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Sécheresse, stress hydrique, monde rural : conversation avec Tariq Sijilmassi (1/3)

INTERVIEW. Fin connaisseur et grand passionné du monde rural, le président du directoire du Crédit Agricole du Maroc évoque, dans cet entretien, la situation du secteur agricole en cette année de sécheresse, la problématique de l’eau ainsi que les résultats et la stratégie de la banque qu’il dirige.

Tariq Sijilmassi, président du directoire du groupe Crédit Agricole du Maroc. Ph. MEDIAS24

Sécheresse, stress hydrique, monde rural : conversation avec Tariq Sijilmassi (1/3)

Le 8 avril 2022 à 11h16

Modifié 11 avril 2022 à 16h31

INTERVIEW. Fin connaisseur et grand passionné du monde rural, le président du directoire du Crédit Agricole du Maroc évoque, dans cet entretien, la situation du secteur agricole en cette année de sécheresse, la problématique de l’eau ainsi que les résultats et la stratégie de la banque qu’il dirige.

Quand Tariq Sijilmassi est lancé sur le sujet du monde rural, personne ne peut l’arrêter. Plus qu’un simple banquier - le premier banquier du fellah et du monde agricole -, le président du directoire du groupe Crédit Agricole du Maroc est un grand passionné du sujet.

Le monde rural, les changements qu’a connus l’agriculture marocaine, les conditions de vie du petit fellah, sa psychologie, la rentabilité et les attentes de l’investisseur agricole, les enjeux du moment… Tariq Sijilmassi connaît son sujet sur le bout des doigts. Et c’est l’une des rares personnes à aborder le monde rural avec une approche cartésienne, rigoureuse, sans une once de populisme ni de sentimentalisme, mentalité de financier oblige.

Le tout, avec une bonne dose de libéralisme assumé, ligne droite de toute sa réflexion sur le monde rural, l’amélioration des conditions de vie de ses habitants et le développement des performances agricoles du pays. Une ligne que l’on retrouve quand on lui parle de sécurité alimentaire, de la politique de transformation de la céréaliculture en légumineuses, de certains choix de cultures très consommatrices en eau, ou encore de la politique et de la stratégie de la banque qu’il dirige.

Dans cette interview, qui découle d’une longue discussion que nous avons eue avec lui sur l’ensemble de ces sujets, Tariq Sijilmassi s'exprime en toute franchise, avec un style démonstratif scientifique, pédagogique et rationnel. Son discours risque certainement de froisser certains esprits, car il tente de casser les clichés qui ont la vie dure, de corriger une certaine perception que nous avons du monde rural et du secteur agricole.

Nous publierons cet échange en trois parties : la première sur le monde rural, la sécheresse et ses effets, ainsi que la problématique de la sécurité alimentaire dans un contexte mondial tendu, incertain.

Une seconde partie sur la problématique de l’eau qui menace un pan entier du secteur agricole et nous pousse à remettre en question les choix stratégiques des politiques publiques menées jusque-là.

Et une troisième et dernière partie sur le groupe Crédit Agricole du Maroc, cette banque à part, qui sert autant le petit fellah du douar que la grande entreprise de Casablanca, Kénitra ou Tanger, le boursicoteur lambda comme le grand 'zinzin' de la place. Une banque dotée d’une mission d’utilité publique, mais qui est tenue également par des objectifs de performance, de croissance, de viabilité financière, de respect des règles prudentielles, de collecte de l’épargne, de financement de l’économie, tous secteurs confondus... Un exercice de funambule que Tariq Sijilmassi mène depuis 2003 à la tête de la banque la plus verte du Royaume.

Médias24 : Vous êtes le patron de la banque du monde rural. Après deux années de Covid, les campagnes marocaines sont frappées cette année par la sécheresse. Comment se portent le monde rural et le fellah aujourd’hui ?

- Si vous m’aviez posé la question il y a un mois, je vous aurais répondu : le monde rural va très mal. Parce que nous étions en train de vivre la pire sécheresse des trente-cinq dernières années. Et en plus, on dit que l’année dernière a été bonne, ce qui est vrai, mais on oublie que l’année d’avant a été également une année de sécheresse. Si on regarde le tableau des années qui sont en dessous de la moyenne normale, tant est qu’on puisse encore parler de moyenne normale, au cours des six dernières années, on a eu quand même trois ou quatre années en dessous de la moyenne...

On doit intégrer dans notre psychologie que le changement climatique est une réalité, et qu’on doit adapter nos politiques

- La rareté des précipitations devient-elle la norme dans notre pays ?

- Absolument. Dans le business model du monde rural, nous avions tendance à dire que sur un cycle de cinq ans, il y avait en moyenne deux bonnes années, deux mauvaises années et une année moyenne. Et même les mauvaises années n’étaient pas de très mauvaises années, c’était des années généralement moins bonnes que la moyenne.

Maintenant, sur un cycle de cinq ans, on est plutôt sur une bonne année, deux ou trois mauvaises années, et une ou deux années moyennes. Il y a eu un glissement vers la rareté de l’eau qui fait qu’on doit intégrer dans notre psychologie que le changement climatique est une réalité, et qu’on doit adapter nos politiques à ça.

- Donc il y a un mois, le monde rural allait très mal. Ce qui laisse entendre qu’il se porte mieux aujourd’hui. C’est l’effet des pluies de mars ?

- Le monde rural est lié toujours à au moins trois facteurs.

Le facteur économique direct : est-ce que je gagne de l’argent ou pas ? Est-ce que le produit de mon agriculture est rentable ou pas ?

Deuxième facteur, c’est quel est mon objectif fondamental ? Est-ce que je suis là en tant qu’investisseur avec un taux de rendement interne à atteindre, des objectifs fixés en matière de rentabilité ? Ou bien est-ce que je suis un habitant du monde rural qui vit de la terre, et dont l’objectif est assez vivrier ?

Le dernier facteur est psychologique et concerne les anticipations des acteurs, comment ils voient les choses pour l’avenir…

Il y a un mois, les trois éléments étaient alignés pour aller mal. Psychologiquement, les gens étaient affectés, surtout après le Covid et les deux années de sécheresse. Sur le plan économique, les gens étaient atteints aussi.

Un mois plus tard, si je parle du psychologique, les pluies du mois de mars ont été exceptionnelles. On n’a pas vu ça depuis au moins une trentaine d’années…

Il y a des vieux sages qui disent qu’il y a toujours la même quantité d’eau qui tombe, il n’y a que la répartition dans l’année qui change. Cette année, ce vieil adage, je ne sais s’il est scientifiquement exact, semble se vérifier. On a eu quatre mois quasiment sans pluies, et un mois de mars où l'on a fait un rattrapage exceptionnel. On n’avait pas vu un mois aussi pluvieux depuis très longtemps.

- On vit ainsi l’année de sécheresse la plus dure depuis trente-cinq ans, et le mois de mars le plus pluvieux depuis trente ans également… C’est l’année de tous les records !

- Exactement. Et ce mois de mars a permis de réparer l’aspect psychologique. Ce qui est très important.

- Et sur l'aspect économique ?

- Sur l’aspect économique pur, la situation est contrastée. Il y a un certain nombre de zones où ce qui est fait est fait, et d’autres zones, essentiellement la zone allant de Benslimane, Rabat, le Gharb et la plaine du Saïs, où il y a une véritable reprise. Le ministère de l’Agriculture annonce d’ailleurs un million d’hectares de céréaliculture qui va être quasiment sauvé. Le rattrapage est significatif, un million d’hectares ce n’est pas rien.

Pour le reste, il y a des cultures qui sont plantées en janvier et février, c’est un peu tard. Mais il y a les cultures du printemps qui vont se faire. Toutes les cultures qui sont traditionnellement faites en mars, avril et mai, on y est ; on a une bonne pluviométrie, la saison va être sauvée.

Reste le troisième aspect qui est l’agriculture vivrière. Et là, je dois vous dire une chose : la vraie banque de l’agriculteur, ce n’est pas le Crédit Agricole du Maroc, c’est le bétail. C’est là où les gens mettent leurs économies. En janvier et février, les gens ont commencé à vendre leur bétail parce qu’ils n’arrivaient pas à le nourrir, ce qui était dramatique.

Si vous associez les pluies au plan d'urgence, on se retrouve dans une situation positive

Fort heureusement, grâce au plan qui a été mis en place, sur instruction de Sa Majesté, avec un package de 10 milliards de dirhams (1 milliard pour la Mamda, 3 milliards pour l’Etat et 6 milliards de crédits), on a déjà lutté contre cette érosion du cheptel marocain. Et avec les pluies qui sont tombées en mars, les pâturages sont reconstitués, et le premier bénéficiaire de cette nouvelle donne, c’est le cheptel.

Si vous associez donc les pluies au plan d’urgence, on se retrouve dans une situation quand même positive.

Pour résumer, le monde rural est psychologiquement beaucoup plus à l’aise. Ça n’a rien à voir avec la situation d’il y a un mois. Les gens regardent l’avenir avec optimisme. Sur le plan économique, c’est fifty-fifty, il y a une partie qui est atteinte, et une autre qui est sauvée. Et sur le plan vivrier, on va pouvoir éviter la catastrophe de l’exode rural, etc. In fine, cette histoire ne se termine pas trop mal…

- C’est la baraka, car tout le monde pensait que les carottes étaient cuites…

- En effet, on est passés à deux doigts de la catastrophe. Mais Hamdoullah, ce pays, sous la conduite de Sa Majesté, a toujours sa baraka. On finit toujours par s’en sortir.

Et je peux vous dire, qu’au mois de février, personne - et je sais de quoi je parle - n'anticipait un mois de mars si exceptionnel.

Et il y a encore des pluies ce mois-ci, au moins jusqu’au 15 avril d’après les services de la météo. Donc, on devrait être bons jusqu’à la mi-avril.

Le rural, c’est un monde binaire. Quand il ne pleut pas, c’est la morosité. Mais dès qu’il pleut, la bonne humeur et l’optimisme reviennent.

Après il faut rendre à César ce qui est à César, tout le travail qui a été fait à travers le plan Maroc vert et Generation Green a mitigé les effets de la sécheresse. La céréaliculture ne représente aujourd’hui que 10% à 12% de la valeur ajoutée agricole. C’est une évolution fondamentale.

On essaie toujours de juger l’agriculture à travers le chiffre de la récolte céréalière, il n’y a rien de plus faux. Et cela est le résultat de tout ce qui a été fait ces dernières années, notamment la politique de transformation de l’agriculture dépendante de la céréaliculture vers l’arboriculture et l’olivier. Et l’élargissement des superficies à agriculture intelligente, les terres utilisant la micro-irrigation, les semences sélectionnées, des engrais adaptés, des techniques de conduites spécifiques…

Le périmètre de l’agriculture intelligente, et je ne parle pas de l’agriculture de pointe, même chez le petit fellah, a connu un changement majeur.

- Mais là, il y un débat qui est posé. Si cette politique de transformation a permis aux fellahs de mieux gagner leur vie, elle s’est faite au détriment de la céréaliculture, qui est certes moins rentable, mais qui reste un axe majeur de souveraineté alimentaire pour un pays comme le Maroc, comme le plaident certains experts du secteur. Avec le recul, est-ce qu’on peut dire qu’on est allé trop vite, en privilégiant le rendement à la sécurité ?

- La réponse est facile, mais il faut d’abord qu’on précise de quoi on parle. On parlait à l’époque d’une sous-exploitation de certaines zones en arboriculture. Cela n’a rien à voir avec la souveraineté alimentaire qu’apporte la céréaliculture. Car aujourd’hui, je vous rappelle que nous avons toujours 4,5 millions d’hectares de céréaliculture. Les mauvais esprits qui disent qu’on a tout transformé, je les invite à aller faire un tour dans le monde rural, et ils verront des champs de blé à perte de vue.

Soyons réalistes. La céréaliculture est toujours la culture dominante au Maroc. Elle n’apporte que 12% de la valeur ajoutée, mais elle contribue à la majeure partie de l’emploi dans le milieu agricole, et elle utilise la majeure partie des superficies.

En fait, ce qui s’est fait, dans certaines zones où il y avait de la céréaliculture pour des raisons ancestrales, il y a eu une transformation. Il fallait dire aux gens qu’on ne pouvait pas continuer de faire de la céréaliculture dans une zone semi-aride, à très faible rendement. Quand un petit fellah faisait de la céréaliculture, dans les meilleures années, il avait un rendement de 15 quintaux à l’hectare, et 5 q/h. Ce n’est pas viable.

Prenons un exemple concret : un fellah qui a 10 ha, c’est un fellah qui ne se porte pas mal, car la moyenne des exploitations agricoles au Maroc est de 5 ha. Ce fellah est dans une zone semi-aride qui n’est pas destinée à la céréaliculture. Il fait un rendement de 10 quintaux à l’hectare dans une année moyenne. Cela lui fait sur 10 ha, cent quintaux qu’il va vendre à 250 dirhams le quintal. Ce qui fait un revenu annuel de 25.000 dirhams par an. Enlevez les charges d’exploitation, il lui reste entre 12.000 et 15.000 dirhams l’année, soit un revenu mensuel de 1.000 dirhams. Si ce fellah a une famille, des enfants, il ne s’en sort pas.

Jusqu’à présent, ces gens vivaient d’un système bi-intégré, où ils faisaient un peu de bétail, quelques moutons pour l’Aid, deux ou trois vaches, un peu de maraîcher… Et avec tout ça, il a une petite vie... S’il a un coup dur, il est à terre, surtout qu’il n'a pas de couverture sociale, d’assurance maladie… Le business model de ce petit fellah n’était pas viable. Tous ceux qui disent qu'il doit continuer à faire de la céréaliculture pour une question de souveraineté alimentaire, je suis désolé de leur répondre qu'ils sont à côté de la plaque.

- Quand on dit souveraineté alimentaire, on parle de quoi exactement ?

- Il faut préciser les concepts. Le plan Maroc vert et Generation Green cherchent à sortir le petit fellah de son statut précaire pour l’amener vers un statut plus digne, avec une culture plus rentable.

Le pilier solidaire du Plan Maroc vert, avec aujourd’hui le deuxième pilier de l’éclosion d’une classe moyenne rurale, vise cet objectif là. Il y a énormément de mécanismes qui sont en place, avec des bailleurs de fonds internationaux, le FDA, le budget de l’Etat, des financements pour transformer cette culture ultra-précaire vers une culture plus sereine, plus pérenne, à plus forte valeur ajoutée, comme des cultures maraîchères, des légumineuses, des féculents…

À chaque zone rurale, sa culture spécifique. C'est une politique destinée à améliorer le niveau de vie du petit fellah en réalisant une meilleure adéquation entre sa culture et la terre sur laquelle il se trouve.

Autre chose : il est tout à fait aberrant de faire de la céréaliculture en zone irriguée. Si vous avez de l’eau, il vaut mieux la mettre au service d’une culture à meilleure valeur ajoutée.

La sécurité alimentaire n’a rien à voir avec ça, sachant que sur la céréaliculture, on est toujours à 4,5 millions d’hectares, contre 5 millions d’hectares avant cette politique. Il n’y a que 500.000 ha qui sont partis de l’autre côté. Et on oublie qu’on a gagné des terres sur des zones montagneuses, des zones de pâturage… Tout ne s’est pas fait au détriment de la céréaliculture.

Maintenant, c’est sur les 4,5 millions d’hectares que l’enjeu de la sécurité alimentaire se joue, parce qu’on doit améliorer le rendement de ces zones.

C’est pour cela que je m'inscris en faux par rapport aux gens qui disent qu’on a sacrifié la céréaliculture et la sécurité alimentaire au profit des cultures du Plan Maroc vert.

Ce plan n’a fait qu’essayer d’améliorer les conditions de vie des agriculteurs. Il a aussi tenté de créer des locomotives en milieu rural, avec des agriculteurs plus performants qui vont tirer tout le monde vers l’avant. Avec plus ou moins de réussite, parce que tout dépend des individus.

Je suis le banquier de ces gens-là et donc bien placé pour en parler. Il y a des gens à qui on donne des crédits et qui réussissent très bien. Et d’autres à qui on donne le même crédit, avec les mêmes conditions, sur les mêmes terres, dans les mêmes zones, et qui réussissent mal. C’est la qualité individuelle du promoteur du projet qui fait la différence. C’est la vie.

- Mais vous conviendrez que le Maroc a encore des besoins énormes en produits alimentaires, qui sont aujourd’hui importés, à commencer par les céréales ; ce qui n’est pas du tout sécurisant surtout dans le contexte mondial actuel...

- Nous avons effectivement des besoins, mais pas seulement en céréaliculture. Nous avons des besoins sur toute la partie céréales, l’orge, le blé tendre, le blé dur. Nous avons des besoins sur la partie oléagineuse, que ce soit le colza, le tournesol, l’olive… Et nous avons aussi des besoins sur la partie maraîchère.

Et tout cela représente un bouquet d'activités. C’est comme un portefeuille boursier, vous devez à un moment donné gérer un portefeuille de spéculation agricole qui est optimal. Et un portefeuille optimal est constitué toujours de ce qu’on appelle des actions de fonds de portefeuille. Dans l’agriculture, ce serait les céréales dans toutes leurs composantes, ainsi que l’olive, l’orange…

Dans un portefeuille boursier, vous avez aussi des actions plus spéculatives, des actions à très fort rendement, qui sont aujourd’hui dans notre domaine, les fruits rouges, l’avocat, et demain ce sera l’amandier.

Et comme dans tout portefeuille boursier, vous avez des points d’interrogation, des valeurs qui présentent un grand potentiel, mais dont on n’est pas encore sûr, comme le cactus, le kharroub, l’arganier… Il y a un gros potentiel sur ces niches, et on n’a pas encore capté vraiment la valeur ajoutée là-dessus parce que ce sont des cultures naturelles qu’on subit plus qu’on ne provoque.

Une politique agricole, et c’est ce qui est fait aujourd’hui si vous lisez le Plan Maroc vert ou Generation Green, c’est un portefeuille des spéculations, exactement comme un portefeuille boursier, où vous avez des valeurs sûres, des valeurs montantes, des valeurs à fort rendement mais pas à grand avenir, et des points d’interrogation, des valeurs spéculatives totales sur lesquelles on ne sait pas ce qui va se passer.

Tous ceux qui vous disent que la sécurité alimentaire se fait avec du blé n’ont rien compris

- Tout est donc question d’optimisation et d’allocations d’actifs, c’est cela ?

- En effet. Donc, tous ceux qui vous disent que la sécurité alimentaire se fait avec du blé n’ont rien compris. Parce que vous avez en face de vous un portefeuille qu’il faut gérer au mieux. On importera toujours du blé. D’ailleurs, on a toujours importé du blé tendre même dans les meilleures années.

Si je parle d’huile, on importe beaucoup d’huile de tournesol et de colza alors qu’on est exportateur d’huile d’olive. C’est des choix stratégiques, on peut les revoir, les discuter peut-être… Mais on restera toujours importateur de produits alimentaires.

La sécurité alimentaire, c’est donc bien gérer le portefeuille de production nationale, faire en sorte qu’il soit bien équilibré et s’assurer d’une bonne répartition géographique de nos importations pour ne pas être dépendants d’une seule zone géographique du monde. Nos importations, et je peux en témoigner en tant que principal financeur des importations alimentaires, viennent à peu près de tous les pays du monde.

- Concernant les céréales, nous ne serions pas si dépendants que cela de la Russie et de l'Ukraine ?

- On importe du blé de l’Amérique latine, de l’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada), de la France, mais aussi de l’Ukraine et de la Russie. Avec ce qui se passe actuellement, nous allons pouvoir nous tourner facilement vers d’autres destinations. Les opérateurs eux-mêmes sont dans une sorte de bourse mondiale du blé et achètent aux meilleures conditions possibles. Ils ne sont mariés ni avec la Russie, ni avec l’Ukraine, ni avec la France.

- Que représentent la Russie et l’Ukraine dans nos importations de céréales ?

- Ça représente 20% à 25%. Et ça dépend du produit en réalité, car il n’y pas que le blé, mais aussi le maïs, l’orge, le colza… Mais quand je dis 20% à 25%, je parle de cette année. Car sur une autre année, cette part peut tomber à 10%. Quand les conditions d’importation de France, du Canada, du Brésil ou d’Argentine sont meilleures, on switche, et les parts changent chaque année.

Je voudrais donc rassurer vos lecteurs, nous ne sommes pas en dépendance majeure par rapport à la Russie ou à l’Ukraine. Entre les stocks et les contrats existants, il n’y pas de risque à court terme.

Maintenant, cela ne nous empêche pas d’être intelligent, de retenir les leçons de cette crise et de réfléchir à deux niveaux.

La première chose, c’est la constitution de stocks stratégiques, vous avez bien vu qu’au niveau de l’Etat, c’est un sujet qui est aujourd’hui sur la table, car on a pris la mesure que de la même manière qu’on doit avoir des stocks de produits énergétiques, on doit avoir des stocks de sécurité de produits alimentaires. Ça, c’est acté.

Deuxième chose : la diversification des sources d’approvisionnement. Il ne faut pas être dépendant d’une seule source, car tous nos amis peuvent nous bouder à un moment ou à un autre pour une raison qu’on ignore aujourd’hui. Et la force du Maroc, c’est que les importations ont été laissées en grande partie au privé. Et le privé n’est marié à personne, il cherche son intérêt. Et dans l’intérêt du privé, il y a une sécurité pour l’Etat. Car un acteur privé fera toujours en sorte d’acheter aux meilleures conditions.La structure de l’économie marocaine fait que nous sommes un pays agile. On l’a vu avec le Covid, quand une porte se ferme, on en ouvre trois autres

Maintenant, pour nuancer un peu ce que je dis, il est impératif que le privé et le gouvernement établissent un plan à moyen terme. La crise actuelle fait que les Ukrainiens ne planteront pas de blé cette année. Donc, il y a un impact à retardement auquel il faut s’attendre. Mais à partir du moment où vous êtes informés et prévenus neuf mois à l'avance, il faut prendre ses dispositions. Et c’est ce que l’Etat est en train de faire actuellement.

Je peux donc vous rassurer, le Maroc n’est pas en danger de pénurie. La structure de l’économie marocaine fait que nous sommes un pays agile. On l’a vu avec le Covid, quand une porte se ferme, on en ouvre trois autres.

- Autre question importante que se posent tous les pays : la production mondiale est-elle suffisante pour combler le vide ukrainien et russe ?

- Ce qui m’intéresse, c’est ce qui va se passer dans mon pays.

La réalité, c’est qu’il va y avoir des tensions dans le monde. Mais il ne faut pas oublier que, au niveau européen, 7% des terres ne sont pas cultivées d’une année sur l’autre, pour se reposer. C’est une règle de la politique agricole commune de l’Union européenne. Je donne l’exemple de l’Europe, mais c’est valable aussi aux Etats-Unis. Il y a de la réserve de terres agricoles non cultivées. Si demain vous entendez parler d’une grande pénurie sur le plan mondial, c’est qu’il y aura juste eu une montée des égoïsmes, et que les jachères seront restées en jachère. Il suffit de planter les terres disponibles.

Maintenant, cette pénurie ne va pas durer cinquante ans. C’est du court terme, car on espère que cette guerre sera terminée et que les Ukrainiens se remettront à planter leur blé. Le problème qui se pose actuellement, c’est l’année prochaine.

Si vraiment il y a pénurie, il semblerait qu’il y ait un programme en France pour planter les superficies en jachère. Si cela se fait dans toute l’Europe, le vide pourra très vite être comblé par ces terres qui sont à très forte productivité.

Je ne suis pas en train de dire que c’est la politique que les Européens vont mener. Mais je signale juste qu’il y a cette option des terres en jachère qui peuvent être mieux exploitées en cas de pénurie.

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