Fathallah El-Guernaoui

Juriste internationaliste

Maroc-UE : Ce qu’il faut retenir de l’arrêt du tribunal de l’Union européenne du 29 septembre 2021

Le 11 octobre 2021 à 12h35

Modifié 11 octobre 2021 à 12h37

Le juriste internationaliste Fathallah El-Guernaoui livre, en 10 points, une lecture de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 29 septembre 2021 dans l’affaire T-279/19 (Polisario/Conseil).

1- Cette affaire n’est pas un appendice dans la longue liste des dossiers contentieux entre le "Front Polisario" et le Conseil de l’Union européenne concernant l’application des accords d’association et de libéralisation entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc. Elle constitue la suite logique du jugement du Tribunal de l’Union européenne du 10 décembre 2015 (Affaire T 512/12) et de l’arrêt de la Cour européenne du 21 décembre 2016 (Affaire C 104/16P). Paradoxalement, au lieu de permettre au Conseil européen de se conformer aux exigences légales posées par la haute juridiction européenne, cette affaire a révélé que l’accord international conclu entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc le 25 octobre 2018 ne satisfait toujours pas, du point de vue du Tribunal européen, aux conditions du droit international telles qu’elles sont interprétées et appliquées par la juridiction européenne, comme si le symbole de "Sisyphe" était à l’œuvre par le juge européen !

2- Comme tout autre jugement d’un tribunal, l’arrêt du Tribunal européen du 29 septembre 2021 apporte des réponses, sur la forme, et dans le fond, aux arguments opposés du Conseil européen d’une part, et du "Front Polisario" d’autre part, sur la validité juridique de l’accord signé entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc le 25 octobre 2021. Les réponses du Tribunal, qui en droit s’appellent des considérants ou des motifs, permettent de comprendre, le raisonnement du Tribunal européen, et par application de quelles règles du droit européen et international, le Tribunal parvient à faire du "Front Polisario" qui n’est pas un sujet de droit international, dépourvu d’une personnalité juridique, un requérant justifiant de la qualité à ester en justice contre un accord international bilatéral dont le "Front Polisario" n’est ni une partie ni un destinataire, et, de surcroît, dont la mise en œuvre [l’accord] relève de la compétence exclusive des autorités de l’Union européenne et marocaines. Si le juriste peut admettre les réponses du Tribunal européen, il ne saurait les approuver.

3- Formellement, le recours du "Front Polisario" était dirigé contre la décision du Conseil de l’Union européenne 2019/17 en date du 28 janvier 2019. Toutefois, pour le Tribunal européen, cette décision n’est qu’un élément qui fait juridiquement corps avec l’accord international signé le 25 octobre 2018 entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc de telle sorte que le Tribunal européen analyse le recours du "Front Polisario" comme étant dirigé contre l’accord avec le Royaume du Maroc que la décision du 28 janvier 2018 a approuvé. De la qualification par le Tribunal européen de la décision du Conseil et de l’accord avec le Royaume du Maroc comme des actes indissociables, le juge européen tire une autre conséquence qui est que la légalité de la décision attaquée par le "Front Polisario" peut être contrôlée au regard du contenu de l’accord avec le Royaume du Maroc.

4- La Cour européenne a jugé, le 21 décembre 2016, dans le cadre du pourvoi du Conseil européen contre le jugement du Tribunal européen du 10 décembre 2015, que l’accord d’association entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc, notamment son article 94, qui détermine le champ d’application territoriale dudit accord, ne peut être interprété, dans les relations entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc comme s’appliquant à la région du Sahara. L’extension de l’accord d’association à la région du Sahara, sans pour autant être exclue par la Cour ou être prohibée par le droit international, nécessitait, donc, une stipulation expresse entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc. L’accord du 25 octobre 2018 a été négocié et conclu dans le but direct de procurer une base légale conforme au droit international et aux exigences de la Cour européenne à l’extension de l’accord d’association à la région du Sahara, c’est à dire à permettre que, dans la légalité internationale, les produits agricoles et les produits de pêche, en provenance de la région du Sahara, puissent bénéficier lors de leur exportation vers l’Union européenne des mêmes préférences tarifaires accordées par l’accord d’association aux produits certifiés d’origine par les autorités douanières marocaines.

5- Par un positionnement calculé, le Tribunal de l’Union européenne, interprétant de façon discutable, l’arrêt de la Cour de l’Union européenne, du 21 décembre 2016, a considéré que l’application aux produits originaires de la région du Sahara de l’accord du 25 octobre 2018 nécessite, pour être légale, au regard du droit européen et international, le consentement des populations concernées par ledit accord. Les consultations effectuées par la Commission européenne et par le Service européen d’action extérieure en relation directe avec les autorités marocaines pour s’assurer de la réalité des bénéfices économiques que tirent les populations et la région du Sahara de l’extension des tarifs douaniers préférentiels, n’ont pas été jugées par le Tribunal européen comme suffisantes, pertinentes et à même de traduire le consentement libre des populations concernées par l’application de l’accord. C’est à se demander si le Tribunal européen n’entend-il pas, désormais, placer le Conseil européen sous sa tutelle et lui dicter sa politique commerciale extérieure avec le Maroc ?

6- Le Tribunal européen insiste pour que le consentement à l’application de l’accord entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc, émane directement du "peuple du Sahara" alors même que l’accord d’association (1996) dans son article premier se réfère expressément au peuple marocain sans distinction ethnique ou autres. Il est manifeste que le Tribunal européen, en exigeant pour la validité de l’accord du 25 octobre 2018, le consentement d’une autre communauté humaine que le peuple marocain visé par l’article 1er de l’accord d’association, a inventé une condition supplémentaire, absente dans l’accord d’association, à la validité des accords économiques entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc. Selon tous les standards du droit, ce procédé est légalement inacceptable de la part du Tribunal européen.

7- Le Tribunal de l’Union européenne est juge de la validité des actes des institutions européennes, celles-ci, dans les relations avec le Royaume du Maroc sont tenues au respect des principes de la bonne foi, la loyauté et la prévisibilité. A cet égard, l’accord signé entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc le 25 octobre 2018 inclut spécifiquement une déclaration commune par laquelle les parties à l’accord sont convenus que cet accord est conclu sans préjudice de la position du Maroc concernant la région du Sahara sur lequel le Maroc exerce des droits souverains comme sur l’ensemble du territoire. L’annulation par le Tribunal européen de l’accord du 25 octobre 2018 nonobstant la déclaration commune qui affirme la nature juridique des droits du Maroc sur la région du Sahara est d’abord un désaveu par le Tribunal européen à la crédibilité du Conseil européen et à sa capacité à exprimer, par sa décision du 28 janvier 2019, le consentement des institutions de l’Union européenne à l’accord annulé. Il ne serait pas exagéré de se demander si, moralement, le Conseil européen peut-il encore exprimer la volonté de l’Union dans ses relations économiques avec le Royaume du Maroc ?

8- Le Tribunal européen, après avoir annulé la décision du 28 janvier 2019 qui a approuvé l’accord du 25 octobre 2018 a maintenu les effets juridiques de la décision annulée. Abstraction faites des raisons invoquées par le Tribunal pour justifier ce maintien qui est l’opposé exact de l’effet de l’annulation d’un acte juridique. La conservation des effets de la décision annulée ne peut s’expliquer que par le caractère exceptionnel des conséquences de l’annulation sur les parties à l’accord annulé. Dans ce contexte, il n’est pas à exclure que l’arrêt du Tribunal fasse l’objet d’un pourvoi de la part du Conseil européen devant la Cour, cette voie de recours ouverte uniquement au Conseil a pour avantage de prolonger dans le temps le maintien des effets juridiques de la décision annulée jusqu’à ce que la Cour européenne statue sur le pourvoi, ce qui est aussi une question de temps judiciaire. Le pourvoir du Conseil européen contre l’arrêt du 10 décembre 2015 n’a été vidé par la Cour de l’Union européenne que le 21 décembre 2016.

9- Un éventuel pourvoi du Conseil européen contre l’arrêt du Tribunal du 29 septembre 2021, s’il est régularisé, offrira une opportunité à la Cour européenne pour se prononcer sur la portée exacte sa propre jurisprudence issue de son arrêt du 21 décembre 2016. En effet, si cet arrêt a conditionné l’extension de l’accord d’association entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc à la région du Sahara à une stipulation expresse entre ces deux sujets de droit international, la Cour, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, n’a jamais reconnu au "Front Polisario" la capacité d’être la seule voie d’expression du consentement requis pour l’extension de l’accord d’association à la région du Sahara. L’arrêt du Tribunal a opéré une glissade inopportune entre le consentement, ses modalités d’expression, et la voie autorisée à l’exprimer. Le fait est que les accords de coopération économiques entre l’Union et le Royaume du Maroc portent sur des matières exclusivement commerciales qui sont en dehors du champ et du processus politique.

10- Sans rien concéder à la rigueur de l’analyse juridique, à ses impératifs catégoriques et à ses contraintes conceptuelles et méthodologiques, le juriste ne saurait voir dans les motifs et le dispositif de l’arrêt du Tribunal européen du 29 septembre 2021 l’expression correcte du droit seul. Peut-être d’autres hypothèses, tirées de la dynamique du contexte international, sont à considérer, avec prudence, dans l’explication de l’arrêt du Tribunal. Les États Unis ayant reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, Ils ont maintenu la déclaration de reconnaissance après un changement d’administration, l’arrêt du Tribunal européen, faible en droit, orienté dans le choix des faits qui fondent son analyse, et téméraire dans certains de ses conclusions, ne révèlerait-t-il pas une fébrilité européenne face à cette nouvelle donne ? Le Maroc a démontré le potentiel de son pouvoir disruptif et sa capacité à semer des difficultés pour certains pays européens. L’arrêt du Tribunal ne constituerait-t-il pas, à cet égard, une forme de riposte ?

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