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Rabat. Kulte Gallery & Editions, la culture populaire à l'honneur (1/5)

En plus du Musée Mohammed VI d’Art moderne et contemporain et du Théâtre national Mohammed V, deux sites emblématiques de Rabat Ville Lumière, plusieurs autres espaces à taille humaine viennent enrichir l’offre culturelle. Les hôtes de ces lieux, qui participent chacun à sa manière à la dynamique de la scène culturelle de la capitale, ont ouvert leurs portes à Médias24.

Rabat. Kulte Gallery & Editions, la culture populaire à l'honneur (1/5)

Le 3 mars 2022 à 15h17

Modifié 4 mars 2022 à 16h16

En plus du Musée Mohammed VI d’Art moderne et contemporain et du Théâtre national Mohammed V, deux sites emblématiques de Rabat Ville Lumière, plusieurs autres espaces à taille humaine viennent enrichir l’offre culturelle. Les hôtes de ces lieux, qui participent chacun à sa manière à la dynamique de la scène culturelle de la capitale, ont ouvert leurs portes à Médias24.

« La beauté sauvera le monde. » La célèbre formule de Dostoïevski, à la fois mystérieuse et définitive, divise certes les philologues, mais aucun artiste ou passionné d’art ne contredira le propos. Et même si la beauté, à travers les arts, n’avait pas ce pouvoir, elle a néanmoins la faculté de changer la perception du monde. Mais, pour exister, les arts et la culture ont besoin de lieux qui maintiennent allumée la flamme et qui permettent d’y accéder. Car le premier défi de la culture a toujours été son accessibilité, qu’elle soit physique ou symbolique. Ses différents acteurs ont déjà pris la mesure de ce défi. Ainsi, au cours de la dernière décennie, plusieurs lieux culturels de la capitale ont pu asseoir leur notoriété historique, tandis que d’autres ont vu le jour et ont même réussi à percer pour certains.

Médias24 a poussé les portes de cinq lieux de la culture qui méritent le détour. Centre d’art contemporain ou culturel, galerie institutionnelle ou commerciale, résidence d’artiste ou maison d’édition… tous participent à l’« effervescence » culturelle de Rabat. Leurs fondateurs et dirigeants évoquent leurs projets artistiques, la relation au public, leur rapport à la ville et le regard qu’ils portent sur la chose culturelle au Maroc.

Yasmina Naji, Elisabeth Piskernik, Abla Ababou, Dina Naciri et Marie-Cécile Le Luec ont fait le pari d’une culture qui s’adresse à tous. Car, dans le domaine de l'art ou plus généralement de la culture, la véritable cible n’est jamais celle à qui l’on croit s’adresser.

The Storyteller, Katia Kameli, Kulte à Loop Barcelona, La Pedrera-Casa Milà, Barcelone, novembre 2021. Crédits photos : Kenza Benbouchaïb / Kulte Center for Contemporary Art & Editions

  L’art contemporain est un bon médium pour parler de la culture populaire 

Yasmina Naji, fondatrice de Kulte Gallery & Editions

 

Lorsque Médias24 contacte Yasmina Naji, la fondatrice de Kulte Gallery & Editions, elle vient tout juste de rentrer de Barcelone. Son centre d’art contemporain participait du 16 au 18 novembre 2021 à la 19e édition de Loop Barcelona, une plateforme dédiée à l’art vidéo. Une participation grâce à laquelle Kulte a remporté le Prix de l’acquisition, intégrant, par là même, la collection du Musée d’art contemporain de Barcelone (MACBA).

Lors de cet événement très prisé de la scène de l’art contemporain en Europe, Kulte a obtenu ce prix grâce à la vidéo Storyteller de l’artiste franco-algérienne Katia Kameli, qui a été produite au Maroc. « C’est la première fois qu’une galerie africaine et arabe participe à Loop. Et on ne s’attendait pas du tout à ce succès. Les plus gros collectionneurs européens ont acheté ce film qui dure 12 minutes. Le Musée d’art contemporain de Barcelone aussi », nous dévoile Yasmina Naji.

Storyteller montre le hlaïqy (artiste qui anime les halqas de la place Jamaâ El Fna à Marrakech), Abderrahim Al Azalia, qui interprète à sa manière des films de Bollywood. « Les œuvres comme Storyteller rappellent l’histoire, la mémoire, et valorisent la culture populaire. Katia Kameli, que nous avons invitée, utilise justement l’art contemporain pour parler de la culture populaire et lui donner une importance particulière. Pour nous, c’est très touchant parce que c’est notre culture. »

L’art vidéo fait partie du champ de 'compétence' de Kulte Gallery depuis plusieurs années déjà. Avec le succès de Storyteller, Kulte confirme que les lieux de culture et leurs acteurs peuvent non seulement créer de la valeur ajoutée pour le public marocain, mais également se distinguer à l’étranger.

L’histoire derrière la présentation de la vidéo Storyteller dans la capitale de la Catalogne est pour le moins édifiante.  « Il faut savoir que c’est une consultante de Loop, d’origine tunisienne (Khadija Hamdi Soussi, ndlr), qui nous a invités à participer à cette manifestation culturelle, et que c’est une mécène marocaine, avocate à Casablanca (maître Khadija Hanaa El Amrani, présidente de la Fondation W-Lady, ndlr) qui a financé le stand à Barcelone. On n’a pas encore les moyens pour financer ce genre de choses à notre niveau. Disons que, nous aussi, on a organisé une halqa pour réussir cette participation et cela nous rend fiers », s’amuse à raconter Yasmina Naji.

Vue de l’exposition collective “Que reste-t-il de nos amours ?”. Crédits photos : Ines Bouallou / Kulte Center for Contemporary Art & Editions

Plein phare sur les artistes arabes et africains

Le centre d’art contemporain et d’édition Kulte a été créé en 2013. Il se présente davantage comme un centre d’art (puisque la moitié des projets annuels sont non lucratifs), où l'édition occupe une place fondamentale.

La maison d’édition Kulte compte à son actif plus d’une trentaine d’ouvrages distribués dans toutes les librairies des grands musées européens. Elle dispose d’un studio d’impression écologique, équipé d'une machine japonaise qui permet de fabriquer des livres et des multiples d’art. Kulte est aujourd'hui reconnue comme l'une des maisons d'édition les plus actives d'Afrique du Nord. Les ouvrages édités par Kulte revêtent une qualité esthétique et artistique exceptionnelle.

« En termes d’édition, on jouit d’une certaine visibilité. On travaille beaucoup à faire traduire tous nos textes en arabe, à garder des prix bas pour permettre aux étudiants et aux personnes qui n’ont pas forcément de très gros budgets d’acquérir nos ouvrages. On a plusieurs collections (l’art contemporain, le cinéma, l’esthétique, le genre…). On a également un catalogue d’artistes avec lesquels on travaille, qui sont surtout des artistes afro-arabes. On donne depuis neuf ans la priorité, en termes de visibilité, aux artistes arabes et africains. Pour nous, c’est très important d’accompagner le public local, à travers les livres », nous apprend Yasmina Naji qui a déjà travaillé dans l’édition en France, après ses études à Paris.

Jusqu’au 7 janvier 2022, Kulte organise l’exposition « À la recherche du trésor perdu ». Présentée par les Archives Bouanani, elle est consacrée au cinéma du Maroc. Kulte a d’ailleurs publié le premier ouvrage dédié à l’histoire du cinéma au Maroc (de 1907 à 1986), écrit par feu Ahmed Bouanani (1938-2011), et intitulé La Septième Porte. « On a traduit en arabe les 350 pages de ce livre écrit en français. Dans quelques semaines, et avant la fin de l’année j’espère, il paraîtra en arabe. »

Pour Yasmina Naji, il est important d’éditer des livres en langue arabe. « On veut faire connaître à la population locale sa propre culture. Beaucoup de choses sont en train de s’écrire. On a une culture très riche qu’on connaît peu ou mal parce qu’elle n’est pas accessible. Plus il y aura d’ouvrages, plus il y aura de projets qui donneront de la visibilité à cette culture. » Pour la fondatrice de Kulte, qui enseigne la philosophie éthique et la philosophie politique, il s’agit d’un véritable travail de décolonisation. « La plupart des ouvrages qui paraissent sur l’art et la culture sont généralement en français ou en anglais. Ils sont souvent créés et conçus par des étrangers sur d’autres cultures. Cette question de la réappropriation culturelle et de l’écriture de notre propre histoire est déterminante. C’est important pour la construction identitaire dans les années à venir », explique-t-elle.

L'exposition “À la recherche du trésor perdu”, Archives Bouanani. Crédits photo : Ines Bouallou / Kulte Center for Contemporary Art & Editions

Un travail de fond

Kulte entame aussi une collection pour enfants en langue arabe, consacrée à des artistes arabes. « C’est un travail de fond qui est récompensé, parce que là, on vient de signer avec les meilleurs distributeurs de France pour les éditeurs d’arts et à l’étranger (Idea Books). On a donc deux gros distributeurs qui nous permettent de placer nos livres dans des librairies très pointues. La qualité de nos ouvrages a toujours été essentielle pour nous », indique Yasmina Naji. Le centre d’art contemporain dispose également d’une librairie, avec un espace de restauration. Le but étant de créer une dynamique culturelle et un lieu de vie, à travers plusieurs espaces et propositions culturelles offertes au public de Rabat.

Jusqu’au mois d’octobre 2021, Kulte Gallery & Editions disposait de deux espaces, qui devraient être réunis au cours de l'année. « L’objectif est de créer un centre d’art au vrai sens du terme. On aimerait bien aussi labelliser la dénomination de ‘centre d’art’ au Maroc », espère-t-elle.

Concernant l'intérêt du public pour la chose culturelle, Yasmina Naji va à l'encontre de l'idée reçue qui consiste à dire que le Marocain ne s’intéresse pas à la culture. Elle en veut pour preuve son expérience personnelle au contact de son public, qui n’est pas constitué uniquement d’une élite. D’ailleurs, annonce-t-elle, « ce n’est pas une élite que je veux toucher. Ce que je veux, c’est que tout le monde puisse avoir accès à la culture. On veut démocratiser la culture, c’est une question identitaire ».

L'exposition “À la recherche du trésor perdu”, Archives Bouanani. Crédits photo : Ines Bouallou / Kulte Center for Contemporary Art & Editions
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