Le PJD à l’épreuve des élections générales

Le parti islamiste vise une victoire morale et accepterait une coexistence avec le pouvoir... La recette du PJD à la veille des élections.

Le PJD à l’épreuve des élections générales

Le 7 septembre 2021 à 12h06

Modifié 7 septembre 2021 à 14h47

Le parti islamiste vise une victoire morale et accepterait une coexistence avec le pouvoir... La recette du PJD à la veille des élections.

Le Parti Justice et développement (PJD) mène la campagne électorale en vue des élections générales au Maroc prévue le 8 septembre, dans un piteux état. Pourtant, le premier parti islamiste au Maroc a dirigé l’Exécutif durant deux mandats successifs, dans le cadre d’une coalition hétéroclite.

Un deuxième mandat achevé dans la douleur, avec un Chef de gouvernement, SaâdEddine El Otmani, affaibli en raison de concessions douloureuses et un parti miné par les dissensions internes. Les désaccords ont accompagné la vie du parti depuis le 15 mars 2017. A cette date, le roi Mohammed VI avait déchargé le leader du PJD, Abdelilah Benkirane, de la mission de composer un nouveau gouvernement, à la suite des élections législatives de 2016. "Son frère" El Otmani le remplacera à la demande du souverain. El Otmani acceptera les conditions et le PJD cède malgré sa victoire aux législatives fort de 125 sièges.

Isolé, le PJD a reçu plusieurs coups durs

El Otmani choisira comme ligne de conduite politique de faire profil bas et de s’adapter aux contraintes, notamment son isolement lui et son parti au sein de l’Exécutif. Les ministres PJD ont passé leur deuxième mandat à appliquer à la lettre les grandes orientations de l’État. Le parti a fait le choix délibéré de ne pas présenter une réponse politique à cette phase critique.

L’isolement du PJD s’est accentué à la suite de la perte d’un allié de taille, le Parti du progrès et du socialisme, dès 2019. Ce parti de gauche a décidé de quitter le navire « en raison de manque de souffle politique dans la gestion gouvernementale ». Un retrait qui renforcera les difficultés d’un PJD présidant un gouvernement qu’il ne dirige pas.

Le PJD a dû faire face à d’autres épreuves durant son dernier mandat. Trois dossiers ont failli faire imploser le parti. Ces sujets concernent directement l’identité du parti et touchent même à ses principes fondateurs. Le premier, c’est le changement de la langue d’enseignement des matières scientifiques, qui passera de l’arabe vers le français. Le deuxième sujet, c’est la normalisation des relations avec Israël. Le troisième dossier est la légalisation du cannabis en vue de produire des traitements médicinaux.

Face à ces trois sujets explosifs, les islamistes ont été pris de court. Ils n’ont pas su apporter une réponse en cohérence avec leur identité et leur ADN. Le PJD s’est retrouvé dans un état de sidération. La tension est montée crescendo au sein du parti pour atteindre sa direction. L’ex-Chef de gouvernement, Benkirane a gelé son adhésion au parti car lui (Benkirane), refuse la légalisation du cannabis. L’influent Driss El Azami, président du Conseil national, parlement du PJD, a présenté sa démission du parti pour les mêmes raisons. Une demande rejetée par la direction du PJD.

Le politologue Ismail El Hammoudi, fin connaisseur des arcanes du PJD, explique ces divergences par les « pressions sur le PJD ». Et d’expliciter sa pensée : « Les différends sont en train d’asphyxier le parti. La manière dont Benkirane a été éjecté du poste de Chef du gouvernement et la gestion de cette décision par le parti ont laissé des traces indélébiles ».

Le commentateur politique et membre du PJD, Bilal Talidi confirme ce constat : « Les positions produites par le parti à la suite de dossiers touchant son identité (ndlr : des langues d’enseignement scientifique, de la normalisation avec Israël ou la légalisation du cannabis) ont laissé une empreinte sur la vie du parti ».

Talidi reconnaît « l’effet de choc de ces dossiers sur la base électorale du parti dans un premier temps » mais tempère l’effet de ces décisions sur le moyen terme :  « La base électorale acquise au PJD votait pour le parti sans demander son programme. Elle votait pour lui sur des bases idéologiques car le parti défendait ses valeurs. Or, aujourd’hui cette confiance a été perturbée ce qui aurait comme conséquence la perte d’une large frange de son réservoir électoral. Le dossier des langues d’enseignement pèsera plus dans la balance que la normalisation avec Israël ou la légalisation du cannabis », estime-t-il. La réception d’une délégation du Hamas par le chef du gouvernement, El Otmani, à Rabat a atténué la colère interne au sein du PJD. Le vote du PJD contre la légalisation du cannabis au parlement a redoré le blason du parti lessivé par une série de crises politiques.

Quotient électoral, le coup de trop ?

Toujours sous le choc de ces différents dossiers problématiques pour le PJD, les islamistes ont été pris de court, une fois encore, par une réforme de la loi électorale, visant à les affaiblir avant même d’entamer les échéances électorales. Les différentes réformes introduites visent à réduire le poids électoral du PJD et recomposer la carte politique après les élections. Les adversaires politiques du PJD n’ont pas manqué de soutenir ces réformes.

Deux réformes devront impacter directement les résultats du PJD, le lendemain du 8 septembre 2021. En premier, la révision de la méthode de calcul du quotient électoral. Désormais, le quotient se basera sur le nombre des inscrits aux listes électorales au lieu du nombre des votants comme auparavant. Deuxième réforme, la suppression du seuil électoral pour l’accès à la répartition des sièges. Concrètement, le PJD devrait perdre après ces deux réformes entre 30 à 40 sièges au parlement et devrait se contenter de 80 à 90 sièges, toutes choses étant égales par ailleurs.

Précisons que le « quotient électoral ou nombre électoral est un diviseur qui permet d’établir le nombre de sièges à attribuer à chacune des listes », selon une définition du Conseil de l’Europe.

Tout naturellement, le PJD a voté contre ces réformes lors de leur passage au Parlement. Les islamistes ont qualifié ces amendements à la loi électorale comme « non constitutionnels » et « contre la démocratie ». L’ensemble des autres partis composant la coalition gouvernementale ont voté pour, ainsi que les partis de l’opposition parlementaire.

Dans ces vents contraires pour le PJD, le Maroc entame un rendez-vous électoral inédit dans son histoire. Pour la première fois, le royaume organisera des élections législatives, communales et régionales dans la même journée.

Le PJD affronte le quotient électoral

Malgré ces défis et contraintes, le PJD se positionne en vue de ces élections. Les voix en interne appelant à ne pas prendre part à ces échéances demeurent minoritaires et peu audibles. La participation aux élections devient ainsi un enjeu majeur pour le parti islamiste.

La direction du parti l’a confirmé. Elle a annoncé que son objectif est de « gagner les élections ». Un but acté par la couverture de 100% des circonscriptions électorales législatives. Une mobilisation pour anticiper aussi les conséquences des amendements aux règles électorales votées aux temps additionnels de la vie du gouvernement sortant.

“ Une victoire aux élections aidera certainement le parti à maintenir un semblant de stabilité en interne et permettra au parti de négocier en position de force. Un résultat différent ne fera qu’approfondir les désaccords entre les dirigeants. En cas d’échec, l’actuelle direction du parti en portera l’entière responsabilité », explique le professeur universitaire, Ismail El Hammoudi,

Ce dernier remarque que « les dirigeants du parti ont mis de côté leurs divergences pour mener ensemble une campagne pour gagner les élections. Dans les épreuves décisives, les composantes du PJD savent s’unir autour d’un but commun. Même les soutiens de Abdelilah Benkirane, pourtant critiques à l’égard de l’actuelle direction du parti, prennent part activement à la campagne électorale », observe-t-il.

Même son de cloche de l’analyste politique, Abderrahim El Allam : « Les divergences au sein du PJD n’atteignent pas le niveau d’une crise majeure pouvant mener à une scission de ce parti. Les cadres du parti participent à l’unisson à cette campagne ».

“Le PJD sait être pragmatique. Il compte s’adapter avec le contexte actuel marqué par un recul de l’Islam politique dans la région. D’ailleurs ce qui se passe avec Ennahdha en Tunisie pèsera dans leur lecture politique », avance-t-il. Et de poursuivre : « Le PJD est conscient qu’il ne pourra pas rééditer l’exploit de 2011 et 2016. Cependant, ils sont convaincus qu’une victoire est cruciale et nécessaire. C’est même un moyen de survie pour le parti islamiste sur la scène politique ».

Bilal Talidi connaît bien l’état de la maison islamiste. Ce membre du PJD distingue entre le discours de la direction et la pratique sur le terrain au sujet des élections. « Les dirigeants du PJD le disent et le répètent, ils visent la victoire et poursuivre le chemin de la réforme. Un objectif difficile à atteindre pour moult raisons, internes et externes ».

Divergences et divisions

Parmi ces raisons, un départ massif de membres du PJD vers d’autres cieux. Le PJD a vécu ces dernières semaines une hémorragie de ses membres. 140 parmi ses adhérents, dont plusieurs élus nationaux ou locaux ont quitté le navire pour rejoindre d’autres formations politiques. Le nouveau système électoral explique en grande partie cette hémorragie. « Le nouveau mode de calcul des sièges ne donne qu’une chance de gagner un seul siège par circonscription, sauf exception. Ce qui a créé des dissensions au sein du parti pour choisir ses candidats aux niveaux local, régional et national. C’est du jamais vu dans l’histoire du parti », note Talidi.

Et de poursuivre : « L’ancien mode permettait au PJD d’avoir jusqu'à trois sièges par circonscription. Ce qui offrait à la direction des cartes pour résoudre les différends en interne. Or aujourd’hui, la machine électorale est en panne », compare-t-il.

Pour sa part, Hammoudi relativise l’effet de la gestion des candidatures sur la vie du parti : «Plusieurs membres insatisfaits de la gestion des candidatures ont finalement soutenu le parti durant ces élections ». La décision de tenir les trois élections en une journée aurait joué en faveur de la direction du PJD, selon ce politologue. « La nécessité d’avoir de multiples candidats a permis à la direction de réduire la colère en interne. La grande majorité des mécontents ont pu trouver une place dans cet agenda électoral ».

Les départs observés ne devraient pas constituer un obstacle pour le PJD, s’accordent à dire El Allam et Hammoudi. « Ces candidats sont souvent des professionnels de la politique. Ils sont arrivés au parti au zénith de sa puissance pour se faire élire et aujourd’hui, ils le quittent car ils ont senti le vent tourner », pense El Allam. Et d’enfoncer le clou : « Parmi beaucoup des membres qui ont quitté vers le Rassemblement national des indépendants (ndlr : principal rival du PJD), nous retrouvons ceux qui ont rejoint le PJD en 2011, alors qu’il était le parti favori pour remporter les élections à cette période ».

Pour El Hammoudi : « Ces départs ne pèsent pas beaucoup dans la balance. Pour le PJD, l’essentiel c’est de ne pas perdre le noyau dur, les pièces maîtresses de l’organisation ».

Une victoire comme un remède

Les islamistes ont couvert l’ensemble des circonscriptions en vue des élections législatives. En revanche, pour les élections communales, le parti affiche un net recul par rapport à 2015. Avec 8.681 candidats, le PJD arrive huitième parmi les partis en lice.

Dans un communiqué, le PJD explique son taux de couverture dans le monde rural par « les pressions exercées sur nos candidats ». El Allam interprète cette déclaration du PJD comme un aveu préalable d’un échec électoral. Même Talidi, membre influent du parti, estime qu’une future victoire du PJD serait « un miracle ».

L’ex-éditorialiste d’Attajdid énumère les raisons de son pessimisme. "Il est peu probable que le parti obtienne suffisamment de sièges pour arriver premier aux élections. En premier, le PJD participe à ses élections après une décennie de gestion gouvernementale et communale".

"En deuxième lieu, le parti n’a toujours pas percé dans le Sahara, le Rif et le monde rural qui demeurent des régions peu couvertes par les islamistes, car la logique tribale et notable domine toujours".

"En troisième lieu, les islamistes mènent une campagne privée de leur arme de communication massive, le « zaim » Abdelilah Benkirane. Ce dernier a fait une sortie médiatique remarquée le 5 septembre, où il a tiré à boulets rouges sur ses adversaires politiques, le RNI et l’USFP".

Même en cas de victoire, le PJD devrait composer avec plusieurs formations politiques pour constituer une majorité, sur le plan local ou national. Pour Hammoudi, « c’est la faute au nouveau système électoral qui devrait réduire les marges du vainqueur qui sera obligé de négocier avec les autres partis ».

"Nous avons eu un avant-goût de ce scénario lors des récentes élections professionnelles. Les partis sont appelés à se partager le gâteau, à parts égales. Aucun parti n’est désormais autorisé à négocier du point de vue de gagnant, ils sont tous des participants à l’équation », estime-t-il.

Passer à l’opposition… Un choix presque impossible

En 2016, la direction du PJD a mené une campagne électorale pour « combattre l’absolutisme (Ta7akoum) ». Cette année, le PJD s’est abstenu de donner un contenu politique à sa campagne, préférant des slogans mettant en avant « la bonne gestion gouvernementale » à travers le mot d’ordre : « Crédibilité-Démocratie-Développement ».

Talidi se trouve en désaccord avec ce choix : « Les résultats devront être très limités », prévoit-il. Et d’ajouter : « Ce qui distinguait le parti par le passé, c’est sa ligne politique claire, sa puissante communication et ses batailles qui font de lui le centre de l’intérêt populaire ».

En l'absence de sondages précis, une perception partagée est la réduction inéluctable du poids électoral du PJD. Une baisse de ses élus ne devrait pas se traduire par un retour à l’opposition au parlement. Cette décision devrait les amener à affronter le pouvoir, ce qui est contraire à l’ADN du PJD.

« Je ne pense qu'un passage du PJD à l'opposition serait accepté. Ceci offrira une protection aux autres oppositions se trouvant hors des institutions. Le PJD n’ira à l’opposition que quand il recevra un signal du pouvoir dans ce sens », avance Hammoudi.

Une analyse partagée par le politologue El Allam : « Tout est fait pour réduire la présence des islamistes, tout en garantissant leur participation calibrée. Et au sein du parti, la direction sait qu’un retour à l’opposition pourra affaiblir l’organisation ».

Ainsi donc, malgré les coups douloureux que le PJD a reçus et les secousses en interne, sa direction considère toujours que gagner les élections est une priorité et une nécessité. Mais, dans tous les scénarios - que ce soit en cas de victoire ou de défaite- les islamistes devront se plier et accepter les compromis.

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