Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

La promesse de James Baker

Le 10 mars 2022 à 10h50

Modifié 10 mars 2022 à 10h50

Au moment de la chute du mur de Berlin en 1989, James Baker, après avoir été secrétaire au Trésor sous le président Ronald Reagan, est chargé par le président Georges WH Bush de diriger la diplomatie américaine. L’Occident savoure sa victoire sur le bloc de l’Est. Il peut maintenant vaquer à réorganiser l’Europe autour d’un noyau dur qu’est la réunification des deux Allemagne, et l’extension de l’Otan vers l’Est de l’Europe.

La réunification de l’Allemagne fut adoptée dans un temps record. Le traité y affèrent fut signé à Moscou le 12 septembre 1990, mettant ainsi fin à la question allemande qui a empoisonné les relations internationales depuis le second conflit mondial. Chacun des partenaires a essayé de tirer avantage de la nouvelle situation. L’Allemagne a retrouvé son unité, et les russes ont reçu la promesse de ne pas étendre l’Otan vers leurs frontières, et d’être soutenus pour réformer leur économie moribonde.

Grisés par cette victoire inattendue, les États-Unis pouvaient maintenant se redéployer dans le monde à leurs guises. La France sous François Mitterrand, méfiante à l’égard d’une Allemagne forte, obtient l’abandon du Deutsch Mark au profit de l’Euro. Le président français craignait le retour d’une Germanie  conquérante, et d’un glissement du centre de gravité de l’Europe vers l’Est. Les Allemands ont compris que ce n’était pas un soutien total, mais plutôt une non opposition à la réunification.

Suite à sa rencontre avec son homologue soviétique Edouard Chevardnadze, le 4 mai 1990, James Baker adressait à son président une correspondance qui va dans le même sens. Il y écrit : J’ai utilisé votre discours pour réassurer qu’il n’y aura ni vainqueurs ni perdants, mais une structure européenne inclusive et non exclusive. Pour certains observateurs, Baker espérait, à l’époque, voir un jour la Russie au sein de l’Otan. Tout était alors permis.

Grand malentendu

Le 31 décembre 1990 le ministre allemand des Affaires étrangères, Hans Dietrich Genscher, déclarait que les changements en Europe de l’Est et le processus de réunification allemande ne doivent pas conduire à une atteinte aux intérêts soviétiques. L’Otan, a-t-il ajouté, devrait exclure toute expansion vers les frontières soviétiques. Le diplomate allemand admettait qu’en contrepartie de la réunification allemande, il n’aura pas d’extension de l’Otan vers les frontières russes.

La déclaration de Baker de ne pas étendre l’Otan d’un pouce vers l’Est a été prise au mot par Moscou, ce qui créa, plus tard, un grand malentendu entre les deux puissances. Cette promesse, non tenue selon les Russes, est à l’origine de tensions dont celle qui a surgi récemment en Ukraine. L’association américaine National Security Archive a produit en décembre 2017 un ensemble de documents prouvant que les États-Unis ont fait cette promesse, en contrepartie de la réunification allemande.

Peu après les déclarations de Baker, le Conseil de sécurité national (NSC) à Washington, s’alarme de la tournure limitative des accords en négociation. Condoleeza Rice, future secrétaire D’État, et conseillère du président Bush pour les affaires soviétiques, est favorable à dissocier la réunification des Allemagnes de l’extension de l’Otan. Elle dira plus tard, qu’en ce temps, l’objectif était la réunification, et qu’on n’était pas sûr que le Pacte de Varsovie allait s’écrouler si facilement.

Après ce rappel à l’ordre, Baker commence dès lors à changer les termes de son langage. Idem pour le Chancelier Helmut Kohl qui prend ses distances avec les formulations de son ministre des Affaires étrangères Genscher. Plus tard, les Américains comme les Européens, victorieux, permettent à l’Otan d’intégrer de nouveaux membres de l’ancien bloc de l’Est d’une part, et de participer même à des conflits hors continent, de l’autre.

De cette expansion, Gorbatchev dira plus tard qu’elle était une provocation et une violation de l’esprit des assurances faites en 1990.  C’est ce même reproche qui reviendra, des années après, comme un leitmotiv dans la bouche de Poutine. Lors d’une conférence de presse en décembre dernier, il déclarait : pas un pouce vers l’Est nous disait-on dans les années 90, ils ont triché, ils nous ont trompés de manière flagrante.

Pourtant l’Occident a déjà été alerté en août 2008 lors de l’invasion russe de la Géorgie. La guerre que Poutine mène actuellement en Ukraine répond à la même logique. Les deux étaient en gestation depuis son avènement au pouvoir en 2000, quand les Américains voulaient reconfigurer à leur guise le Moyen-Orient. A travers ces confrontations, le président russe pense surmonter la tragédie de 1991, et restaurer la dignité de son pays. Son message est simple : l’ère de la domination de l’Occident est révolue, non seulement en Europe mais dans le monde.

Quelle issue ?

L’issue d’une guerre n’est jamais certaine. Elle peut, certes, changer les rapports de forces mais, comme une boîte de pandore, ses conséquences déteignent sur plusieurs générations. Nous l’avons vu en Iraq, en Afghanistan, en Libye et dans bien d’autres conflits, où ce sont les populations civiles, sans défense, qui en subissent les affres et les atrocités. On arrive à la guerre quand le dialogue politique est rompu. La guerre c’est la continuité de la politique par d’autres moyens, disait Carl Von Clausewitz.

Il est toujours présomptueux de prévoir l’issue d’une confrontation comme celle en cours en Ukraine. La victoire militaire face à un petit pays peut être rapide, mais elle ne peut garantir une paix définitive. Les grandes puissances qui veulent régner sur le monde par la coercition, doivent prendre conscience de deux dérives : surestimer leurs propres forces, et sous-estimer celles de leurs adversaires

Par une promesse qui, selon toute vraisemblance, a été donnée par James Baker, l’Europe fait maintenant face à une grave crise opposant des puissances nucléaires. Parce que cette promesse n’a pas été tenue, nous voilà face à une guerre qui risquerait d’être fatale pour l’humanité. Tous les pays, même ceux loin de ce foyer de tension, sont injustement sommés à s’aligner sur l’une ou l’autre puissance. Leurs intérêts nationaux et le bon sens devraient les inciter à rester neutres, et à promouvoir la paix et les principes intangibles du droit international.

James Baker a été rappelé à notre mémoire à l’occasion de la guerre en Ukraine par le rôle qu’il a joué lors de l’écroulement du bloc de l’est. Il a peut-être fait aux Russes des promesses ou propositions pour faire avancer une idée ou un dossier. En son temps, il ne pouvait imaginer que, trente années après on tiendrait son pays pour responsable de cette guerre.

Un diplomate c’est quelqu’un qui réfléchit deux fois avant de ne rien dire, dit-on en forme de boutade. Nous autres marocains avions testé Baker sur un autre dossier relatif à notre intégrité territoriale, mais ceci est une autre histoire…

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