Inflation et croissance : le grand dilemme de BAM et des banques centrales

Les banques centrales dans le monde sont confrontées à une situation délicate : augmenter leurs taux pour juguler l’inflation ou les maintenir à leurs niveaux actuels pour poursuivre le soutien à l’économie, à la croissance et à la création d’emploi. Un dilemme du prisonnier qui semble insoluble.

Le siège de Bank Al Maghrib à Hay Ryad, Rabat. Ph. MEDIAS24

Inflation et croissance : le grand dilemme de BAM et des banques centrales

Le 8 mai 2022 à 18h38

Modifié 8 mai 2022 à 18h38

Les banques centrales dans le monde sont confrontées à une situation délicate : augmenter leurs taux pour juguler l’inflation ou les maintenir à leurs niveaux actuels pour poursuivre le soutien à l’économie, à la croissance et à la création d’emploi. Un dilemme du prisonnier qui semble insoluble.

Le Maroc, comme tous les pays du monde, est confronté à une parfaite situation du « dilemme du prisonnier », formulée dans les années 1950 par la théorie des jeux. Une situation où il est difficile pour un joueur, ou un acteur économique, de prendre une décision rationnelle sans créer des dommages collatéraux qui fausseraient toute la partie. Et où le choix de l’acteur ou du joueur se résume in fine à prendre la décision 'la moins pire'…

Cette situation, que l’on ne voyait que dans les livres d’économie, de finance ou dans les parties d’échecs ou de Snooker, de manière très théorique, est vécue aujourd’hui par l’ensemble des banques centrales du monde, y compris Bank Al-Maghrib.

Le jeu ici est simple. La mission d’une banque centrale, comme Bank Al-Maghrib ou la Banque centrale européenne (BCE), est de veiller à la stabilité des prix. Toute sa politique doit donc cibler cet objectif. Or l’inflation est de retour depuis un an déjà, et de manière spectaculaire.

La réaction rationnelle d’une banque centrale est alors d’utiliser tous les outils en sa possession pour renchérir le coût de l’argent, aspirer les liquidités du marché, créer une pression baissière sur les prix. Cela se traduit concrètement par la hausse des taux directeurs ou par la conduite d’une politique conservatrice en termes de rachats d’actifs ou de refinancement des banques, afin d'amasser le maximum de liquidités du marché et de peser à la baisse sur la demande. La décision est simple, et elle a déjà été prise par le passé, sans grand problème.

Mais le contexte actuel rend les choses très compliquées. Après deux ans de crise du Covid, dont une année de grande récession, le déséquilibre créé entre la demande et l’offre mondiale après la pandémie, et l'avenir incertain avec la guerre en Ukraine, le spectre de la récession, ou du moins d’une faible croissance, plane. Avec toutes les conséquences que cela peut entraîner pour une économie : baisse du profit des entreprises, repli des investissements, augmentation du chômage, des disparités sociales, de la pauvreté, de la dette publique, etc.

Baisser l’inflation ou soutenir la croissance : une équation insoluble

Contrairement à la Réserve fédérale (Fed) américaine, Bank Al-Maghrib comme la BCE n’ont pas dans leur mandat un objectif de création d’emplois, leur mission essentielle étant de juguler l’inflation. Mais comme tout acteur économique raisonnable, ces banques centrales ne peuvent prendre la décision rationnelle de remonter leurs taux au risque de freiner la machine de la relance et de créer des dommages collatéraux assez importants sur le reste de l’économie.

Que faire alors ? Augmenter les taux directeurs pour baisser les prix, mais enrayer la relance de l’économie post Covid ? Ou maintenir le statu quo pour permettre à la machine économique de respirer et laisser filer les prix au niveau national ? L’équation semble insoluble, de l’aveu même de grands économistes européens et de banquiers centraux qui ne savent plus quoi faire, créant un climat d’attentisme, de doute et d’inquiétude dans les économies.

Lors de sa dernière sortie fin mars à l’occasion du premier conseil de Bank Al-Maghrib de l’année 2022, Abdellatif Jouahri avait exprimé ce dilemme de manière très claire et franche, déclarant aux médias qu’il ne pouvait pour l’instant augmenter les taux, renchérir le coût de l’argent, privilégiant ainsi le soutien de la relance à la baisse des prix. Ce conseil qui a maintenu le statu quo sur le taux directeur a donc clairement pris un pari en misant sur le scénario optimiste d’un retour à une inflation normale dès le deuxième trimestre, comme l’annonçaient plusieurs institutions financières mondiales. C’est le cas également de la BCE qui a fait le même pari lors de la dernière réunion de ses gouverneurs le 14 avril, en maintenant stables les taux d’intérêts directeurs.

La présidente de l’institution, Christine Lagarde, comme le wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, n’ont pas écarté toutefois un changement de cette politique si le scénario d’une inflation durable dans le temps se confirmait, Jouahri ayant annoncé qu’il pouvait même convoquer un conseil avant l’heure pour prendre les décisions nécessaires.

La Fed ayant annoncé la couleur, BAM va-t-elle suivre ?

Ceci semble être le cas aujourd’hui. Durant quelques mois, les banquiers centraux ont été persuadés que la hausse des prix n’était que temporaire et résultait, avant tout, des goulets d’étranglement découlant de la reprise concomitante de l’activité partout dans le monde. Or, force est de constater que le phénomène semble durer et même s’amplifier.

Le problème, comme l’affirmait l’ancien président de la Deutsche Bundesbank, Karl Otto Pöhl, est que « l’inflation, c’est comme le dentifrice, une fois sorti du tube, on peut difficilement l’y remettre. Ainsi, il vaut mieux ne pas appuyer trop fort sur le tube ».

Aux Etats-Unis, la Fed, à travers ses récentes décisions, a montré clairement qu’elle avait laissé tomber le pari d’une inflation temporaire.

Pour lutter contre la hausse des prix, la Réserve fédérale a relevé mercredi dernier son principal taux d'intérêt d'un demi-point, sa plus importante hausse depuis près de vingt-deux ans, et annoncé qu'elle commencerait à réduire son bilan dès le mois prochain, accélérant ainsi le resserrement de sa politique monétaire face à l'inflation.

L'objectif de taux des fonds fédéraux, les fameux « Fed funds », le principal instrument de la politique monétaire de la Fed, est porté entre 0,75% et 1%. Cette décision a été prise à l'unanimité, montrant clairement le sens du vent au niveau de la plus grande économie mondiale. Et la Fed ne compte pas s’arrêter là, son conseil ayant indiqué que d'autres hausses seraient justifiées à l'avenir.

Une décision qui montre que les Américains sont convaincus que l’inflation est là pour s’installer durablement, et que l’objectif de la stabilité de l’emploi, du soutien à l’économie, passe désormais au second plan, face à une inflation qui ronge aussi bien le pouvoir d’achat des ménages que l’épargne institutionnelle et l’investissement.  Un choix difficile, mais qui se comprend quand on sait que les Etats-Unis vivent une situation de plein emploi. Loin, très loin, du paysage national, notamment dans la tranche des jeunes urbains, dont près de la moitié (45% selon le HCP) est en situation de chômage.

Le conseil de Bank Al-Maghrib, qui prépare d’ores et déjà sa réunion de juin, serait donc face à un dilemme considérable. Ignorer l’inflation galopante dans le pays, qui ne concerne pas que les produits énergétiques mais aussi les produits alimentaires, aurait des conséquences. Augmenter les taux de manière violente pour juguler l’inflation donnerait en revanche un mauvais signal à l’économie, et pourrait enrayer la machine de la relance ainsi que tous les programmes gouvernementaux visant à créer de l’activité et de l’emploi. Une situation rendue encore plus compliquée pour le conseil de Bank Al-Maghrib après la signature, la veille du 1er mai, de l’accord social entre le gouvernement, les syndicats et le patronat, qui a prévu des hausses de salaires assez importantes, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public, certes légèrement différées dans le temps.

Une décision qui se justifie du point de vue politique par la perte de pouvoir d’achat engendrée par l’inflation, mais qui contribue elle-même à maintenir la demande à un niveau élevé, entretenant ainsi la spirale inflationniste.

Comment s’en sortir ? Comment réagira Bank Al-Maghrib ? Suivra-t-elle la Fed en augmentant de manière agressive son taux directeur et en baissant la taille de son bilan ? Ou va-t-elle temporiser en maintenant encore une fois le statu quo pour un trimestre de plus ?

Entre le choc inflationniste, les incertitudes sur la croissance avec la succession des crises et les besoins énormes de financement public, le conseil de Bank Al-Maghrib a des décisions à prendre… Pas les meilleures, mais les moins mauvaises possibles.

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