Les bienfaits cachés de l’inflation sur l’économie

L’inflation est souvent associée à l’augmentation des prix de première nécessité, à la baisse du pouvoir d’achat des ménages les plus pauvres et aux tensions sociales qui s’ensuivent. Mais elle a également des conséquences bénéfiques sur l’économie en général, susceptibles d'enrayer les effets indésirables sur le pouvoir d’achat. Explications.

Les bienfaits cachés de l’inflation sur l’économie

Le 18 novembre 2021 à 13h32

Modifié 18 novembre 2021 à 13h32

L’inflation est souvent associée à l’augmentation des prix de première nécessité, à la baisse du pouvoir d’achat des ménages les plus pauvres et aux tensions sociales qui s’ensuivent. Mais elle a également des conséquences bénéfiques sur l’économie en général, susceptibles d'enrayer les effets indésirables sur le pouvoir d’achat. Explications.

Les effets de l’inflation ne se font pas seulement sentir à l’approche de la station-service ou lorsque l’on passe à la caisse de l’épicerie du quartier. L’image que projette l’inflation est généralement celle d’un monstre qui vient appauvrir les classes moyennes et défavorisées, tuer leur pouvoir d’achat et créer des tensions politiques et sociales.

Ces effets sont réels. Une hausse générale des prix (c’est la définition de l’inflation) grève en premier lieu le revenu des ménages économiquement faibles. Même s'il ne s'agit pas du seul effet constaté. On peut y faire face par des politiques publiques volontaristes.

En France par exemple, où l’inflation a dépassé le seuil des 3% comme dans toute la zone euro, le gouvernement a décidé d’un ensemble de mesures pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages et effacer l’effet de cette hausse générale des prix. Première et grande mesure : l’instauration d’une indemnité inflation qui cible les ménages économiquement faibles, répertoriés dans les fiches de la sécurité sociale. Autre mesure : une indemnité pour les retraités, dont les pensions ne peuvent être renégociées à la hausse, à la différence des salaires des travailleurs.

Ces décisions de politique budgétaire, entreprises par plusieurs pays européens, viennent neutraliser l’effet de l’inflation sur le pouvoir d’achat, pour n'en conserver que l'aspect positif. En effet, ce phénomène économique a des bienfaits méconnus, qui peuvent s’avérer très intéressants sur le moyen terme, comme le soutiennent plusieurs économistes.

L’inflation réduit le poids de la dette publique

On s’en rappelle tous. Dès le déclenchement de la pandémie du Covid-19 au Maroc, en mars 2020, tous les économistes marocains, ou presque, plaidaient pour une politique monétaire qui favoriserait une montée de l’inflation. Celle-ci pourrait alors enrayer la récession, favoriser la croissance, la création d’emplois et la maîtrise, voire la diminution de la dette publique.

Alors que l’inflation fait un retour remarqué dans le monde - pas encore au Maroc -, nombre de ceux qui la défendaient se mettent en retrait, au vu des fortes revendications sociales qui en découlent et de la politisation du sujet.

Pourtant, au Maroc, l’inflation reste maîtrisée à 1,2% selon les prévisions de Bank Al-Maghrib, malgré sa montée dans le monde (plus de 5% aux États-Unis, près de 4% en zone euro). Le Royaume ne subit jusqu'à présent que les effets d’une inflation importée, touchant essentiellement aux prix des matières premières.

Mais selon un éminent économiste qui préfère s’exprimer en off pour ne pas, dit-il, interférer dans un sujet devenu politique, "une montée de l’inflation au Maroc serait une bonne chose dans ce contexte".

"Même si la Banque centrale n’ira jamais dans le sens d’une politique monétaire inflationniste, au vu de la politique budgétaire présentée par le gouvernement, qui consiste en une relance par la demande, avec la création de centaines de milliers d’emplois à travers des chantiers publics, il est certain que l’inflation va monter davantage. Et ce sera une bonne chose, si toutefois on arrive à endiguer les effets négatifs sur le pouvoir d’achat", nous explique notre interlocuteur.

Premier effet macroéconomique : l’effet sur la dette. Car plus l’inflation augmente, plus le poids de la dette publique ou privée baisse. L’inflation est en cela une solution pour réduire la dette publique sans augmenter les impôts ni diminuer les dépenses publiques.

"L’inflation permet en effet de réduire plus facilement, mais temporairement, la dette publique. Plus l’inflation est forte, plus le PIB en valeur augmente, ce qui tend à faire baisser le ratio dette/PIB. Encore faut-il que la dette n’augmente pas plus vite que le PIB sous l’effet du déficit primaire et de la charge d’intérêt", nuance un autre économiste consulté par Médias24, qui souligne que cet effet sur l’allègement de la dette est souvent temporaire.

"Le taux d’intérêt apparent de la dette est très inerte, car il évolue surtout au fur et à mesure du remplacement d’emprunts anciens par de nouveaux emprunts à des taux différents. On peut donc supposer qu’il reste au moins temporairement constant. Comme le taux de croissance du PIB en valeur augmente, l’écart entre le taux d’intérêt apparent de la dette et celui-ci, donc le solde primaire, diminue. Il est donc plus facile de réduire le ratio dette/PIB. Mais avec le remplacement constant de la dette et les nouvelles levées réalisées, la situation finit par revenir à son niveau initial au bout de quelques années", précise-t-il.

Avec une dette publique qui s’approche de 80% du PIB, le Maroc a ainsi tout intérêt à profiter de cet effet inflation pour réduire son ratio de la dette. Un effet dont il bénéficie déjà aujourd’hui, avec l’inflation que connaissent les marchés internationaux.

Si l’inflation dans le monde continue, le poids de la dette extérieure du Maroc va certainement baisser. L’État a d’ailleurs plus intérêt, en ces temps, à lever des dettes sur des monnaies inflationnistes, car l’inflation diminue au fil du temps la valeur de la dette et son coût. Mais cela suppose que ce phénomène inflationniste mondial ne soit pas juste temporaire, comme le laissent entendre la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale des États-Unis (FED).

Ce que notre économiste réfute : "La FED et la BCE ont un discours qui essaie de rassurer, avançant que cette inflation est due simplement au décalage entre l’offre et la demande induit par la reprise des économies mondiales. Mais ils omettent de dire que leurs politiques monétaires expansionnistes, avec des injections de centaines de milliards de dollars et d’euros, participent beaucoup à cette inflation, et cela ne peut s’effacer en quelques mois. L’inflation, c’est d’abord la monnaie. Plus il y a de monnaie qui circule, plus il y a de la demande et plus les prix augmentent. C’est ce qui se passe actuellement dans le monde."

Un coup de boost pour les entreprises et l’investissement

Ce raisonnement sur la dette s’applique également aux entreprises. En diminuant le coût réel de l’endettement en fonction de la différence entre le niveau des taux d’intérêt nominaux et le niveau général des prix, l’inflation améliore la rentabilité financière des entreprises.

"En période d’inflation, les entreprises sont d’autant plus incitées à recourir au financement externe que leurs taux de profit internes sont supérieurs au taux d’intérêt des capitaux empruntés. Une telle situation élève la rentabilité de leurs fonds propres, effet de levier oblige. Les entreprises se trouvent stimulées par les perspectives de gains et incitées à investir. L’inflation devient un moteur de l’investissement et peut induire une croissance de la production et de l’emploi", explique un autre économiste contacté par Médias24.

"Une hausse du niveau général des prix n’est pas automatiquement le reflet d’une économie en surchauffe ; elle peut au contraire caractériser la bonne santé d’une économie, puisque la croissance économique doit se traduire par une hausse des prix", ajoute notre source, qui tient à préciser que cet effet sur l’investissement, sur l’emploi et sur la croissance, ne peut jouer réellement que si l’inflation se maintient à un niveau modéré, entre 2% et 5% au maximum.

Dans le cas contraire, celui d’une hyperinflation, c’est le phénomène inverse qui peut apparaître.

"Une inflation trop élevée est dangereuse pour l’économie. Si les prix grimpent rapidement, ils deviennent moins prévisibles, ce qui est source d’incertitude. Or les études économiques montrent que l’incertitude ralentit l’activité économique, notamment parce qu’elle dissuade d’investir. Une inflation trop élevée peut déboucher également sur une forte hausse des salaires, ce qui réduit la compétitivité des entreprises et du pays", indique notre source.

Mais une inflation modérée (2% à 5%, c’est le cas actuellement dans le monde) reste bénéfique, et est facilement maîtrisable.

Cet effet d’accélérateur de la croissance joue également par la voie de la demande des ménages.

"L’inflation pousse les ménages à dépenser plus. Si un bien ou un service coûtera plus cher demain, autant l’acheter maintenant. Ce phénomène a été modélisé par plusieurs économistes, surtout après la Seconde Guerre mondiale, qui a été suivie d’une longue période inflationniste", souligne notre source.

Un effet punitif sur la rente et le capital dormant

Agissant sur l’investissement, la rentabilité des entreprises, la diminution de la charge de la dette publique, mais aussi sur les dépenses des ménages, l’inflation apparaît ainsi comme un mécanisme de relance de l’économie par excellence. Mais elle agit aussi sur un autre registre : la prise de risque, autre levier de l’investissement et de la croissance.

Si elle réduit le poids de la dette, l’inflation agit par le même mécanisme sur l’épargne et érode sa valeur. Si l’on suit le raisonnement économique, cela pousse les gens qui vivent des produits d’une épargne dormante à chercher des alternatives de placement plus rentables, et donc plus risquées. Ce qui favorise l’investissement.

Comme le précise l’une de nos sources, "une politique d’inflation faible rémunère les rentiers aux dépens des travailleurs et des entrepreneurs qui prennent des risques. Si j’ai beaucoup d’actifs et qu’il y a peu d’inflation, il me suffit de rendements faibles pour bien vivre. Par contre, s’il y a un peu plus d’inflation, il faut que je sois plus ambitieux avec mes investissements, que je cherche à leur donner un rendement supérieur pour continuer à gagner de l’argent après inflation. Les bénéficiaires d’une inflation faible sont les prêteurs, les rentiers et les salariés avec une importante sécurité du travail. A contrario, une politique d’inflation plus élevée récompense les emprunteurs, les travailleurs et les investisseurs qui prennent plus de risques, aux dépens des diverses classes de rentiers".

Ce qui amène notre source à affirmer que "la politique monétaire conduite au Maroc, mais aussi dans le monde entier, qui cible un niveau d’inflation de 2%, vise essentiellement à protéger les épargnants, c’est-à-dire les gens les plus riches ; sans considérer que si l’on ne punit pas les épargnants, il faut bien punir quelqu’un d’autre, et que protéger les forts pour mieux punir les faibles n’est pas conforme à la justice".

"Ce ciblage de 2% d’inflation ne se base sur aucune règle économique. C’est une idéologie qui vise à protéger le capital, les institutions financières et la grosse épargne. Cette idéologie considère l’inflation comme un mal nécessaire. La plupart des banquiers centraux ont un objectif d’inflation à 2% ; l’idée n’étant pas qu’un peu d’inflation fait du bien, mais plutôt que la déflation est encore pire et qu’il faut une marge de sécurité. D’ailleurs, cet objectif d’inflation n’en est pas un. Si l’inflation est un peu en-dessous de 2%, un banquier central se félicitera, alors que si elle est un peu au-dessus, il paniquera. Pourtant, dans les deux cas, il rate son objectif", conclut notre source.

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