Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Le retour aux frontières

Le 11 novembre 2021 à 10h56

Modifié 11 novembre 2021 à 11h53

Le gouvernement polonais est réellement en colère cette semaine en raison du comportement de la Biélorussie voisine qui piétine ses frontières en laissant impunément des immigrés s’infiltrer illégalement dans son territoire. Varsovie a décrété l’état d’urgence le long de sa frontière, et prévoit de construire un mur de 5 mètres de haut sur 180 km pour sécuriser ses frontières.

Par référendum, et peut-être pour les mêmes raisons, la Grande-Bretagne a quitté l’Union Européenne pour retrouver ses frontières d’autrefois. Quant au Maroc, il a, pour sa part, garanti le passage d’El Guergarat pour sécuriser nos frontières au sud. Il veille aussi à les sécuriser à l’Ouest dans la zone tampon, laissée volontairement aux mains des Nations-Unies pour éviter tout contact, ou confrontation, avec l’armée du pays voisin.

A l’échelle de chaque personne, le passage par une frontière crée une émotion, une tension, une joie, de la crainte, des appréhensions et la peur de l’inconnu. Qui d’entre nous, lors d’un passage dans une frontière, n’a pas senti déjà la nostalgie en quittant sa terre natale pour un bref ou long séjour à l’étranger, ou versé des larmes de joie en y arrivant après un exil provisoire. La frontière est décidément un marqueur identitaire fort.

Au sein de la société marocaine nos frontières nationales cristallisent tous nos sentiments et nos pensées. Nous avons les yeux rivés sur les frontières du nord, où nos deux villes et autres îlots sont occupés, et à l’Est, où un voisin belliqueux les conteste et cherche vainement à les modifier. Les colonisations, française comme espagnole, ont laissé derrière elles de quoi nous occuper pour des années encore. Partout dans le monde, la problématique des frontières est de retour en raison de la multiplication des crises et des tensions.

Un marqueur identitaire

La frontière est un espace d’épaisseur variable qui sépare, ou joigne, deux ou plusieurs États. Infranchissable comme entre les deux Corée, ou une simple limite politique et juridique qui ne fait pas obstacle à la circulation des biens et des personnes, comme au sein de l’union- européenne. La frontière c’est donc la limite où s’exerce la souveraineté d’un État.

Dans les cultures anglaise et française le sens du mot frontière varie. En langue française le mot frontière a un sens guerrier qui fait référence au front, où l’armée défendait la nation. Il est le lieu par lequel un ennemi peut survenir. En anglais, par contre, on use souvent du mot border, limite, ou de boundaries, liens, plus pacifique et certainement moins conflictuel. Une différence sémantique qui en dit long sur les approches de chacune des deux civilisations.

Loin d’être uniquement un élément purement juridique qui limite l’espace géographique d’un État, la frontière est aussi une construction sociale et politique qui contribue à structurer l’espace autour d’un pouvoir central, d’une histoire commune, et d’un seul destin. Pour les marocains, le principe de Tanger au nord à Lagouira au sud, est un marqueur identitaire fort. Il est l’étendu d’une même histoire et de la même géographie.

C’est à la fin du moyen âge que l’adjectif frontière commence à désigner le fait de déplacer les armées vers le front. Le substantif frontière n’apparaît qu’au 17e siècle, au lendemain des traités de Westphalie. A partir de ce moment commence à se consolider les principes d’un prince un peuple, et de l’État territorial tel qu’on le connaît de nos jours. L’émergence de l’Etat-nation s’est imposé au 19e siècle en Europe, puis sera diffusé ensuite dans le reste du monde par le colonialisme et les politiques impériales.

Thermomètres aux relations entre États

Les frontières peuvent être considérées comme des thermomètres aux relations entre États. Quand la paix règne et les relations sont apaisées, les échanges se multiplient de part et d’autre, au bénéfice de deux pays et de leurs populations. Si, au contraire, un pays se sent dans l’incapacité de faire face à une concurrence politique ou économique d’un voisin, il privilégie la fermeture des frontières. Certains peuvent aller jusqu’à interdire le survol de l’espace aérien qui devient, par extension, une nouvelle frontière.

En plus des relations humaines, les frontières renforcent aussi les liens économiques entre les régions limitrophes, en raison de la faiblesse des coûts de transport et des courtes distances de part et d’autre. Les investisseurs ont un attrait pour ces zones qui se trouvent sur deux, ou plusieurs, marchés à la fois. Une frontière bien gérée est, à coup sûr, une étape vers une intégration régionale réussie.

Les flux transfrontaliers entraînent inéluctablement l’intégration entre des espaces nationaux différents que la frontière cherchait à délimiter jusqu’alors. Durant les périodes de paix, la frontière n’est pas qu’une délimitation d’un espace géopolitique qui sépare deux pays. Elle constitue une interface fructueuse qui organise, en mieux, l’espace d’une région. En temps de guerre, ce sont donc les effets inverses qui peuvent mener à la déstabilisation.

Durcissement des problèmes frontaliers

Avec les effets de la pandémie Covid, ajoutés à la persistance d’autres crises politiques, on constate un durcissement des questions frontalières de par le monde. La multiplication des foyers de tensions peut mener, au pire, vers des confrontations meurtrières entre nations ou, au mieux, à des replis identitaires. Certains courants politiques européens commencent déjà à prôner un strict contrôle hermétique des frontières pour limiter les entrées d’étrangers.

Tous les pays développés, à l’instar des États-Unis ou des pays membres de l’union Européenne, délèguent des budgets conséquents pour surveiller leurs frontières, devenues des zones prioritaires et sensibles. Ils constatent que les frontières drainent richesses et trafics en tous genres. Les stupéfiants, les armes, et la traite des êtres humains ne cessent d’y progresser, sans compter les risques liés au terrorisme.

Ces États consacrent des fonds pour surveiller et développer leurs frontières pour mieux les contrôler. L’Union-Européenne a fait passer son budget Frontex de 6,3 millions d’euros en 2005 à 544 millions en 2021. S’ajoutent à cela les budgets colossaux pour les différents services de sécurité aussi bien public que privé et qui, souvent, sont entourés d’opacité.

Le mur de Berlin constituait jadis une frontière entre le bloc de l’Est et le monde libre. Son effondrement symbolisait l’abolition des frontières et une mondialisation qu’on croyait heureuse pour l’humanité. Le constat actuel est amer car le monde a déchanté. On entre désormais dans une nouvelle ère, où chaque pays cherche d’abord à affirmer son identité par des frontières sûres et mieux contrôlées. Les changements climatiques, ajoutés aux crises politiques et aux conflits, pousseront de plus en plus des populations à se déplacer. Les frontières ont encore un bel avenir devant elles.

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