De quoi la grogne de la rue est-elle le nom ?

La rue ne cesse de bouillonner depuis la nomination du gouvernement Akhannouch. Des protestations sont organisées toutes les semaines, soit contre des décisions de l’exécutif, soit contre des intentions de réforme qu’il annonce. Analyse d’un mouvement plus complexe qu’on ne le laisse entendre.

De quoi la grogne de la rue est-elle le nom ?

Le 22 novembre 2021 à 20h08

Modifié 22 novembre 2021 à 20h08

La rue ne cesse de bouillonner depuis la nomination du gouvernement Akhannouch. Des protestations sont organisées toutes les semaines, soit contre des décisions de l’exécutif, soit contre des intentions de réforme qu’il annonce. Analyse d’un mouvement plus complexe qu’on ne le laisse entendre.

Pass vaccinal, professeurs contractuels, cherté de la vie, avocats, médecins… Depuis la nomination du gouvernement Akhannouch, les mouvements de protestation se multiplient. Parfois contre des décisions prises par l’exécutif, comme le pass vaccinal ; souvent contre des intentions de réforme qu’annonce le gouvernement, ou contre des faits qu’impose le contexte économique, comme la cherté des denrées de première nécessité, sujet social de premier ordre.

Face à une opposition faible, numériquement et politiquement, la rue est devenue la grande arène des protestations. Ceci dit, certains observateurs pensent que ces mouvements ne sont pas du tout spontanés, car concentrés d’abord sur un petit laps de temps, moins de 40 jours après la nomination du gouvernement, et parce qu’ils mélangent tout et n’importe quoi. Une manière de dire que face à l’équipe Akhannouch, toutes les raisons sont devenues bonnes pour protester…

Abdelilah Benkirane l’a également signalé dans son dernier mot d’orientation aux membres du PJD, en leur rappelant qu’il ne faut pas s’inscrire dans ces mouvements, qu’il qualifie d’incompréhensibles. "Nous avons dirigé deux gouvernements et avons assisté au même phénomène. Dès la nomination du gouvernement, qui jouit pourtant d’une majorité de votes de la population, des protestations commencent à sortir de nulle part", a-t-il lancé aux PJDistes, leur recommandant de prendre un peu de distance par rapport à ce qu’il se passe, et laissant entendre que des forces cachées manipulent l’opinion publique ou certaines corporations pour déstabiliser le pays…

Cette théorie du complot n’est pas tout à fait fausse. Et pas tout à fait vraie, il faut le dire. La lecture de ce discours, entre les lignes, montre clairement que Abdelilah Benkirane, mais aussi une large frange du monde politique, fait référence à la récupération politique de sujets sociaux par des mouvements qui ont un agenda politique, comme la gauche radicale ou Al Adl Wal Ihssane.

La récupération politique n’explique pas tout

Mais ça, c’est tout à fait normal, estime le politologue et chercheur Mohamed Tozy, joint par Médias24. "La récupération politique est un phénomène normal, qui existe de surcroît dans le monde entier. Maintenant, il ne peut pas non plus tout expliquer. Si les professeurs ou les médecins sortent dans la rue, c’est qu’il y a des raisons objectives derrière cela", explique-t-il.

"Ce qui est sûr, c’est que la réforme de l’Éducation va focaliser l’intervention des islamistes de tout bord, car au-delà de la problématique des contractuels, la problématique des valeurs va être soulevée à un moment donné. C’est beaucoup plus profond. Mais tout ça est normal. On ne peut pas être uniquement dans le complot. C’est normal que chaque acteur joue ses cartes. Maintenant, c’est au gouvernement de communiquer et d’expliquer. C’est aussi à la presse responsable de jouer son rôle. Ce qu’il faut éviter, ce sont les dérapages, la violence...", précise-t-il.

Pour Mohamed Tozy, ces mouvements de protestations ne peuvent donc être résumés à une certaine récupération politique par des mouvements qui tentent de déstabiliser le gouvernement. Il s’agit, en réalité, de l’agrégation de plusieurs facteurs.

"C’est d’abord le signe d’une crise des médiations. Les syndicats, c’est une donnée mondiale, ne parviennent plus à investir le monde du travail dans son ensemble ; ils ne sont plus considérés par les gens comme des moyens utiles pour exprimer leurs revendications… C’est aussi le signe de l’incapacité des partis politiques à porter ces revendications. Ou du moins à jouer, à surfer, sur ces mouvements. Il y aussi le rôle d’autres pouvoirs annexes, comme les régulateurs, mais aussi les contre-pouvoirs, comme la presse, qui a un énorme rôle à jouer ; non seulement en donnant la parole aux différents protagonistes mais aussi en organisant la contradiction, le débat", souligne le politologue. Ce dernier insiste sur le fait que ces mouvements sont plutôt un bon signe, tant qu’ils restent pacifiques, non violents, et qu’ils sont gérés de manière sereine.

Les protestations, un signe de dynamisme social

"Toutes ces revendications organisées démontrent un certain dynamisme de la société, qui paraît en avance, ou du moins décalée par rapport aux acteurs politiques. Maintenant, chaque acteur doit prendre ses responsabilités dans la gestion de ce pluralisme, de ces différences. S’il y a des protestations non violentes qui sont exprimées, ce sont aussi des opportunités pour faire émerger de nouveaux leaders, de nouveaux porte-parole de la société. Tout dépend en fait de la manière avec laquelle on gère tout cela. Mais il faut d’abord que ces protestations soient non violentes pour que leur gestion soit sereine. Il faut routiniser la gestion de ce genre de protestations non violentes et d’expressions ; les prendre au sérieux. Engager des formes de dialogues, de discussions. C’est là le signe d’une société vivante", poursuit M. Tozy.

C'est la face un peu "reluisante" de la pièce de monnaie. Mais l’autre face, qui peut être plus sombre, c’est que ces mouvements massifs de revendications deviennent un handicap à la réforme.

On le voit un peu partout dans le monde : plusieurs gouvernements portaient de grands projets de réformes, mais dès l’apparition des premiers signes de crispations sociales, ils font marche arrière ; soit pour maintenir la paix sociale, soit pour des considérations politiques. Un responsable politique au gouvernement (pas tous) pense avant tout à sa réélection plutôt qu’à la trace qu’il laissera pour les générations futures. Surtout quand il s’agit de réformes profondes, impopulaires, et dont les bénéfices n’apparaîtront que sur le long terme.

Akhannouch pourra-t-il faire du Thatcher ?

Le gouvernement Akhannouch, qui s’est imprégné dans son programme du Nouveau modèle de développement, porte justement ce type de réformes sur le long terme qui visent à changer la face du Maroc. Un changement qui passera par des réformes et des mesures impopulaires, comme celles prises récemment par Chakib Benmoussa concernant l’âge limite de l’accès aux concours de l’enseignement public, ou celle qui portera plus tard sur le statut de la fonction publique. Des décisions qui vont certainement créer de grandes vagues de protestations, comme le laissent déjà entendre ces différents corps de métiers. Ce qui est tout à fait normal ; les gens craignant souvent le changement. Mais ce qui ne l’est pas, c’est que le gouvernement fasse marche arrière pour plaire…

"Parfois, il faut être ferme, c’est sûr. Sinon, on n’avance pas. La réforme nécessite un champ politique apaisé où chacun prend ses responsabilités, mais un champ politique qui n’est pas naïf non plus, et qui sait que chaque acteur va essayer de jouer ses cartes. Maintenant, pour être franc, les réformes n’aboutiront pas toutes. Car tout dépendra du courage du gouvernement. Il faut du courage pour réformer, aller loin dans des décisions qui paraissent impopulaires", souligne Mohamed Tozy.

Réformer le pays nécessite une bonne dose de Thatchérisme… Aziz Akhannouch saura-t-il incarner la capacité de réforme dans la douleur de la dame de fer du 10 Downing Street ? Les prochains mois nous le diront.

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