Les 100 jours de l’opposition : quand le « Taghawoul » devient un concept politique

Utilisé pour la première fois par le premier secrétaire de l’USFP au lendemain de la constitution de la majorité, le terme « Taghawoul » est adopté aujourd’hui par tous les groupes de l’opposition. Au-delà d’un simple mot, il explique, selon eux, l’inefficacité de fait de leur travail et de leur action au sein du Parlement, imposée par la réalité des chiffres.

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Les 100 jours de l’opposition : quand le « Taghawoul » devient un concept politique

Le 13 février 2022 à 18h27

Modifié 14 février 2022 à 7h45

Utilisé pour la première fois par le premier secrétaire de l’USFP au lendemain de la constitution de la majorité, le terme « Taghawoul » est adopté aujourd’hui par tous les groupes de l’opposition. Au-delà d’un simple mot, il explique, selon eux, l’inefficacité de fait de leur travail et de leur action au sein du Parlement, imposée par la réalité des chiffres.

Après le bilan des 3 premiers mois de l’action gouvernementale, nous avons voulu faire le même exercice pour l’action de l’opposition. Savoir ce qu’elle a réalisé (ou pas) durant ce début de mandat, les conditions d’exercice de ses prérogatives, l’ambiance de travail…

Contactés par nos soins, présidents et députés de différentes couleurs des partis de l’opposition sont unanimes sur une chose : il n’y a pas de bilan à présenter, car l’opposition est privée de tout moyen d’action au sein des instances législatives. En cause : la politique du « Taghawoul » imposée par la troïka RNI-PAM-Istiqlal, qui leur ôte toute possibilité d’action. « Taghawoul », que l'on peut traduire par hégémonisme, un terme inventé par Driss Lachgar, premier secrétaire de l’USFP et qui est, aujourd’hui, adopté par tous les groupes parlementaires de l’opposition dans ce qui est devenu un concept politique à part entière.

Gouvernant avec 270 sièges, en plus du soutien critique apporté par l’UC (18 sièges) qui ne fait pas partie de l’alliance gouvernementale, l’exécutif dispose d’une majorité écrasante au sein du parlement, qui ne laisse aux partis de l’opposition aucun moyen d’activer les leviers classiques pour faire pression sur le gouvernement. Surtout que l’opposition, qui ne dispose que de 107 sièges, soit à peine 27% du nombre de sièges au sein de la première chambre, est éclatée entre huit formations politiques, de toutes les couleurs, de l’extrême gauche aux islamistes, en passant par la gauche modérée et le centre-droit.

La loi des grands nombres ou le rouleau compresseur de la majorité

« La réalité des chiffres au sein de la première chambre prive aujourd’hui l’opposition de plusieurs mécanismes importants de contrôle de l’action gouvernementale, comme la constitution de commissions d’enquêtes ou d’information, les convocations du Chef de gouvernement au Parlement… Pour activer ces leviers, il faut avoir, au minimum, le tiers du nombre de sièges, ce qui n’est pas le cas actuellement », se désole Rachid Hammouni, président du groupe parlementaire du PPS.

Ce qui reste à l’opposition : les mécanismes classiques, comme les questions orales, les questions écrites, la présentation d’amendements aux projets de loi déposés par l’exécutif, ou la présentation de propositions de lois, droit qu’accorde la Constitution à tout groupe parlementaire. Mais là aussi, les partis de l’opposition nous disent que le « Taghawoul » fait que même que ces actions normales sont aujourd’hui neutralisées par la majorité.

Selon un bilan de cette première session parlementaire que nous ont adressé le chef de l’équipe PJD Abdellah Bouanou, Abderrahim Chahid, président du groupe de l’USFP ou encore Rachid Hammouni, le président du groupe PPS, l’opposition a déposé, depuis le début de la législature, plus de 60 propositions de lois. Aucune d’entre elles selon nos interlocuteurs n’a reçu un avis favorable de la majorité.

« Il y a eu 80 propositions de lois au total, dont 65 sont venues de l’opposition. La Majorité n’a ouvert la discussion sur aucune de ces propositions. Ce qui est une infraction flagrante au règlement intérieur de la première chambre qui exige l’ouverture des discussions sur au moins une proposition de loi venant de l’opposition par mois », commente Rachid Hammouni. Le problème, ajoute-t-il, c’est que la majorité sait que ces propositions peuvent ne pas passer vu la réalité des chiffres, mais n’accepte même pas d’ouvrir les discussions.

Dans un document réalisé par l’équipe PJD sur les 100 premiers jours de cette législature, le groupe des 13 élus islamistes fait le même constat de ce qu’ils appellent aussi le « Taghawoul » de la majorité. Et ces propositions de loi rejetées sans discussion traitent comme nous le montrent Bouanou et Hammouni de sujets d’actualité, comme le plafonnement des prix des hydrocarbures, de la liquidation de la Samir, de la création d’une agence pour le développement des zones montagneuses, le Code du travail, la liberté de la presse, les tribunaux financiers…

Même « inefficacité de fait » dans les amendements aux projets déposés par le gouvernement. Sur le PLF 2022, principal projet de loi passé durant cette première session, l’opposition a déposé 92 amendements sur les 130 amendements totaux. Seuls 3 amendements ont été acceptés par la majorité, nous disent nos sources, sachant que les groupes de l’opposition, malgré leurs différends, se sont unis pour l’occasion et ont déposé des amendements communs. Mais rien n’est passé…

« Nous avons fait un effort monstre pour unir les rangs de l’opposition et avoir au moins 70 voix pour peser sur le PLF. Certes, ce nombre n’est pas suffisant pour faire passer des amendements, mais on croyait qu’il allait donner une crédibilité aux propositions de l’opposition et pousser le gouvernement à interagir positivement avec nos amendements. Mais rien n’y fait… », s’alarme le président du groupe parlementaire du PPS.

Même constat sur les questions orales et écrites qui reçoivent selon nos sources un traitement mineur de la part du gouvernement. Sur 2.031 questions orales posées, 636 sont venues de l’opposition. Et sur l’ensemble, le gouvernement n’a apporté que 222 réponses. Pour les questions écrites, 1.652 questions ont été adressées au gouvernement, dont 987 par les députés de l’opposition. Seules 405 réponses ont été envoyées à leur destinataires...

Ce qui fait dire à nos sources que l’opposition fait son travail, en utilisant ses prérogatives constitutionnelles et celles octroyées par le règlement intérieur du Parlement, mais que le gouvernement et le bureau de la première chambre font barrage à toute action venant des partis de l’opposition sous prétexte de la loi du nombre.

Une opposition vidée de sa substance mais unie contre le « Taghawoul »

« L’opposition est une institution qui a des prérogatives données par la constitution et le règlement intérieur du Parlement. Quand on voit le nombre de questions adressées au gouvernement, le nombre de propositions de lois déposées, les demandes de tenues de commissions, les amendements au PLF…, on voit que l’opposition fait son travail. Mais le problème, c’est que tout cela ne sert finalement à rien face à la loi de cette Majorité qui a réduit à néant le rôle de l’opposition », tonne le président du groupe du PPS, pour qui cela constitue un « danger pour les institutions, la démocratie et le pays ».

La même chose, expliquent nos sources, est constatée dans les communes, où l’actuelle majorité gouvernementale a tissé la même toile d’alliance. Ce qui vide, disent nos sources, le travail politique de toute sa substance, créant, comme nous le confie le président du groupe du PPS, de la frustration dans les rangs des militants et des élus qui voient que leur action est inutile face au rouleau compresseur de la majorité RNI-PAM-Istiqlal.

« On n’a plus aucune voie pour faire l’opposition. Ce qui est dangereux pour le pays. Et ça, la majorité semble ne pas le comprendre, ou fait semblant de ne pas le comprendre. Parce qu’à part deux ou trois ministres, on est face à un gouvernement technocratique qui n’a pas de souffle politique », souligne Rachid Hammouni.

Cet « hégémonisme», pointé du doigt aussi bien par le PPS, l’USFP, le MP et le PJD dans leur discours mais aussi dans leur documentation officielle, est justement le seul point qui fait converger les opinions des différentes composantes de la majorité, qui se sont unis, selon nos sources, pour faire tomber cette loi du plus fort.

Si la coordination entre les composantes de l’opposition dans la préparation de propositions de loi ou dans l’action quotidienne est quasi inexistante, les partis de l’opposition ont créé une union contre le « Taghawoul », nous dit-on. Premier combat mené : faire tomber la décision prise par le bureau de la première chambre de rendre secrètes le réunions des commissions parlementaires.

Une décision, nous disent nos sources, qui est passée parce que « le président de la première chambre a influencé les membres du bureau, dont ceux de l’opposition qui pêchent par leur jeunesse et leur manque d’expérience, pour faire passer la pilule ». Leur contre attaque s’organise sous forme de tentative d’amendement du règlement intérieur du Parlement. Et si cette tentative échoue, ils n’excluent pas de recourir à la Cour constitutionnelle.

Même action commune qu’ils mènent pour obliger le Chef du gouvernement à respecter la régularité mensuelle de la tenue des séances des questions orales. « Sur 4 séances constitutionnelles, le Chef du gouvernement ne s’est présenté que 2 fois. On peut lui pardonner son absence en octobre du fait de l’agenda très serré de ce mois où le gouvernement venait à peine d’être constitué, mais son absence en décembre était injustifiée. Ce qui constitue une infraction à une règle constitutionnelle claire », soulignent les membres de l’opposition qui ont trouvé en cette nouvelle donne politique un terrain d’entente, une cause commune.

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