Guelmim : l’épopée politique des familles sahraouies (II)  

Le décès tragique de Abdelouahab Belfkih, le 21 septembre 2021, annonce la fin d’une époque durant laquelle le défunt s’était imposé comme l’acteur politique majeur de la province de Guelmim et de la région Guelmim-Oued Noun.

Photo MAP

Guelmim : l’épopée politique des familles sahraouies (II)  

Le 2 décembre 2021 à 14h31

Modifié 2 décembre 2021 à 14h31

Le décès tragique de Abdelouahab Belfkih, le 21 septembre 2021, annonce la fin d’une époque durant laquelle le défunt s’était imposé comme l’acteur politique majeur de la province de Guelmim et de la région Guelmim-Oued Noun.

Les circonstances de sa mort, dans la nuit précédant l’élection du conseil régional, continuent d’alimenter les spéculations à Guelmim, même si trois jours après le drame, l’enquête du parquet avait conclu formellement au suicide.

Une partie des proches du défunt rejettent les conclusions de l’enquête et y voient un acte de vengeance ou de trahison. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à pousser la comparaison jusqu’à la mystification, lorsqu’ils invoquent des analogies entre le décès de Abdelouahab Belfkih et celui du Caïd Bouhia, originaire de Lakhsass (une tribu affiliée à la confédération des Aït Baamrane), décédé il y a exactement cent ans, assassiné à l’aube par balle, quelques jours avant sa prise de pouvoir sur les tribus administrées jusqu’alors par son rival, le Caïd Madani.

Les versions discordantes et les fabulations sur les causes de son décès ne sont pas étonnantes, tant le personnage de Abdelouahab Belfkih, érigé en icône, a dominé le paysage politique de la région durant plus d’une décennie.

Pourtant, rien ne prédestinait le jeune Abdelouahab, salarié d’une station d’essence où il a travaillé comme pompiste à Guelmim à la fin des années 1990, à devenir l’une des cartes gagnantes du jeu politique de la région.

Une ascension fulgurante controversée

Son influence s’est forgée au rythme des alliances avec les notables de la région. Le défunt, dont la scolarité n’a pas dépassé le niveau primaire, connaissait très bien les engrenages et les habitudes des habitants de la ville de Guelmim. Attiré par son ambition et son charisme, Lahbib Zouiki a rapidement accordé sa confiance au jeune Abdelouahab en le prenant sous son aile. Ce dernier "aurait accompli des services à la limite de l’éthique", témoignent avec pudeur plusieurs natifs de la province.

D’après les propos de l’ancien avocat et président de l’Instance nationale de protection des deniers publics, feu Tarik Sbai, Abdelouahab Belfkih était suspecté de s’être enrichi grâce au trafic de carburant subventionné dans le Sud, revendu au prix du marché dans les autres provinces. Feu Me Sbai n’a d’ailleurs pas hésité à accuser Belfkih d’être le propriétaire du camion qui était entré en collision frontale avec un autocar de la CTM en avril 2015. L’accident avait coûté la vie à 33 personnes, dont 12 enfants, à proximité de la ville de Tan Tan. Selon la même source, le camion était chargé de matières combustibles. Quelques semaines après le drame, le parquet avait décidé de classer le dossier suite au décès des conducteurs des deux véhicules.

C’est donc en 2002, dans les pas de Lahbib Zouiki, que Abdelouahab Belfkih fait son baptême du feu en politique, sous les couleurs de l’Union constitutionnelle, avant de rejoindre l’Alliance pour les libertés, un parti qui fusionnera plus tard avec d’autres petits partis pour former le PAM.

Mais c’est sous les couleurs de l’USFP que Abdelouahab Belfkih aura l’occasion de démontrer l’étendue de son génie en politique. Son recrutement par le parti de la rose a permis de ressusciter l’USFP à Guelmim-Oued Noun. Les résultats des élections communales de 2015, et des régionales et législatives de 2016, confirment, une fois pour toutes, le statut de baron de Abdelouahab Belfkih sur la scène politique de la région. Le parti est en effet arrivé premier en nombre de votes à chacune de ces élections.

Trublion de l’équilibre politique à Guelmim

Deux anecdotes liées à cette période illustrent la domination du clan Belfkih : les habitants se souviennent d’une anecdote, survenue lors des élections communales de 2015, qui fait sourire certains et grincer des dents d’autres. Au terme de ces élections, l’USFP, représenté par le frère de Abdelouahab, Mohamed Belfkih, est arrivé en tête avec 14 sièges pour sa liste, suivi du PJD et du RNI qui ont obtenu, chacun, 8 sièges. Le nombre de voix restant était partagé entre l’Istiqlal et le MP.

Il était prévu que le PJD et le RNI fassent alliance pour former la majorité au conseil communal. Pourtant, juste après le scrutin, deux candidats du RNI avaient subitement disparu des radars. Les rumeurs allaient bon train, laissant croire qu’ils avaient été kidnappés.

Le jour de l’élection des membres du conseil, les candidats manquants sont réapparus, escortés par Abdelouahab Belfkih lui-même, au volant de sa voiture. Avec ces deux voix acquises, le clan Belfkih avait finalement réussi à renverser la majorité en complétant 20 des 39 voix du conseil.

A cette période, des voix s’étaient élevées pour dénoncer une immixtion étrangère dans les affaires locales ; l’argument tribal sous-entendant la prise de pouvoir du clan amazigh sur le clan arabe alimentait la réticence d’une certaine frange des habitants quant à la consécration politique de la famille Belfkih.

L’année suivante, suite aux élections régionales, Abdelouahab a réussi à couper l’herbe sous le pied de Abderrahim Benbouaida, et à geler l’activité du conseil, en ralliant un membre de la majorité fragilement constituée à sa cause. Le blocage a conduit au transfert des attributions du conseil régional au Wali dans un premier temps, avant que Mbarka Bouaida ne soit nommée pour en assurer la présidence.

L’étau des accusations se resserre

Faisant l’objet d’une enquête approfondie par la chambre criminelle de Rabat suite à des accusations lourdes pour faux et usage de faux, Abdelouahab Belfkih risquait une peine pouvant aller jusqu’à vingt ans de réclusion. Son changement de bannière politique lors des dernières élections avait, d’après le chef du parti de la rose, un lien avec ses démêlés avec la justice.

Dans une conférence de presse tenue le lendemain du décès de Belfkih, le premier secrétaire de l’USFP avait proféré des accusations lourdes. Il avait déclaré s’être entretenu avec le défunt, une semaine avant sa mort. Ce dernier aurait justifié sa migration du parti de la rose vers le parti du tracteur, par les promesses qu’il aurait reçues de voir son affaire en cours devant les tribunaux retirée du circuit judiciaire.

A l'issue du scrutin du 8 septembre, qui a vu le PAM (représenté par Abdelouahab Belfkih) remporter 5 des 14 sièges du conseil communal, le bureau politique du parti a invalidé la candidature de sa tête de liste régionale. Une décision qui n’a pas manqué de déclencher l’ire de Abdelouahab Belfkih, qui a réagi en déclarant, dans un manuscrit envoyé à la presse le 15 septembre, se retirer définitivement de la vie politique, estimant avoir été trahi et promettant de révéler les véritables raisons inhérentes à sa décision.

Le 21 septembre, Abdelouahab Belfkih était retrouvé mort à son domicile situé à Ait Abella, succombant à une blessure par balle.

Sa disparition rebat pour de bon les cartes du jeu électoral dans la région.

Guelmim : l’épopée politique des familles sahraouies (I)

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