Budget : emprunt national, financement international ou interne, les scénarios pour 2022

Avec des besoins en financement de 58 milliards de dirhams, l’État se verra obligé de s’endetter pour financer son déficit. Au vu du flou généralisé qui règne sur les marchés internationaux et de l’abandon de la piste du grand emprunt national, quelles sont les options du Trésor pour faire face à ses besoins en optimisant le plus possible le coût de ses sorties ?

Budget : emprunt national, financement international ou interne, les scénarios pour 2022

Le 16 novembre 2021 à 18h55

Modifié 16 novembre 2021 à 19h44

Avec des besoins en financement de 58 milliards de dirhams, l’État se verra obligé de s’endetter pour financer son déficit. Au vu du flou généralisé qui règne sur les marchés internationaux et de l’abandon de la piste du grand emprunt national, quelles sont les options du Trésor pour faire face à ses besoins en optimisant le plus possible le coût de ses sorties ?

En 2020 et 2021, l’État marocain se permettait le luxe de choisir entre un endettement à l’international peu coûteux et des levées en interne à taux très bas. Avec la reprise des économies mondiales, qui s’accompagne du retour de l’inflation, la fête est désormais finie. Et l’État ne bénéficie plus du confort des années fastes - en termes de taux - pour faire des arbitrages.

À l’international, c'est le flou qui règne. Et les investisseurs ne savent plus à quel saint se vouer. Difficile dans ces conditions de réitérer l’exploit de la levée du 9 décembre 2020, une sortie record de 3 milliards de dollars à des taux allant de 2,375% à 4% pour les trois tranches.

>>>Le Maroc a levé 3 milliards de dollars sur le marché financier international

« Avec le retour de l’inflation, les marchés sont déboussolés. Le timing pour une sortie en ce moment n’est pas le bon. Car les investisseurs qui évitent depuis quelques mois les durations longues, préférant des placements plus courts, exigeront une prime de risque plus élevée pour un emprunt d’État long, et pourront même exiger son indexation sur l’inflation. Les investisseurs raisonnent aujourd’hui en taux anticipés et leur pricing ne colle pas aux taux actuels du marché », explique un expert international des marchés de la dette.

La FED et la BCE tentent de rassurer les marchés en avançant que cette inflation serait temporaire et qu’un retour à la normale est prévu dès la mi-2022, mais les marchés ne sont pas pour autant rassurés.

>>>Le retour de l’inflation dans le monde : quelles conséquences pour le Maroc ?

L’État n’aura de la visibilité qu’au deuxième trimestre 2022

« Cette hausse plus forte que prévu inquiète les investisseurs, qui craignent un dérapage et le début d’un scénario catastrophe : un retour durable de l’inflation, qui obligerait la banque centrale américaine, la BCE et les banques centrales dans le monde à augmenter leurs taux, ce qui grèverait les rendements des investisseurs. Une hausse des taux freinerait l’élan de la croissance mondiale, qui impacterait également la relance au Maroc, ce qui va creuser encore plus la prime de risque demandée par les investisseurs. Sortir dans ces conditions me paraît très risqué. Il faudra attendre au moins le deuxième trimestre de 2022 pour avoir de la visibilité », poursuit notre expert.

Et d’ajouter que les investisseurs ont réadapté, depuis quelques mois déjà, leurs politiques d’investissement pour parer à tout risque de hausse des taux. « La pandémie de la Covid-19 a placé les taux au plus bas l’an passé, mais les marchés obligataires sont aujourd’hui contrariés par le retour de l’inflation générée par les réouvertures des économies. Face à elle, les comportements des banques centrales, en particulier de la Fed où les taux longs ont connu une hausse significative, sont comme toujours scrutés avec attention par les investisseurs. Dans ce contexte de rendement au plus bas et de risque de hausse des taux, les investisseurs adoptent généralement des positions défensives pour construire leurs portefeuilles. »

Ces positions défensives consistent à ne pas s’exposer à des placements longs, et de privilégier des dettes courtes pour se prémunir contre le risque. Or, quand le Maroc sort généralement sur les marchés, c’est pour lever de l’argent sur le long terme, au moins sur sept ans, et non pas pour financer des besoins de trésorerie de court terme. Le Maroc pourra bien sûr y parvenir, mais à quel prix ? C’est la grande question.

« Le spread exigé serait plus grand que celui de l’année dernière, même si le Maroc fait montre d’une grande agilité et résilience face à la crise, notamment avec une campagne de vaccination qui a presque atteint ses objectifs. Les investisseurs sont très regardants sur les campagnes de vaccination qui sont devenues un indicateur de pricing. Le Maroc bénéficiera d’une bonne note sur ce point, mais également sur son plan de relance et sa nouvelle politique budgétaire expansionniste qui ne s’accompagne pas d’un creusement du déficit budgétaire. Mais la frilosité des marchés risque de l’emporter sur toutes ces considérations fondamentales et le Maroc pourrait payer le prix fort, surtout que les gérants de fonds ont plus d’appétit pour les pays émergents et pré-émergents, car ils savent qu’ils peuvent en tirer des primes de risque plus alléchantes que les dettes AAA », explique notre source.

Notre expert estime que le Maroc devrait rester prudent, éviter de s’empresser et attendre de voir comment le vent va tourner en 2022. Pour l’instant, les vents sont défavorables, mais si le scénario défendu par la FED et la BCE d’un retour à une inflation normale vers la mi-2022 se réalise, une sortie au deuxième semestre peut être envisageable. Tout est une question de timing, même si, faut-il le souligner, le Maroc ne pourra plus obtenir les conditions des levées de 2021, les taux ayant augmenté entre-temps.

Le marché intérieur reste stable, mais ne peut pas tout absorber

Un autre acteur du marché national approuve cette analyse, et nous rappelle qu’en ces temps de forte volatilité à l’international, la piste des levées en bons du Trésor sur le marché interne restent plus sécurisée.

« Même si l’inflation a augmenté au Maroc, elle reste maîtrisée aux alentours de 1,2%. Les liquidités sont disponibles et les taux restent toujours intéressants », souligne notre gérant de portefeuille. Même s’il affirme que l’État ne peut pas lever tous ses besoins sur le marché intérieur, et ce pour plusieurs raisons.

« Une sortie à l’international est indispensable en 2022. Car, avec la flambée de la facture énergétique, le pays doit pouvoir maintenir ses réserves de change à un niveau confortable. Vu que les autres sources de devises sont toujours bloquées, les IDE et le tourisme notamment, il n’y a que le recours à la dette en devises pour pouvoir neutraliser la hausse des prix des matières premières sur les réserves stratégiques du Maroc en devises. Et dans tous les cas, malgré la montée actuelle des taux et celle anticipée en cas de poursuite du scénario inflationniste, les taux à l’international resteront inférieurs à la moyenne de toutes les lignes du Maroc. »

Par ailleurs, « si l’État lève tous ses besoins sur le marché interne, cela risque d’entraîner un grand effet d’éviction au moment où les banques sont appelées à financer davantage les entreprises et l’investissement pour soutenir la relance. La sortie à l’international se produira, reste à savoir à quelle date, et dans quelles conditions », prédit notre gérant, pour qui la direction du Trésor est suffisamment entourée d’experts et conseillée par de grandes banques internationales pour choisir la bonne fenêtre de tir.

Les levées sur le marché intérieur et sur les marchés internationaux restent ainsi les deux seules pistes envisageables pour que l'État puisse financer son déficit budgétaire de 2022. Car la piste du « grand emprunt national », lancée en 2020 par Mohamed Benchaâboun dans sa loi de Finances rectificative, a été écartée pour l’instant.

>>>Emprunt national : le Maroc sur le point de renouer avec une vieille tradition 

Emprunt national : une idée séduisante mais trop coûteuse

Une source proche du dossier nous révèle que cette option a tout simplement été annulée et qu’il n’y aura pas d’emprunt national ni aujourd’hui ni plus tard.

L’idée, selon notre source, avait été jugée séduisante. Mais elle s’est heurtée à la réalité économique et financière et a rencontré surtout beaucoup d’opposition dans le secteur financier.

Cet emprunt imaginé par Benchaâboun ciblait les particuliers par la voie d’une carotte fiscale les exonérant des 30% de taxes sur les intérêts des produits financiers. Il avait été décidé à un moment où l’État voulait mobiliser l’épargne nationale en vue de la faire participer à l’effort de guerre contre la crise du Covid-19. Un objectif noble, mais qui s’est avéré, après analyse, trop coûteux aussi bien pour l’État que pour l’économie en général.

Plus coûteux, à cause de la carotte fiscale d’abord, mais aussi au vu de la prime élevée que devait mettre l’État dans ses titres pour attirer l’épargne nationale et rendre le produit plus attractif que les bons du Trésor classiques ou les produits d’épargne qui se vendent sur le marché.

« Les particuliers peuvent investir de manière indirecte dans la dette de l’Etat à travers des OPCVM qui offrent des performances intéressantes. Pour les amener à mettre leur argent directement dans des bons du Trésor, il fallait leur offrir une prime, sachant que ces titres allaient être non négociables sur le marché secondaire. Celui qui souscrira à un titre devra attendre la fin de l’échéance pour récupérer son argent, contrairement aux produits d’épargne classiques qui offrent et la rentabilité et la liquidité », explique notre source.

C’est pour cette même raison que ces emprunts, qui avaient pignon sur rue au Maroc dans les années 1980 et 1990, ont été délaissés au début des années 2000 sur décision de Fathallah Oualalou, ministre des Finances de l’époque. Ce dernier n’y voyait plus d’intérêt à partir du moment où le Maroc s’inscrivait dans une politique de développement de son marché des capitaux, avec l’émergence d’un marché des adjudications très animé, et de véhicules d’épargne comme les OPCVM qui permettent à l’épargne publique de financer directement les besoins du Trésor.

Et le coût de cette opération ne se limitait pas au taux facial de l’emprunt. « Un emprunt national est très coûteux par rapport à une levée classique sur le marché obligataire. Cela nécessite des coûts de communication, de publicité, de marketing, mettre en place un syndicat de placement très large (banques, sociétés de Bourse, le réseau de la banque postale…), des coûts de transferts, des commissions bancaires… Donc si l’objectif était seulement de lever de l’argent, l’État n’irait pas recourir à un instrument compliqué et qui lui coûterait en plus très cher », signale notre source.

Mais au-delà de la question du coût, qui montre clairement que l’État allait perdre au change par rapport à une levée classique, s’est posée également la question du risque de cannibalisation de l’épargne bancaire. Le sujet a fait l’objet de plusieurs craintes de la part des banquiers, mais aussi du ministre des Finances de l’époque qui, étant issu du secteur, en connaissait la sensibilité. Des craintes qui étaient légitimes, selon notre source.

« Cet emprunt défiscalisé allait cannibaliser de manière mécanique les dépôts et l’épargne bancaires, et créer un effet contre-productif en poussant les banques à augmenter leurs taux de rémunération pour contrer une éventuelle hémorragie des ressources. Une augmentation qui allait pousser les taux des crédits à la hausse, ce qui allait à l’encontre des objectifs de la politique monétaire menée par Bank Al-Maghrib qui tire les taux vers le bas pour permettre un meilleur financement de l’économie en temps de crise. »

Notre source nous précise qu’il était inutile de procéder à des simulations, car les agents économiques agissent selon une logique bien connue : le couple bénéfice/risque.

« Mettre un produit défiscalisé, avec une prime attractive de taux, allait pousser les gens à casser même des DAT pour se positionner sur l’emprunt national, sans parler des gens qui ont des dépôts à vue. Les banques, qui sont déjà en déficit structurel de liquidité, ne peuvent supporter cet effet de migration de leurs ressources. Elles seront donc obligées d’augmenter leurs taux de rémunération pour contrer ce phénomène. Ce qui poussera les taux de crédits également à la hausse. Ça allait créer une situation ubuesque en ces temps de crise », explique notre source.

Cette piste écartée, il ne reste donc à l’État que deux options : les levées sur le marché intérieur, qui seront davantage privilégiées selon nos sources, et une sortie à l’international pour éviter l’effet d’éviction sur le marché marocain et reconstituer le stock de devises qui s’amenuisera avec la hausse des prix à l’import, notamment ceux des produits énergétiques. Pour quel montant et dans quelles conditions ? Tout dépendra du timing qui sera choisi par la direction du Trésor et des opportunités du marché…

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