Hassan Hachimi Alaoui

Professeur d'économie monétaire et directeur d'équipe de recherche

À vilaine stagflation, la bonne inflation

Le 22 octobre 2021 à 14h40

Modifié 22 octobre 2021 à 14h49

Les prix ont connu une envolée au cours du troisième trimestre de cette année et l'inflation ressentie par les ménages marocains est inquiétante à bien des égards. Quant à l'inflation statistique, calculée sur la base de l'IPC et qui tient compte d'une panoplie de biens et de services, elle demeure maîtrisée selon les données du HCP. Bien que les chiffres du mois de septembre ne soient pas encore disponibles, l'historique de l'inflation sous-jacente accuse une certaine stabilité au long des derniers mois et cela réduit énormément la probabilité d'une envolée persistante des prix.

Néanmoins, les projections de Bank Al-Maghrib tablent sur une inflation sous-jacente à 2,1% en 2022. Cela fait écho à une globalisation de l'inflation au lendemain de la crise sanitaire, avec pas moins d’une dizaine de banques centrales qui ont déjà entamé un cycle de resserrement monétaire, essentiellement via la hausse de leurs taux directeurs. Le Pand-Exit est décidément inflationniste et le Maroc ne fait pas l’exception.

Cohabitation entre la récession et l'inflation

Ceci dit, un resserrement des conditions monétaires, et advenant le cas d'une inflation persistante et non pas transitoire, donnerait lieu à une stagflation nuisible à notre économie. En se référant à la courbe de Phillips, en tant que cadre analytique des tensions inflationnistes qui peuvent survenir dans une économie ouverte, le choc que viennent de subir les prix au Maroc est un "cost-push" et nullement un "demand-pull". Encore que la reprise économique entamée ce dernier trimestre ne peut guère être à l’origine de ces tensions inflationnistes, du fait d’un output gap clairement négatif et d’une économie qui opère au-dessous de ses capacités potentielles de production. L’hypothèse d’un choc de demande est évidemment écartée et l'explication de cette hausse des prix se trouve du côté de l'offre dans sa dimension globale.

En effet, l'inflation récemment observée au Maroc fait suite à la flambée des prix des matières premières à l'international, conjuguée à une pénurie de conteneurs et un renchérissement des coûts du transport maritime. À cela s'ajoute une mauvaise maîtrise des schémas logistiques au Maroc, en l'occurrence le stockage, et la forte concentration du marché y afférent avec une structure des coûts dominée par les marges des distributeurs et des intermédiaires.

Face à cette inflation par les coûts, une réaction de la banque centrale mènerait l'économie à une triste stagnation. Une politique monétaire restrictive, éventuellement mise en œuvre par la hausse du taux de refinancement auprès de la banque centrale, devrait pénaliser une demande déjà en détresse et conduirait à une cohabitation entre la récession et l'inflation.

Il va sans dire qu’en ces temps difficiles, le stimulus budgétaire mis en place pat l’État marocain s'est fait et continue de se faire à travers la dette publique. Une hausse du taux directeur, du fait qu’elle se répercute en premier lieu sur les taux des bons de Trésor, devrait alourdir le service de la dette publique et pourrait, à moyen terme, conduire à des coupes budgétaires. Par ailleurs, la transmission de la politique monétaire vers l’économie réelle est conditionnée par la répercussion des variations du taux directeur sur les taux débiteurs. Au Maroc, cette répercussion demeurent incomplète et de faible ampleur, eu égard à la rigidité des taux débiteurs, notamment à la baisse. Toutefois, les banques justifient cette rigidité par les ratios relativement élevés des créances en souffrance et qui les poussent à revoir à la hausse les primes de risque imbriquées aux taux débiteurs. Rien de plus normal que le cycle économique soit corrélé aux primes de risque, qui tendent à augmenter lors des phases de récession. Ceci étant, une hausse du coût marginal qu’est le taux directeur pour les banques commerciales ne peut qu’aggraver la situation. Tout compte fait, le réajustement de l'économie par la politique monétaire suite à un choc de ce nature (cost -push), se ferait au prix d'un sacrifice certainement regrettable au niveau de l'output gap.

Normalisation de l'inflation

On n'a rien sans mal. Ce cost-push exogène que vient de subir les prix au Maroc, se traduirait certes par un taux d'inflation plus élevé, sauf qu’il est à même de réduire les taux d'intérêt nominaux et devrait in fine booster l'investissement et la demande intérieure. Et comme il faut vouloir ce qu'on ne peut empêcher, cette éventuelle hausse du niveau général des prix pourrait être à l’origine d’un rebond de la demande sur la marché de travail, et ce à travers la baisse des salaires réels qui pourrait s’en suivre.

Quoique Bank Al-Maghrib n'adopte pas un ciblage explicite de l'inflation, car aucune cible numérique de l’inflation n’est officiellement communiquée par ses organes d’administration, le ciblage implicite qu'elle adopte laisse entendre que le niveau optimal des prix se trouve aligné à sa valeur tendancielle. Avec des prévisions autour de 1,6% à moyen terme (projections de BAM), ce qui se passe actuellement n'est qu'une normalisation de l'inflation au Maroc. Il s'agit donc d'une bonne inflation qui, nous l’oublions pas, fait suite à une décennie de désinflation importée, due en partie au textile et à l’électroménager turques et chinois.

Qui va doucement va sainement et la décision de maintenir le taux directeur inchangé, prise par le conseil de Bank Al-Maghrib à l’issue de sa troisième session trimestrielle de l’année 2021, ne manque pas de sagesse. Somme toute, le problème est à régler au niveau des chaînes de distribution et, de ce fait, les solutions sont à élaborer du côté de la stratégie logistique du Maroc et non pas du côté de sa politique monétaire.

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