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Médina de Casablanca. Déambulations entre remparts et mémoire

En 1900, un périmètre d'à peine 45 km2 abritait 20.000 âmes. Un noyau, dont les prolongements tentaculaires à travers les siècles allaient pourtant donner naissance à la métropole casablancaise. Ce carrefour civilisationnel recèle un patrimoine qui raconte une histoire vivante. Balade au cœur de la médina.

Médina de Casablanca. Déambulations entre remparts et mémoire

Le 16 février 2022 à 10h49

Modifié 16 février 2022 à 10h49

En 1900, un périmètre d'à peine 45 km2 abritait 20.000 âmes. Un noyau, dont les prolongements tentaculaires à travers les siècles allaient pourtant donner naissance à la métropole casablancaise. Ce carrefour civilisationnel recèle un patrimoine qui raconte une histoire vivante. Balade au cœur de la médina.

Comment expliquer qu'un lieu agisse comme un aimant qui traverse les siècles sans perdre de sa force d'attraction ? Il ne semble pas y avoir de réponse définitive. Mais si on devait catégoriser la médina de Casablanca, elle serait cet "aimant" qui attire inlassablement vers son épicentre, même les horizons les plus lointains. Car, si on remontait dans le temps, l'ancienne médina serait certes différente, mais elle ferait indéniablement le même effet. Et il est aisé de mesurer cette énergie séculaire en constatant que l’actuelle Casablanca en est le prolongement évident.

Ce n’est certainement pas Rabéa Ridaoui, présidente de l’association Casamémoire, qui nous contredira. Selon cette passionnée du patrimoine de la ville blanche, l’histoire de la médina laisse augurer ce que la ville va devenir, la capitale économique du Royaume.

« Casablanca a d’abord été un port de commerce actif. Avec l’arrivée des Français, le maréchal Lyautey a voulu en faire la capitale économique du Maroc. Depuis, la ville s’est développée en une sorte de moteur qui tire tout le pays. En cela, elle attire naturellement les investissements, le commerce, tout ce qui peut nourrir l’économie du pays. » Elle poursuit : « Le port de Casablanca figure parmi les plus grands ports d’Afrique, et c’est ce qui nourrit encore une fois cette vocation de ville portuaire ouverte sur le commerce extérieur. Dès le départ, Casablanca a été une ville d’immigration qui n’a jamais cessé de l’être. Quiconque veut percer débarque dans la métropole. Quelle que soit notre provenance sociale, culturelle, on passe tous par Casablanca. C’est ce qui fait que c’est une ville qui va toujours être cosmopolite. Quand quelqu’un dit qu’il est casablancais, c’est qu’il est un mélange de tout cela. »

Déclin et renaissance

À l'origine de la ville effervescente de Casablanca, il y a donc la médina. C’est à la fois son cœur historique et le noyau urbain à partir duquel s’est développée la capitale économique que l’on connaît aujourd’hui. Mais au début, vers le XIIe siècle, c’était une petite ville portuaire de la province de Tamesna, ouverte sur un port primitif - et donc sur l’étranger et le commerce extérieur. Le cosmopolitisme y a pris racine très tôt.

Il faut savoir qu’en 1900, la médina se déployait sur une superficie d'à peine 45 km2 et sa population comptait environ 20.000 personnes. C’est à partir de ce périmètre restreint qu’a émergé Casablanca avec ses 4 millions d’habitants et 1.650 km2 de superficie.

« La médina telle qu’on la connaît aujourd’hui est plus ou moins moderne, puisqu’elle date d’à peine du XVIIIe siècle. L’antique ‘Anfa’ a eu une histoire très mitigée (l’ancêtre de Casablanca, NDLR). Fief du royaume berbère des Berghouata puis des corsaires d’Anfa, elle a été détruite par les Portugais au XVe siècle. Elle s’est donc éclipsée pendant quelques siècles. La renaissance est venue avec le Sultan alaouite Sidi Mohammed Ben Abdellah (1757-1790, NDLR) qui a construit ‘Dar El Beida’ sur les ruines de l’ancienne Anfa, et il l’a repeuplée », nous apprend Rabéa Ridaoui.

Le site d’Anfa est connu depuis l’Antiquité. On lui attribue des origines romaines, phéniciennes ou encore berbères (les Zenatas). Anfa pourrait provenir du mot berbère « Anafé ou Anafa » qui signifie promontoire. En effet, lorsqu’on arrive de la mer, on distingue d’abord la colline d’Anfa. C’est le nom qu’on trouve dans les anciennes cartes.

« Quand il a fait la description de l’Afrique, Léon l’Africain a parlé d’Anfa. C’est à la renaissance de la ville à l’ère des Alaouites, précisément de Sidi Mohamed Ben Abdellah, à la moitié du XVIIIe siècle, que l’on va la rebaptiser ‘Dar El Beida’. Mais cette ville était déjà nommée ‘Casa Branca’ par les Portugais qui arrivaient de la mer à Anfa », résume la présidente de Casamémoire. Ce nom a été repris par les Espagnols qui venaient aussi y faire du commerce. Et c’est tout naturellement que le Sultan Alaouite va la reconstruire et la nommer Dar El Beida.

Quand le Sultan alaouite reconstruit l’ancienne Anfa, il ramène des habitants de Meknès et du sud du Maroc. Le fait qu’elle soit ouverte au commerce va attirer une population étrangère qui viendra y élire domicile. Les noms des places, les façades, les configurations des maisons forment autant d’indices qui témoignent du cosmopolitisme historique de la médina.

Et « si on regarde la médina sous le prisme de son architecture, on trouve plusieurs styles : l’architecture marocaine (du début du XXe siècle) à l’image des maisons à patio ; les immeubles de style néo-classique qui rappellent des choses qu’on trouve en Italie ; ou hispano-mauresque qu’on retrouve en Andalousie. Et bien plus tard, dans les années 1920, on trouve de l’Art déco dans la médina. Des immeubles qui existent encore en attestent », développe la présidente de Casamémoire.

À l’intérieur de la médina, les traces d’une histoire riche persistent, à l’image des immeubles du début de l’Art déco des années 1920 et du néo-classique des années 1910 (des façades avec des moulures, des balcons en fer forgé). « L’ancien consulat du Danemark existe encore dans la médina. Aujourd’hui, ce n’est plus un consulat, mais il a gardé son architecture italienne (sis boulevard Sidi Bousmara) », précise Rabéa Ridaoui.

Lieux cultes

Les premières communautés étrangères de la médina étaient composées d’Espagnols (XIXe siècle) qui s’y sont installés pour faire du négoce. Les maisons de style hispano-mauresque, dont quelques vestiges subsistent encore, témoignent de leur passage. On retrouve même des bâtiments avec des inscriptions de noms espagnols, comme Alvarez. Le principal témoin de cette présence est l’église « Buenaventura » établie dans la médina depuis la fin du XIXe siècle. Le terrain de cette ancienne église, réhabilitée aujourd’hui en centre culturel, a été offert par le Roi Hassan Ier aux Franciscains espagnols qui avaient besoin d’un lieu de culte.

En déambulant dans la médina, le brassage culturel et religieux se ressent aussi bien dans les équipements que dans l’architecture. C’est ainsi que dans un périmètre très réduit, trois lieux de culte se côtoient, représentant les trois religions monothéistes : Jamaâ Oueld Al Hamra, la synagogue Ettedgui et l’église franciscaine Buenaventura. Il y a aussi des zaouïas (confréries religieuses), des mausolées et sanctuaires juifs qui sont encore visités par la communauté juive.

« Aux abords de la médina, il y a également une petite église anglicane, protestante : Saint John. Ce sont les Anglais de Gibraltar, des négociants, qui ont créé au début du XXe siècle cette église qui vient d’être restaurée. D’ailleurs, sur la place Mohammed V, il y avait auparavant Labhira (ancien marché aux puces connu pour ses bouquinistes) et aussi le Mellah. Et ce périmètre faisait partie de la médina. Il a été grignoté par la suite. L’espace actuel n’est pas celui d'origine. Quand les Français sont arrivés, ils ont cassé une partie de la muraille pour percer le boulevard Houphouët-Boigny qui mène vers le port, et quelques décennies plus tard, l’avenue des Forces armées royales (FAR). Donc, il y a eu beaucoup de transformations », explique Rabea Ridaoui.

Quand l’espace de la médina a été réduit, certaines des huit portes qui entouraient la muraille protégeant ce noyau urbain ont aussi disparu. Ouvertes au lever du jour et fermées à la tombée de la nuit, ces portes facilitaient l’accès à la médina, faisant office de point de contrôle des entrées et sorties. Le nom de chaque porte pouvait nous renseigner sur l’activité d’une partie de la médina, ou la direction à prendre pour atteindre une ville. C’est le cas de « Bab Marrakech » qui était le point de sortie à destination de la ville éponyme. Pour sa part, « Bab El Marssa » évoquait la porte de la Marine qui donnait directement sur le port. Il y avait autrefois une porte nommée « Bab El Arsa » qui donnait sur Arsat Zerktouni, ou encore « Bab Errha » qui donnait sur le marché aux grains, et qui a disparu aussi.

Une architecture métissée

La médina a toujours attiré une population étrangère. Un exode massif de commerçants et d'ouvriers issus de toutes les régions du Maroc, a commencé au début du XXe siècle, mais la médina a accueilli également des Européens, des Italiens notamment. « Par exemple, la Sqala (l’ancien bastion construit au XVIIIe, NDLR), qui est le monument de la médina, est de style Vauban, inspiré de la Renaissance italienne. D’ailleurs, si on se promène aux abords de la muraille, du côté du boulevard des Almohades, toutes les belles maisons adossées à la muraille ont un cachet italien, dans un style un peu vénitien. L’architecte de la Sqala, Théodore Cornut est français. Il est aussi l’auteur, à la même période, du plan de la ville d’Essaouira»,  indique cette fervente militante de ce patrimoine.

Autre particularité : dans ce qui correspondait jadis à la partie bourgeoise, à l'est de la médina (Sidi Bousmara, Sidi Allal el Karouani et Sidi Belyout), on peut également constater la vocation commerçante des habitations. La plupart d’entre elles sont en effet agrémentées d’entrepôts ou de lieux de commerce au rez-de-chaussée, au-dessus duquel logeaient les gens. Même si la maison à patio traditionnelle était la plus répandue dans la médina, elle avait aussi des ouvertures sur la rue, ce qui n’existe pas ailleurs. C’est le cas du quartier juif du Mellah, qui n’était pas fermé contrairement à d’autres villes. On pouvait le traverser à côté du quartier musulman.

« Et tout cela s’accentuera avec la signature du protectorat et l’arrivée des Français, et surtout avec le développement du port. La construction du port moderne en 1906 va engendrer une migration massive d’étrangers qui vont venir travailler dans l’espoir d’avoir un avenir meilleur dans cette ville. Quand on lit les ouvrages du début du siècle dernier sur le sujet, il y avait plusieurs agences et consulats étrangers dans la médina. Et il en reste encore des traces. Par exemple, l’école Mohamed Ben Abdelaziz, sur la place de Belgique, était le siège du consulat d’Allemagne. D’ailleurs, si la place porte ce nom, c’est parce qu’il devait y avoir un consulat belge sur place. L'Œuvre de la goutte de lait dans la médina, c’était le consulat français. Et, il y a encore les traces de l’ancien consulat espagnol », relève la présidente de Casamémoire.

Au début du XXe siècle, Lyautey voulait établir une ville nouvelle, en contrepoint de l’ancienne médina, complètement tournée vers la modernité. Cela se voit dans les infrastructures et l’architecture qui renvoient à ce qui était en vogue aux États-Unis et dans les grands pays émergents de l’époque. Casablanca est donc une ville moderne. « Ce que nous avons toujours dit, en fait, pour présenter Casablanca, c’est que c’est une ville moderne avec une histoire ancienne. Parce qu’elle a existé du temps de l’antique Anfa, il y a des vestiges préhistoriques dans la carrière de Sidi Abderrahmane. Au cours de l’histoire, on a témoigné de la prospérité de cette ville, sauf qu’elle n’a jamais connu l’essor des grandes villes impériales comme Marrakech ou Fès. Mais elle a toujours été une ville tournée vers le commerce. N’oublions pas que nous sommes dans la région de la Chouia, une région très fertile », argumente Rabéa Ridaoui.

Ainsi, avec le développement de la navigation à vapeur, c’est toute l’Europe qui venait s’approvisionner en produits (laine, céréales, etc.) dans cette région, à partir du port de Casablanca. « Il y avait un potentiel économique dès le départ, et les Français l’ont senti. C’est pour cela que la ville s’est développée en capitale économique », ajoute la présidente de Casamémoire.

Une star hollywoodienne

Au-delà de la vocation économique indéniable de la médina, les aspects historiques et culturels nourris par une présence étrangère, comme son rôle de carrefour des civilisations, ont été une source d’inspiration pour les artistes. Le célèbre film de Michael Curtiz, Casablanca, sorti en 1942, en est évidemment l’exemple le plus parlant. « Même si le film n’a pas été tourné à Casablanca mais dans des studios aux États-Unis, le réalisateur avait réalisé des recherches et s’est inspiré un peu de la médina pour recréer une ville imaginaire à l’ambiance pittoresque. Ce n’est pas pour rien que l’on voit dans le film ce cachet cosmopolite d’une ville où transitaient beaucoup d’étrangers, surtout dans les années 1940 où il y avait des espions et des affairistes. Ça reflète un peu l’esprit de la ville de cette époque », souligne Rabéa Ridaoui.

Pour la présidente de Casamémoire, la métropole est une ville de cinéma du fait de la richesse de son architecture, de son espace urbain et de son cosmopolitisme. Beaucoup de réalisateurs y ont trouvé leur bonheur. C’est le cas de Martin Scorsese qui a tourné une partie du  film Kundun sur la place Mohammed V, un endroit qui rappellerait la place Tian'anmen. « Bien que beaucoup de gens croient que c’est une ville récente, Casablanca a une richesse culturelle très importante à mettre en avant. Il ne faut pas se limiter seulement à l’image de la ville économique, mais considérer aussi sa richesse culturelle qui peut justement constituer une manne économique pour son développement culturel », défend Rabea Ridaoui.

Sa réhabilitation en 2010 témoigne de la volonté de valoriser la mémoire et le potentiel de la médina, que ce soit au niveau architectural et patrimonial, ou au regard de sa dimension humaine. « Mon plus grand rêve est de voir la médina de Casablanca à l’image de ces centres historiques qu’on visite à l’étranger. Même si j’aime bien le côté populaire de la médina quand je m’y promène, il est nécessaire qu’elle soit prise en charge pour représenter réellement le cœur historique de la ville », espère la présidente de Casamémoire. L'appel est lancé.

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