Protection sociale : les prérequis de la réussite de la réforme

L’élargissement de la protection sociale est sans doute le chantier le plus ambitieux du nouvel exécutif. Lors d’une rencontre du Forum des Alternatives Maroc, les intervenants ont estimé que son succès dépendra de divers paramètres qui questionnent le système actuel dans sa globalité.

Protection sociale : les prérequis de la réussite de la réforme

Le 23 décembre 2021 à 12h59

Modifié 23 décembre 2021 à 13h43

L’élargissement de la protection sociale est sans doute le chantier le plus ambitieux du nouvel exécutif. Lors d’une rencontre du Forum des Alternatives Maroc, les intervenants ont estimé que son succès dépendra de divers paramètres qui questionnent le système actuel dans sa globalité.

L'élargissement de la protection sociale est décidément le chantier prioritaire - et le principal - du gouvernement pour 2022. Ce chantier était déjà en marche, et dès cette année, une large partie de la population a rejoint le système.

À partir du 1er décembre 2020, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) a commencé à intégrer près d’un million de nouveaux bénéficiaires dans le système de l’assurance maladie obligatoire (AMO).

Les 500.000 personnes assujetties au régime de la contribution professionnelle unique (CPU) peuvent s’inscrire depuis le début du mois de décembre 2021 auprès de la Direction générale des impôts (DGI), pour bénéficier dès janvier 2022 des prestations de soins.

A partir de janvier 2022, les catégories suivantes pourront s’inscrire pour bénéficier des mêmes prestations le mois suivant :

- Les commerçants et les artisans tenant une comptabilité, et qui ont opté pour le régime du résultat net simplifié, devront s’acquitter d’une contribution annuelle équivalente à une fois le SMIG. Pour les commerçants optant pour le régime du bénéfice réel, la contribution s’élève à 3,2 fois le SMIG pour ceux réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 100.000 dirhams, et à 6 fois le salaire minimum au-delà. L’enregistrement devra être réalisé auprès des services de la DGI.

- Les médecins généralistes devront verser une cotisation égale à 4 fois le SMIG, contre 5,5 fois ce montant de référence pour les spécialistes.

- Les pharmaciens devront, pour bénéficier des prestations, s’acquitter d’une participation à hauteur de 3 fois le SMIG. Les biopharmaciens sont tenus de verser une somme équivalente à 5,5 fois le SMIG.

- Les dentistes verseront des montants de cotisations prenant en compte leur ancienneté. Ainsi, les dentistes en exercice depuis moins de 5 ans ou au-delà de 35 ans devront s’acquitter d’une participation équivalente à 3 fois le SMIG, et de 4 fois pour les autres.

- Les personnes exerçant des métiers paramédicaux doivent s’acquitter d’une cotisation à hauteur de 2 fois le SMIG.

- Les notaires verseront des contributions de l’ordre de 4 fois le SMIG et pourront formaliser leur enregistrement auprès du Conseil national de l’Ordre des notaires.

Les autoentrepreneurs, qui sont au nombre de 300.000, pourront s’inscrire, dès février 2022, auprès des agences de la poste. Le montant à verser varie en fonction des droits annuels versés au titre de l’impôt.

D’autres professions vont rejoindre le système incessamment. Après l’approbation, jeudi 9 décembre, des décrets relatifs aux topographes et aux vétérinaires, l’exécutif se dirige vers l’adoption proche de décrets définissant les bases de cotisation d'autres catégories. Les décrets relatifs aux chauffeurs de taxis, aux agriculteurs et aux artisans non soumis ni au régime de la CPU ni au régime des autoentrepreneurs, ont été adoptés lors du Conseil du gouvernement de ce jeudi 23 décembre.

Des pourparlers sont également en cours avec les professionnels appartenant à onze corps de métiers : les avocats, les personnes physiques exerçant dans le bâtiment, les finances, les artistes, le transport, le tourisme, la pêche maritime, l’industrie et les nouvelles technologies, la presse, le cinéma et les artisans mineurs.

Protection sociale : quid du financement ?

Le train de la réforme est en marche. Cependant, son succès dépendra de divers paramètres qui questionnent le système actuel dans sa globalité. Qu’il s’agisse de l’élargissement du panier de soins, de la hausse du taux de couverture ou de la pérennisation des caisses d’assurance maladie, plusieurs variables sont à prendre en considération, notamment la question du financement. Ces points ont été débattus lors d'un séminaire organisé à Tanger par le Forum des Alternatives Maroc sur "le socle national de la protection sociale".

Intervenant à l'occasion de ce séminaire, Aziz Khorsi, chef de division de la communication et des relations internationales à la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS), caisse gestionnaire de l'AMO pour le public, explique "qu'à cause des transitions épidémiologiques, démographiques et technologiques, il y aura à l’avenir une grande pression sur les offres de services, et par la force des choses, une influence sur les équilibres généraux de la caisse".

La couverture médicale universelle garantit l’accès aux services de soins et contribue, intrinsèquement, à prolonger l’espérance de vie de la population. En termes démographiques, le vieillissement de la population engendre un accroissement proportionnel des maladies de longues durées, financièrement lourdes à traiter. "Les caisses sociales seront à l’avenir de plus en plus sollicitées, et si on n’invente pas de nouveaux canaux de financement, nous risquerons de basculer rapidement vers une situation de déficit", alerte Aziz Khorsi.

Il ajoute : "les cotisations à elles seules ne suffisent pas à garantir l’autonomie financière d’une caisse, car elles dépendent de la capacité de l’adhérent à payer ses cotisations. A terme, nous arriverons à un point où les cotisations ne pourront plus être extensibles ; elles atteindront leurs limites. C’est pour cela qu’il faut innover et repenser les mécanismes de financement".

Jamal Azouaoui, auteur d’une étude sur la loi cadre 09.21 relative à la protection sociale, intervenant lors du même séminaire, converge dans le même sens. Il explique qu'au Maroc, la loi cadre sur la protection sociale définit le mode de financement de la protection sociale d’une part, et de l’assistance sociale de l’autre.

La protection sociale sera à cet effet financée par les actifs et une partie par le contribuable. Sur ce dernier point, Jamal Azouaoui s’interroge : "sur quelle légitimité devraient s’appuyer les pouvoirs publics pour financer le système ?", sans exclure que le principe de solidarité porté par la loi cadre 09.12 aura inévitablement des conséquences politiques. "Il ne faut pas que ce projet fasse l’objet d’une simple réforme paramétrique", estime Jamal Azouaoui.

Le challenge du passage du RAMED à l'AMO

Jamal Azouaoui fait ici référence à la loi cadre 09.21 qui, conformément aux principes d’équité, d’égalité et d’unification, confie le transfert de la population bénéficiaire du RAMED à la CNSS. Cela signifie que les 12 millions de Ramedistes basculeront du système d’assistance médicale vers l’assurance médicale. En d’autres termes, les bénéficiaires des cartes RAMED qui n’étaient pris en charge que dans les structures publiques de santé, pourront désormais être pris en charge dans le secteur privé dans le cadre de l'AMO.

Cela risque de poser des contraintes pour le système. Les chiffres avancés par Aziz Khorsi, à cet égard, sont édifiants : "actuellement, seulement 6% des dépenses de prestations médicales de la caisse vont au secteur public, tandis que le reste est engrangé par la médecine privée. Pourtant, tous les pays qui mettent en place la couverture sanitaire universelle s’appuient sur le secteur public, tout en élaborant des mécanismes pour intégrer le secteur privé, soit par voie de contractualisation, soit via le partenariat public-privé. La locomotive de la couverture sanitaire ne peut être autre que le secteur public".

Par ailleurs, se pose aussi la question des coûts à même de supporter le système. A ce sujet, le responsable à la CNOPS estime qu'il est nécessaire de réaliser des études approfondies sur les coûts réels des services. "Nous devons disposer d’observatoires et d’institutions qui nous garantissent que les dépenses de soins de santé dans le secteur public sont adéquates et non somptuaires", insiste notre source. Avant d’ajouter : "la raison principale qui nourrit le manque de confiance des Marocains dans la couverture sanitaire, c’est l’écart entre les tarifications de références des remboursements effectués par la CNSS et la CNOPS, et les prix pratiqués par les professionnels".

Il en est de même pour le coût des médicaments. Une enquête menée par les services de la CNOPS tend à démontrer que les prix des médicaments sont anormalement élevés. Jamal Azouaoui d'expliquer : "nous avons mené une enquête sur 300 médicaments, à la suite de laquelle nous avons réalisé que nous avions perdu 250 millions de dirhams car les prix pratiqués au Maroc étaient supérieurs aux prix pratiqués par les pays voisins, dont la France et la Belgique, et ce malgré le fait que le pouvoir d’achat du citoyen marocain est 7 fois inférieur au pouvoir d’achat du citoyen français".

A cela s’ajoute le manque de fermeté de l’État quant aux promesses de justice spatiale. "Nous avons remarqué un grand laxisme des pouvoirs publics lorsqu’il s’agit de faire appliquer les dispositions de la carte sanitaire aux investisseurs privés. Les cliniques et les centres hospitaliers privés continuent de s’implanter massivement entre Rabat et El Jadida, au détriment des villes situées en dehors de ce périmètre, créant ainsi des disparités profondes entre les régions. A quoi sert de généraliser l’assurance maladie obligatoire s’il n’y a pas de structures pour fournir les prestations ?"

Aziz Khorsi plaide également pour une approche qui favorise l’anticipation et la proactivité : "jusqu’à aujourd’hui, les scénarios pour faire face aux risques de déficit ou de déséquilibre ne sont pas clairement définis. Comment espère-t-on réussir un projet d’une si grande envergure si le Maroc ne dispose pas d’une école nationale de sécurité sociale qui formera les cadres de demain ?"

"Il est primordial de préparer des ressources humaines qualifiées, à travers la formation, et de préciser les mécanismes de gouvernance à même de permettre d’anticiper les risques et les crises futurs. Enfin, il faut être en mesure d’innover, de créer des articulations et des démembrements assez forts pour faire face aux défis à venir", conclut Aziz Khorsi.

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