Entretien. “Les femmes doivent déconstruire les stéréotypes” (Amal Idrissi)

En cette Journée internationale des droits des femmes, Amal Idrissi, directrice exécutive de l’Observatoire marocain de la très petite, petite et moyenne entreprise, revient sur son parcours dans le domaine des data sciences, encore largement dominé par les hommes. 

Amel Idrissi, directrice de l’Observatoire marocain des toutes petites, petites et moyennes entreprises.

Entretien. “Les femmes doivent déconstruire les stéréotypes” (Amal Idrissi)

Le 8 mars 2022 à 16h17

Modifié 8 mars 2022 à 18h04

En cette Journée internationale des droits des femmes, Amal Idrissi, directrice exécutive de l’Observatoire marocain de la très petite, petite et moyenne entreprise, revient sur son parcours dans le domaine des data sciences, encore largement dominé par les hommes. 

Ce mardi 8 mars 2022, l'Observatoire dirigé par Amal Idrissi a publié la première étude exhaustive sur l'entrepreneuriat féminin et les femmes dirigeantes au Maroc.

Médias24 : Commençons par votre parcours professionnel. Comment êtes-vous arrivée à la tête de l’Observatoire marocain de la très petite, petite et moyenne entreprise (OMTPME) ?

Amal Idrissi : Avant d’être nommée directrice exécutive de l’Observatoire, j’ai été responsable du département des statistiques et de l’information décisionnelle à Bank Al-Maghrib, en charge de la production de statistiques et d’outils d’aide à la décision.

Avant cela, j’ai occupé le poste de responsable du département intelligence économique et data mining (exploration de données, ndlr) au sein d’IBM à Paris. J’ai débuté ma carrière en tant que consultante et ingénieure de recherche et développement à l'European Center of Applied Mathematics (Centre européen de mathématiques appliquées) d’IBM Europe, dédié à la recherche en data science. Dans ce cadre, j’ai publié des travaux de recherche dans plusieurs revues spécialisées, regroupant des méthodes et des algorithmes qui ont été intégrés aux logiciels de data mining d’IBM.

En parallèle, j’ai enseigné les mathématiques, les statistiques et les probabilités dans des universités et grandes écoles d’ingénieurs parisiennes. Je suis titulaire d’un doctorat en mathématiques-statistiques de l’Université Paris VI, d’un DEA de probabilités et statistiques de Paris VI, et d’un diplôme d’ingénieur en mathématiques appliquées et modélisation de Polytech Lyon.

- Les méthodes de l’Observatoire sont celles de la data science, la science des données. Pouvez-vous nous en expliquer le principe ?

- La data science est un terme utilisé généralement pour désigner des méthodes apparentées à la data analytics, l’apprentissage automatique (machine learning), l’exploration de données (data mining), l’intelligence artificielle (IA), et tout un ensemble de méthodes mathématiques et informatiques. On peut aussi y inclure les méthodes Big data Analytics, qui permettent de traiter de grands ensembles de données structurées et non structurées (issues des images, des fichiers audio, des fichiers vidéo, etc.).

L’informatique est une composante importante dans la data science car les capacités de calcul et de stockage ont explosé ces vingt dernières années, permettant ainsi à des méthodes mathématiques anciennes d’être appliquées pratiquement sans aucune restriction sur la volumétrie traitée, et donc sans se limiter à un échantillon. L’exploitation de données brutes en grand volume grâce à la data science permet de ressortir des informations difficilement observables par analyse directe. Ces techniques rendent ces informations intelligibles, et permettent leur interprétation et la prise de décision.

C’est une manière de valoriser les données, afin de tirer profit de toute l’information sous-jacente. En effet, les utilisations de la data science sont multiples, et son potentiel est énorme. Avec l’explosion du volume des données, c’est devenu un enjeu technologique, économique et organisationnel pour les entreprises.

Ce marché enregistre d’ailleurs une croissance à deux chiffres et, d’après les prévisions, poursuivra dans ce sens. Les utilisations peuvent aller de la médecine pour la prédiction de maladies ou la production d’indicateurs, comme ce fut le cas pour la pandémie de Covid-19, jusqu’aux plateformes de streaming, comme Netflix qui utilise les données de ses utilisateurs pour découvrir des modèles de comportement de visionnage du contenu.

On peut aussi faire de la prédiction de phénomènes comme les comportements d’achat sur des produits spécifiques, l’optimisation de processus comme la détermination d’un prix ou encore l’automatisation de tâches.

- La data science est un domaine encore largement dominé par les hommes. Comment vous êtes-vous imposée en tant que femme ? A quelles difficultés, ou préjugés, avez-vous été confrontée ?

- J’ai eu la possibilité de faire des études dans un domaine pointu où il y a une forte demande de compétences. Je n’ai donc pas été confrontée à des difficultés d'intégration dans le monde du travail : bien au contraire, j’ai eu de nombreuses opportunités dans mon parcours professionnel. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir été entourée par un management qui n’accorde de l’importance qu’à la qualité du travail fourni sans faire de distinction fondée sur le genre.

Cela dit, il y a effectivement un préjugé latent selon lequel les jeunes femmes ne sont pas douées dans les disciplines techniques et scientifiques, en particulier les mathématiques, ce qui fait qu’elles ne sont pas encouragées à poursuivre leurs études dans ces domaines.

- Au début de votre carrière, avez-vous relevé, autour de vous, des parcours de femmes dont vous avez pu vous inspirer ?

- A vrai dire, le genre de la personne n’a jamais été pour moi un facteur en termes d’inspiration et de mentorat ; d’autant que, dans mon entourage professionnel actuel ou passé, ce sont plutôt des hommes qui m’ont inspirée. Hors contexte professionnel, il y a bien sûr des femmes qui m’inspirent. Je pense en premier lieu à Marie Curie, première femme à avoir reçu le prix Nobel et, à ce jour, seule femme à en avoir reçu deux (Physique et Chimie). J’ai aussi beaucoup d’admiration pour feue Malika El Fassi, seule femme signataire du Manifeste de l’Indépendance et qui a longtemps œuvré pour la scolarisation des jeunes filles.

- Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui visent la réussite professionnelle, de surcroît dans certains milieux encore très masculins ?

- Avoir confiance en soi, s’investir au maximum et être positive. Il faut aussi être une pro de l’organisation, surtout lorsque l’on cumule plusieurs rôles dont celui de mère. Les femmes ont leur place dans l’ensemble des milieux professionnels et doivent déconstruire les stéréotypes existants qui sont, malheureusement, encore ancrés dans nos sociétés.

- Pouvez-vous commenter l’étude réalisée par votre Observatoire sur l’entrepreneuriat féminin au Maroc ? Quels en sont les principaux enseignements ?

- Je tiens, tout d’abord, à préciser que l’étude sur l’entrepreneuriat féminin et les femmes dirigeantes au Maroc, dont nous avons publié les premiers résultats à l’occasion du 8 mars, est la première de son genre au Maroc. Elle a été conduite sur une base de données quasi exhaustive qui regroupe 567.041 entreprises personnes morales et physiques actives, en plus de 49.160 auto-entrepreneurs, alors que les autres études menées sur le sujet se basent uniquement sur des échantillons limités et des enquêtes.

Nos chiffres montrent que la part des femmes entrepreneuses et dirigeantes est encore limitée dans notre pays

Qui plus est, la méthode utilisée est innovante car, pour faire face au manque de données sur le genre, dans les bases de données des administrations marocaines, l’Observatoire a développé des algorithmes de prédiction du genre du dirigeant/entrepreneur, à partir du prénom renseigné dans les bases de données reçues de ses partenaires (l’Office marocain de la propriété industrielle et commerciale et la Direction générale des impôts) ; et ce, en utilisant un dictionnaire de prénoms arabes et en effectuant un traitement manuel des prénoms non identifiés ou unisexes. Il s’agit là d’un bel exemple de l’utilisation concrète de la data science, pour une meilleure connaissance du tissu productif, et qui confirme le rôle stratégique de l’Observatoire.

Quant aux principaux enseignements de cette étude, on y constate que la part des femmes entrepreneuses et dirigeantes est encore limitée dans notre pays, à hauteur de 16,2%. Cette part régresse à 15,4% lorsque l’on exclut les auto-entrepreneurs. Nous souhaitons que ces résultats puissent inciter au développement de politiques publiques adaptées, qui insuffleront une nouvelle dynamique en faveur de l’accès des femmes aux organes de gouvernance des entreprises.

TPME : 15% des entreprises morales dirigées par des femmes

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