h37

Modifié 23 juillet 2021 à 8h44

Le directeur de la planification et des ressources financières au ministère de la Santé publique, Abdelouahab Belmadani, répond aux accusations de la mission parlementaire sur les marchés de la lutte anti-Covid. Ces accusations sont contenues dans un document présenté comme un rapport de mission parlementaire exploratoire.

Le 15 juillet dernier, un document présenté comme le rapport (parlementaire) de la mission exploratoire au sujet des marchés passés par le ministère de la Santé dans le cadre de la lutte anti-Covid, parvenait à plusieurs rédactions dont celle de Médias24. Nous avions à l'époque publié une synthèse du contenu de ce rapport en promettant de revenir dessus si nous recevions les réponses du ministère de la Santé.

Comme on le voit sur ce fac-similé, le document est présenté comme un rapport officiel:

Abdelouahab Belmadani, directeur de la planification est des ressources financières du ministère de la Santé publique, ancien cadre de la direction du budget au ministère des Finances, a participé à des réunions avec les membres de la mission exploratoire. Il répond ci-dessous à nos questions, en réfutant la totalité des accusations portées par le document "qui n'est pas un rapport et qui n'a pas respecté les dispositions légales".

Médias24: Le ministère de la Santé conteste la forme et le fond du rapport parlementaire consacré aux marchés passés dans le cadre de la lutte anti-covid...

Abdelouahab Belmadani: C’est la fuite d’un rapport dont le processus d’adoption et de validation n’a pas été respecté jusqu’au bout, contrairement aux dispositions du Règlement Intérieur de la Chambre des Représentants.

-Qu’est-ce qui manquait au niveau de la procédure pour que le rapport soit achevé ?

-L’article 109 du Règlement Intérieur de la Chambre des Représentants édicte la méthode et la procédure selon lesquelles un rapport de la mission exploratoire est examiné.

Ainsi, le rapport devrait être transmis en parallèle au Bureau de la Chambre et à la commission permanente compétente dans un délai de 60 jours à compter de la première mesure. Le rapporteur de la mission présente le rapport devant les membres de la commission pour discussion. Le gouvernement est convié à cette discussion et à y participer.

La commission permanente est chargée d’établir un résumé de discussion, qui est joint au rapport de mission exploratoire, et transmis au Bureau de la Chambre, qui décide de son sort : le soumettre ou non en plénière.

-A aucun moment on ne voit vos réponses. Est-ce que c’est vrai que vous avez refusé de répondre et de rencontrer la commission ?

-Le ministère de la santé a entièrement coopéré avec les membres de la commission durant le déroulement de leur mission. Monsieur le ministre a personnellement participé à une réunion de cette commission.

La convocation de la commission des secteurs sociaux est intervenue dans la dernière semaine précédant la clôture de la session législative et a coïncidé avec l’examen et l’adoption de plusieurs projets de lois dont le projet de loi 33.21 portant modification de la loi 131.13 relatif à l’exercice de la médecine qui constitue une priorité dans le cadre de la mise en œuvre du chantier de la généralisation de la couverture médicale, ainsi que par la présentation du rapport de la mission parlementaire sur la Direction des Médicaments et de la Pharmacie qui n’a pas pu être discuté.

Monsieur le ministre a donc demandé de reporter la présentation et la discussion du rapport sur les marchés conclus dans le cadre de la riposte à la covid-19, pour une date ultérieure vu que son agenda était très rempli.

-Pouvez-vous nous parler de la procédure d’urgence de passation des marchés publics relative au département de la santé, une décision prise par décret (du 17 mars 2020) dès le début de la pandémie pour permettre au ministère d’être plus efficace et plus rapide dans sa réponse à la pandémie. Certains députés ou médias ayant accusé, dès le début de la pandémie, le ministre et certains responsables du ministère d’avoir fait de cette procédure « express » une manière de privilégier une petite poignée d’entreprises au profit de centaines d’autres firmes plus compétitives. Que répondez-vous à cela ?

-A l’occasion de la conclusion de ces marchés publics covid – 19, le ministère de la santé a œuvré pour garantir la transparence et la mise en concurrence dans la dévolution de ses commandes.

Ce département a procédé à l’attribution des marchés aux entreprises qui ont présenté les offres les plus avantageuses économiquement et le moins-disant pour une optimisation dans l’utilisation des deniers publics dans la lutte contre la pandémie, ce qui nous a permis d’acquérir les équipements et les dispositifs médicaux à un rapport qualité-prix très favorable.

Le décret n° 2.20.270 du 16 mars 2020 a donné au ministère la possibilité de recourir à des marchés négociés sans publication et sans mise en concurrence, mais nous avons utilisé ces simplifications imposées par l’état d’urgence sanitaire en respectant les principes encadrant les marchés publics notamment le principe de liberté d’accès à la commande publique et le principe de transparence dans les choix du maître d’ouvrage et le principe d’égalité de traitement des concurrents.

Cette procédure a permis de lancer des consultations à l’égard de toutes les entreprises déclarées auprès du ministère de la santé et disposant des conditions requises pour y participer en mettant l’accent sur le prix et le délai sans lésiner sur les conditions techniques des équipements et des dispositifs médicaux qui devraient être au préalables enregistrés conformément aux disposition de la loi 84-12 relative aux dispositifs médicaux.

Nous avons veillé à élargir les consultations avec les sociétés afin d’agir avec la célérité requise dans des circonstances exceptionnelles. A titre d’exemple, sur les équipements bio-médicaux nous avons conclu des marchés avec 53 sociétés, alors qu’en 2019 par exemple sur des appels d’offres ouverts, ce nombre n’a pas dépassé 13 sociétés. Ceci prouve l’effort important d’inclusion des sociétés et permettre d’élargir le spectre de la concurrence pour les années à venir.

-Le ministère n’a pas joué le jeu, comme le déplore le rapport, tardant de manière injustifiée à fournir les données demandées par les députés dans le cadre de leur mission. Même remarque faite à la Direction du médicament qui a même refusé de fournir les documents nécessaires au bon déroulement de la mission des députés.

-Je tiens à vous dire au début que notre département est habitué aux missions d’audit et d’inspection de tous les corps chargés du contrôle des finances publiques. En plus, notre département a fait l’objet de plusieurs missions de contrôle de la part de l’institution parlementaire.

Je vous assure que le département a adopté une démarche professionnelle et a entièrement collaboré avec les membres de la commission avec laquelle nous avons débattu sur la meilleure manière de communiquer les documents administratifs qui sont d’une extrême sensibilité vu que les services de ce département ont l’obligation de les conserver pendant 10 ans.

Les services du ministère ont donc collaboré avec l’institution parlementaire comme en témoigne le nombre de séances de travail tenues au ministère ou au parlement pour apporter les réponses et les clarifications nécessaires aux membre de la mission. Malheureusement, les réponses des cadres du ministère n’ont pas été prises en compte dans ce rapport.

- La mission note également une panne du système informatique de la direction des médicaments depuis février 2021 et qui a causé le blocage de milliers de demandes d’enregistrements d’équipements médicaux, au moment où le Maroc souffrait d’une rareté de ces produits et équipements.

-La Direction du Médicament et de la Pharmacie n’a cessé de déployer des efforts pour remédier à toute panne et/ou problème qui peut surgir dans les processus de traitement des demandes des clients. Des instructions ministérielles ont été données pour rétablir cette situation dans les plus brefs délais pour retrouver le fonctionnement normal des activités d’enregistrement.

Heureusement d’autres alternatives qui ont été développées par la Direction du Médicament et de la Pharmacie pour la gestion de l’état de crise sanitaire ont pu assainir l’impact de la panne informatique et le cours des activités normales a repris.

Il est à souligner que la DMP a pu répondre dans un temps record au large besoin sollicité par les établissements industriels pour leurs attribuer des autorisations exceptionnelles de mise sur le marché aussi bien pour les produits importés que pour ceux fabriqués localement. Ces interfaces électroniques présentent l’avantage qu’elles ont été instaurées pour l’ensemble des produits de santé et pour les différentes situations commençant par les dispositifs médicaux, les réactifs à usage de diagnostic in vitro, les solutions ou les gels de désinfection hydro-alcooliques.

Ces interfaces ont permis de communiquer à distance sans faire déplacer les personnes surtout dans ce contexte covid-19 et ce également avec les demandeurs de prestations qui ont pu bénéficier de dépôts électroniques de leurs dossiers d’enregistrement à travers des comptes sécurisés personnels et authentiques qui leurs ont été créés pour de telles raisons.

La Direction du Médicament et de la Pharmacie a aussi consacré des équipes constituées par des responsables et des cadres d’évaluation pour l’écoute clients et le traitement des réclamations à caractère urgents.

-De nombreux marchés ont été passés avec des sociétés non enregistrées auprès des services du ministère, ce qui contrevient, selon les députés, aux lois en vigueur.

-Le département de la santé réfute catégoriquement l’information portant sur la conclusion des marchés publics Covid – 19 avec des sociétés non déclarées auprès de notre département. Cette allégation est nuisible à la réputation des entreprises nationales qui ont contribué activement à la lutte contre la pandémie en mettant à notre disposition des équipements et des dispositifs médicaux dans un contexte difficile marqué par la rareté de ces produits et la perturbation des chaînes logistiques.

Par ailleurs, concernant la fameuse liste fuitée qui accuse injustement 45 entreprises de ne pas être déclarées auprès du ministère de la santé, je tiens à apporter les clarifications suivantes :

-des sociétés incluses dans la liste ont été citées plusieurs fois, ce qui démontre l’absence d’une démarche rigoureuse dans l’élaboration du rapport provisoire de la commission parlementaire ;

- toutes les entreprises citées dans la liste sont déclarées pour l’exercice de leur métier dans le domaine des dispositifs médicaux dont certaines étaient déclarées depuis les années 90;

- parmi ces entreprises, certaines ont conclu des partenariats avec l’État pour la lutte contre la pandémie et le renforcement de la capacité vaccination dans notre pays, ce qui devrait être une source de fierté de notre industrie pharmaceutique permettant par l’occasion à notre pays d’accéder au club fermé des pays qui fabriquent ce vaccin.

-Le rapport accuse le ministère d'avoir passé des marchés avec des sociétés qui n’ont aucune expertise, ni capacités techniques, quelquefois pour des montants qui ont dépassé les 70 millions de DH.

-Dans le cadre de l’urgence sanitaire, le ministère a consulté un large éventail d’entreprises pour répondre aux besoins urgents de notre système sanitaire afin de renforcer les capacités des structures hospitalières à faire face à la propagation de la pandémie et pour prendre en charge les patients atteint de la covid-19.

Au point culminant de la crise caractérisé par la pénurie, localement et au niveau international, des équipements et fournitures biomédicaux ainsi que les réactifs de laboratoire, toutes les entreprises opérant dans le domaine de toutes tailles ont été consultées pour équiper les hôpitaux.

Tandis que des entreprises de taille importante avaient des difficultés pour se procurer le matériel médical nécessaire auprès de leurs fournisseurs habituels européens et américains qui ont donné la priorité à leurs pays d’origine, d’autre entreprises marocaines de taille moyenne ont pu satisfaire nos besoins en prospectant des fournisseurs installés en Asie et en Amérique latine, et ce, tout en respectant les conditions de conformité technique du matériel médical et du délai de livraison. Ces entreprises ont pu nous ramener dans des situations d’extrême urgence des produits stratégiques pour la prise en charge des malades (respirateurs, oxygénateurs haut débit, tests de diagnostic……).

Par ailleurs, d’autres entreprises ont mis en commun leurs moyens pour pouvoir répondre à nos besoins dans le respect des conditions requises en matière des marchés publics.

De même, des consultations ont été adressées directement aux fournisseurs étrangers pour satisfaire en urgence nos besoins pressants en la matière.

Notre objectif est la préservation des vies des citoyens, un droit consacré par la constitution. Et aucun traitement de faveur n’a été accordé à une entreprise conformément au principe d’égalité de traitement des concurrents.

-Que répondez vous à ces critiques contenues dans le document fuité: "un transfert de 862 MDH effectué par le ministère au profit de l’Agence Marocaine de la coopération internationale (AMCI). Un transfert fait à partir du compte spécial de la Pharmacie nationale. Cet argent était destiné à l’acquisition d’équipements médicaux et devait se faire directement depuis le fonds anti-Covid ».

-Les comptes spéciaux sont des supports budgétaires prévus par la loi organique des finances. Ils font partie du budget du ministère adopté par le parlement à l’occasion du vote de la loi des finances de l’année.

Toutes les opérations budgétaires et financières qui concernent ce compte sont soumises au contrôle des services du ministère des finances, parmi lesquels le respect de la disponibilité des crédits avant l’engagement des dépenses.  C’est-à-dire que le ministère de la santé est incapable d’engager des dépenses au-delà des crédits ouverts par ce support budgétaire.

Ce compte a été utilisé principalement pour financer les achats des équipements et les dispositifs directement à l’étranger via des versements à l’Agence marocaine de la coopération internationale au vu de la rareté de ces produits et l’urgence imposée par la propagation effrayante de la pandémie au niveau mondial.

- La forte dépendance marocaine des importations: La mission parlementaire a relevé que 99% des produits et équipements achetés depuis le début de la pandémie ont été importés de l’étranger. Seul un petit 1% de produits et d’équipements sont produits localement. Ce qui pose l’épineuse question de la souveraineté sanitaire du pays.

-La fabrication locale des dispositifs médicaux et plus généralement de l’ensemble des produits de santé excepté le médicament au Maroc demeure faible par rapport aux importations, du fait de plusieurs facteurs dont notamment la forte concurrence des marques internationales.

La réglementation marocaine a tenu en considération l’importance de cette activité pour accomplir le besoin de l’État en produits de santé de qualité nécessaires pour la prise en charge des patients, en plus de l’importance de ce type d’investissements dans le développement de l’économie nationale et de la création d’emplois.

Un intérêt particulier est consacré par le ministère de la santé à la fabrication locale. Des exigences restreintes par rapport aux produits importés sont appliquées à la fabrication locale, tout en restant vigilant sur la qualité et la sécurité d’usage de tels produits.

Dans les circonstances particulières de la crise sanitaire, le ministère de la santé a instauré des mécanismes pour l’encouragement de la fabrication locale à travers la délivrance exceptionnelle des autorisations de mise sur le marché pour ces produits dans l’objectif de hausser le niveau et la compétence des établissements industriels et des opérateurs économiques dans le secteur. Ceci bien évidement après s'être s’assurés que le produit est performant et exempt de tout risque lors de son usage.

La période de la pandémie COVID-19 constituait une nouvelle expérience et un très bon exercice pour la Direction du Médicament et de la Pharmacie qui a pu, en concertation avec l’Institut Marocain de Normalisation et l’ensemble des intervenants dans le secteur des produits de santé, éditer pour la première fois des normes 100% marocaines pour l’évaluation de la conformité des produits de santé made in Morocco.

Le développement de la production locale des produits de santé vise à satisfaire le besoin national et l’export surtout vers le marché africain qui constitue l’un des marchés porteurs pour les producteurs nationaux.

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