Quand l’inflation fait perdre de l’argent aux épargnants

Avec un taux d’inflation projeté de 5,3%, le rendement de l’épargne publique sera négatif cette année, au vu des taux servis par le marché et par les banques. Une situation inédite au Maroc…

Quand l’inflation fait perdre de l’argent aux épargnants

Le 23 juin 2022 à 20h56

Modifié 24 juin 2022 à 9h06

Avec un taux d’inflation projeté de 5,3%, le rendement de l’épargne publique sera négatif cette année, au vu des taux servis par le marché et par les banques. Une situation inédite au Maroc…

C’est l’un des effets ravageurs de l’inflation, aussi bien pour les particuliers que pour les institutionnels. Les épargnants qui placent leur argent dans les banques voient leur patrimoine rongé, quel que soit l’instrument de placement.

Selon les dernières données de Bank Al-Maghrib, les comptes sur carnet, instrument le plus populaire, rémunèrent à un taux de 1,05%. Le taux facial est positif, mais le taux réel de rendement est, lui, négatif, l’inflation faisant perdre la monnaie en valeur. Avec un taux d’inflation de 5,3%, comme le prévoit la Banque centrale pour l’année 2022, l’argent placé dans les comptes sur carnet donnera un rendement réel négatif de -4,25% ! Pour un placement de 10.000 dirhams fait début janvier, le portefeuille d’un épargnant vaudra en fin d’année 9.575 dirhams, soit une perte de 425 dirhams.

La situation est moins catastrophique pour ceux qui placent leur argent dans les dépôts à terme, les taux des bons de caisse étant un petit peu plus élevés que les comptes sur carnet. Toujours selon Bank Al-Maghrib, les bons de caisse à 6 mois rémunèrent actuellement à 2,04%. Les bons de caisse à 12 mois procurent un rendement facial de 2,62%. La perte en valeur de l’épargne placée en DAT est moindre, mais la casse est là, et elle varie entre -3,26% (bons de caisse à 6 mois) et -2,68% (bons de caisse à 12 mois).

Mais cela n’est que la partie cachée de l’iceberg comme nous le signale un banquier, car l’essentiel de l’argent des particuliers est constitué de dépôts à vue, qui ne produisent aucun rendement. Là, la perte due à l’inflation est sèche : -5,3%, sans compter les commissions et frais prélevés par les banques sur la gestion des comptes chèques…

« La situation est inédite en effet. Les clients ne s’en rendent pas compte, car ce concept de taux de rendement réel est assez compliqué à saisir par le commun des mortels. Mais il faut bien le dire, l’épargne perd aujourd’hui en valeur. Mais au moins, ceux qui ont le réflexe de mettre leur épargne dans des DAT ou dans des comptes sur carnet limitent un peu la perte », explique notre banquier.

Sur les marchés des capitaux, la peine est double !

Voilà pour l’épargne bancaire qui reste, comme le signale un gestionnaire de fonds contacté par Médias24, insignifiante par rapport à l’épargne institutionnelle qui est le principal driver de l’épargne publique au Maroc. Ici, on parle de l’argent des retraites, des assurances vie, des OPCVM, de l’épargne longue confiée par les particuliers ou des investisseurs aux institutionnels ou aux gérants de fonds.

Là aussi, la casse est énorme, quel que soit le compartiment où l’argent est placé. « L’essentiel de l’épargne institutionnelle est placé sur le marché obligataire. Et celui-ci connaît de grandes perturbations avec des taux de rendement des portefeuilles proches de zéro voire négatifs, auxquels il faut ajouter la perte en valeur due à l’inflation », souligne notre gestionnaire de fonds.

L’indice de performance des OPCVM, publié toutes les semaines par l’AMMC, donne l’ampleur des dégâts : un rendement facial de 0,64% pour les fonds monétaires ; 0,64% pour les fonds obligataires à court terme et -0,7% pour les fonds obligataires à moyen et long terme.

La situation sur le marché actions qui agit souvent comme refuge ou relais de performance pour les investisseurs en cas de dèche sur le marché des taux est encore plus compliquée. Avec un MASI qui affiche une performance depuis le début de l’année de -10,58%, les fonds investis en actions affichent un indice de performance de -5,07%. Idem pour les fonds diversifiés (composé d’un patchwork de titres obligataires, monétaires et actions) dont l’indice de performance est également dans le rouge : -2,16%.

A ces taux de rendement faciaux proches de zéro et négatifs vient s’ajouter cette inflation de 5,3% qui creuse davantage les pertes.

Méfiance et manque de visibilité derrière le grand crash

Cause de ces dégâts sur le marché obligataire et actions : la crise et ses effets sur le budget et les anticipations des investisseurs. « Depuis la crise, tout le monde a anticipé un dérapage budgétaire qui pousserait le Trésor à densifier ses sorties et ses levées sur le marché des Bons de Trésor. Ce qui a créé une pression haussière sur les taux des Bons de Trésor, générant de manière systématique une baisse de la valeur des actifs et des portefeuilles. Le Trésor a essayé de rassurer le marché en parlant des marges budgétaires dont il dispose, mais les gens n’ont toujours pas confiance en l’avenir. Nous vivons dans un manque de visibilité qui fait que la confiance a disparu. Ce sont ces anticipations des acteurs du marché sur le déficit du Trésor, ainsi que l’inflation qui ont poussé les taux vers le haut, avec une offre des BDT qui est montée de manière considérable », explique notre gestionnaire d’actifs.

Et rien ne rassure le marché, même l’engagement du Trésor de lever 40 milliards de dirhams sur les marchés internationaux (y compris les concours bilatéraux et multilatéraux). « Il y a un grand fossé entre ce que dit le Trésor et le ressenti du marché. Les conditions sur le marché international se dégradent avec la fin des politiques monétaires accommodantes aux Etats-Unis et en Europe et la montée des taux. On ne sait pas réellement si le Trésor fera cette sortie ou non. Et même s’il fait cette sortie, la pression sur l’offre sur le marché local restera très forte », souligne notre source.

Cette situation de rendement bas, et de projections sur l’inflation, a créé une sorte de panique sur le marché, nous signale notre source, poussant beaucoup d’épargnants à racheter leurs parts dans les OPCVM. Ce qui a rendu les choses encore plus compliquées, obligeant les gérants à vendre leurs actifs à des prix très bas.

« Quand on sort sur le marché pour liquider des titres, on ne trouve pas d’acheteurs, surtout sur les titres à moyen et long terme (5 ans et plus). Personne ne veut s’engager sur des maturités longues. Du coup, on est obligé d’accepter des décotes de prix juste pour avoir des liquidités et honorer les sorties de nos clients. Et les seuls acheteurs qui restent sont les institutionnels qui profitent bien de la situation », explique notre gestionnaire de fonds.

Les institutionnels limitent la casse sur l’argent des retraites

Faiseurs du marché, institutionnels, caisses de retraite, compagnies d’assurance, organismes de prévoyance essayent en effet de limiter au maximum les dégâts.

En profitant d’abord de la hausse des taux obligataires, qui a été très rapide, selon notre source du marché. « La hausse des taux est une bonne chose pour les institutionnels, puisque tout le nouveau cash qu’ils placent se fait à des conditions bien meilleurs que celles de décembre », indique notre source. L’évolution des taux de rendement des BDT et des obligations permet en effet aux institutionnels de grappiller un peu de rendement.

Les obligations à 13 semaines ont vu leur taux passer de 1,40% fin décembre 2021 à 1,77% actuellement. Sur les 52 semaines, les taux sont passés, sur la même période, de 1,60% à 1,77%. L’évolution est encore plus marquée pour les titres à 5 et 10 ans. Les premiers ont vu leur taux passer de 2,35% fin décembre 2021 à 2,95% actuellement. Le rendement des titres à 10 ans est passé lui de 2,35% à 2,95%.

Cela ne permet certes pas de contrecarrer les effets ravageurs de l’inflation sur la valeur de la monnaie et de l’épargne, mais avec ces hausses, les institutionnels ont pu limiter un peu la casse et sauver ce qui pouvait l'être.

Et ce, en sachant qu’un institutionnel ne fait pas ses calculs sur une année. « Quand on parle de rendements réels négatifs, il ne s’agit que de l’année 2022. Les institutionnels ne raisonnent pas sur un terme aussi court, puisqu’ils ont tous un grand stock de vieux titres à des taux très élevés. Le raisonnement se fait ainsi en taux moyen pondéré du rendement du portefeuille et non sur les seuls placements faits sur l’année. L’impact de l’inflation, si elle est temporaire comme le prévoit Bank Al-Maghrib, sera ainsi très minime sur l’argent des retraites », explique notre gestionnaire de fonds.

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