Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

France-Australie : le contrat torpillé

Le 29 septembre 2021 à 11h59

Modifié 29 septembre 2021 à 11h59

L’annonce brusque et inattendue, le 15 septembre dernier, d’un partenariat stratégique appelé AUKUS, initiales de "Australia United Kingdom United States", entre ces trois pays, a eu l’effet d’une bombe en France.

Comment tous les services français réunis, ainsi que le quai d’Orsay, ont pu ne pas avoir vent de ces tractations entamées apparemment depuis l’ère Trump pour délester le pays du contrat du siècle d’une valeur de 90 milliards de dollars ?

Cet accord entre la France et l’Australie a été signé en 2016, et son exécution était bien avancée. C’est l’entreprise française Naval Group qui était chargée de la mise en œuvre de ce partenariat stratégique, appelé "Strategic parternship agreement". Il devait durer cinquante ans, couvrir la construction d’un chantier naval en Australie et livrer des sous-marins avec leur système de combat.

Paris comptait ainsi livrer au total 12 sous-marins à l’armée australienne. Le contrat stipulait par ailleurs de collaborer avec des entités australiennes et favoriser un transfert de technologies. D’autres groupes internationaux y étaient également impliqués, dont l’américain Lockheed Martin.

La France dispose d’un vrai savoir-faire dans ce domaine. Elle a construit son premier sous-marin à propulsion électrique, armé de deux torpilles et pouvant embarquer six personnes, en 1887. Après la Première Guerre mondiale, elle a développé des submersibles à propulsion diesel, mais leur rôle dans les deux Guerres mondiales furent limités. Elle met en service son premier sous-marin à propulsion nucléaire 1971.

Par cet accord de 2016, l’Australie cherchait à améliorer sa souveraineté en matière de construction de sous-marins, et maîtriser les immenses mers qui l’entourent. Cependant, une telle coopération ne pouvait plaire à Washington, dont le Pacifique est devenu son espace vital et une zone de tous les dangers face à l’expansionnisme chinois.

L’Australie ne fait que revenir à ses alliés traditionnels

Depuis 1951, les États-Unis avaient instauré une alliance stratégique pour défendre cette région, sous l’appellation ANZUS (Australia, New Zealand, United States). Après l’interdiction par la Nouvelle-Zélande de l’accès des navires nucléaires à ses eaux, en vertu d’une politique de dénucléarisation initiée en 1984, cet accord est tombé en désuétude. N’ayant pas admis l’incursion française dans leur zone d’influence, Washington, comme Londres, a usé de ses proximités avec Canberra pour le remplacer, le 15 septembre, par le nouvel accord communément appelé AUKUS.

En resserrant ses liens avec les États-Unis et le Royaume-Uni, l’Australie ne fait que revenir à ses alliés traditionnels qui sont mieux disposés à servir ses intérêts et lui apporter la sécurité régionale dans un cadre stratégique global. Ce n’est certainement pas la France qui peut lui apporter cette dimension politique qui lui manquait. Du reste, Washington, qui s’est toujours opposé à partager des technologies militaires sensibles exigeant une expertise nucléaire, a fait, cette fois-ci, à l’égard de l’Australie, une exception qui ne se répétera pas.

La Chine, qui prêtait peu d’attention à l’accord initial franco-australien, a vite réagi au lendemain de la signature du nouvel accord. Elle a estimé que ce partenariat lance une course aux armements qui compromet les efforts internationaux de non-prolifération nucléaire. Elle oublie que c’est en raison de sa propension à dominer la zone indo-pacifique que ce partenariat a été ficelé.

La France, grande perdante

Mais le grand perdant dans ce marchandage reste bien évidemment la France. A son insu, elle a été évincée de ce contrat du siècle, comme Paris aimait l’appeler, par ses propres alliés. La Grande-Bretagne, qui n’est plus membre de l’Union européenne, a repris son destin en main en renouant avec sa famille anglophone. Elle décroche ainsi, après le Brexit, un juteux contrat sans être rappelée à l’ordre par Bruxelles, et sans se soucier non plus des intérêts français.

En nommant en 2017 Jean-Yves le Drian à la tête de la diplomatie française, le président Emmanuel Macron a délibérément choisi une personnalité liée au système militaro-industriel français et l’un de ses meilleurs connaisseurs. Le Drian, ancien ministre de la Défense sous François Hollande, devenant chef de la diplomatie, a privilégié la diplomatie économique en devenant le VRP de l’industrie d’armement française dans le monde.

On ne compte plus ses voyages dans les zones chaudes où il a su promouvoir cette industrie ; au Moyen-Orient, dans les pays du Golfe, en Afrique et même en Australie. Ce statut de vendeur d’armes est largement assumé par ce diplomate qui gère le quai d’Orsay avec les chefs d’entreprises des industries d’armements. Il a fait passer les ventes d’armes de 4,8 milliards d’euros à 16 milliards durant les trois dernières années… au grand dam des américains.

Rien qu’en Afrique, il a multiplié les visites et les déplacements dans les zones de conflits, au point de s’ériger en une figure incontournable de la Françafrique. La promotion de l’industrie d’armement est devenue sa priorité absolue au détriment de la stratégie globale qui s’opère dans le monde. Face à cette montée en puissance et à l’incursion de Paris dans leur zone d’influence au Pacifique, les Américains n’ont manifestement eu de choix que de les déloger d’une région, où ils comptent aussi contrer l’influence chinoise. Pékin n’a jamais caché non plus sa volonté d’accompagner son expansion économique par une conquête maritime d’envergure. Son projet de grande muraille sous-marine, "Underwater Great Wall Project", entre dans ce schéma qui inquiète, par sa dimension, aussi bien les États-Unis que ses alliés.

Du fait d’eaux territoriales relativement enclavées liées à la présence de mers peu profondes qui entourent le pays, les sous-marins chinois doivent passer, pour atteindre la haute mer, par des goulets très surveillés par les systèmes d’écoutes américains. C’est certainement en raison de la grande confrontation qui se prépare entre Américains et Chinois dans le Pacifique, que les Français ont été débarqués de ce grand projet.

Il faut seulement espérer que Paris ait procédé à cette occasion à un bon diagnostic. Cette éviction n’est pas qu’une perte financière d’un contrat. Au-delà de ça, elle est le symptôme et la révélation d’une perte d’influence dans le monde, au moment où une partie de sa classe politique n’évoque, dans ses débats internes, que les dangers qui viennent des autres peuples, qu’ils soient musulmans ou africains. Il est temps pour elle de se réveiller ; les temps sont en train de changer.

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