Noureddine El Aoufi

Economiste, professeur à l’université Mohammed V de Rabat, membre résident de l’Académie Hassan II des sciences et techniques, directeur du Laboratoire d’économie du développement (LED) et des revues Critique économique et Nahda. Il est membre de la Commission spéciale sur le modèle de développement.

Mohammed Benmoussa

Économiste, acteur politique et militant associatif, membre de la Commission spéciale sur le modèle de développement.

Nouveau modèle de développement et pragmatique du changement : L’exemple des conflits d’intérêts

Le 13 avril 2022 à 15h47

Modifié 13 avril 2022 à 15h47

Noureddine El Aoufi et Mohammed Benmoussa, tous deux économistes et membres de la Commission spéciale sur le modèle de développement, reviennent sur les recommandations du rapport pas suffisamment connues, concernant les conflits d'intérêt.

Prendre le Nouveau modèle de développement au sérieux. Les limites structurelles du modèle de développement ont été pointées du doigt par le Souverain à l’occasion du discours du 13 octobre 2017 lors de l’ouverture de la législature parlementaire. Une Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) a été nommée par le Roi le 12 décembre 2019, et elle a rendu son rapport 18 mois plus tard après avoir bénéficié d’un délai supplémentaire de 6 mois pour tirer les enseignements de la pandémie de la Covid-19.

Des élections législatives ont eu lieu le 8 septembre 2021, conduisant dans la foulée à la formation d’une large majorité gouvernementale composée de trois formations politiques. Après le vote de confiance de l’Assemblée des représentants au gouvernement, un débat national s’est emparé de la question de la mise en œuvre par le gouvernement des réformes portées par le Nouveau modèle de développement (NMD). D’aucuns estiment que le NMD est, par sa nature, une « matrice d’ambitions » et que l’action du gouvernement ne peut être contrainte par les projets phares et les indicateurs de résultat qu’il propose.

A l’inverse de ce point de vue dont les implications extrêmes peuvent se traduire par une « mise en sourdine » définitive du NMD, nous considérons qu’il faut prendre au sérieux le NMD qui, rappelons le, est à la fois « une ambition », un « référentiel de développement », « des choix et des orientations stratégiques (…) en cohérence avec l’ambition et le nouveau référentiel» et  dont « certaines (sont) accompagnées de propositions plus détaillées » ayant « vocation à servir de cadre de référence pour l’amorçage du nouveau modèle » et, enfin, « un dispositif de pilotage stratégique et de conduite du changement ». L’une des tâches décisives du gouvernement actuel consiste, dès lors, à lancer la phase d’amorçage du NMD, à mettre en œuvre les premières séquences du processus de transformation productive et initialiser les changements « nécessaires et urgents ».

Parmi les changements « nécessaires et urgents » qui doivent être entrepris d’entrée de jeu, il y a celui qui a trait à la moralisation de la vie publique en général et aux conflits d’intérêt en particulier. Ce changement constitue un préalable à tous les autres changements, une condition sine qua non à la mise en œuvre des réformes portées par le NMD. En référence à la pragmatique du changement esquissée dans le Rapport général, notamment au chapitre « Un cadre de confiance et de responsabilité » (p. 73-78), on tente dans les développements qui suivent de porter la focale sur quelques éléments susceptibles de fonder une « action pratique » pour une régulation plus efficace des conflits d’intérêts illégitimes.

 

Intérêt et désintéressement. La primauté de l’intérêt général exige, selon le rapport, « un renforcement des valeurs d’éthique et de probité », lequel requiert « une moralisation rigoureuse de la vie publique » et « une exigence d’exemplarité des responsables publics ».

Dans la philosophie morale, c’est la distinction entre les sphères de pouvoir, comme entre les champs d’action, qui fonde la démocratie et les politiques publiques tirent leur légitimité du fait qu’elles servent, de façon primordiale, l’intérêt général. La poursuite de ce dernier passant par une valeur hiérarchique de l’intérêt public sur l’intérêt privé et du bien collectif sur le bien corporatiste ou individuel.

L’action en faveur  de l’intérêt public est, en principe, une action désintéressée, mais pose la question de la raison qui pousse à trouver un intérêt propre dans le fait de servir l’intérêt public. Ce paradoxe, soulevé par P. Bourdieu (L’intérêt au désintéressement, Raisons d’agir/Seuil, 2022) du sacrifice qui consiste, pour un individu, à renoncer à son intérêt privé pour servir l’intérêt public ne peut se résoudre par le recours à la seule raison morale ou éthique. Pour que l’intérêt privé, individuel ou corporatiste, ne puisse pas, dans la réalité, préempter l’intérêt public et/ou général, pour que l’action intéressée ne soit la raison de l’action désintéressée, pour que le but de « se servir » ne soit pas le motif réel qui se cache derrière l’acte de « servir », il convient de placer la problématique du conflit d’intérêts sur un terrain non pas (seulement) moral et substantiel, mais (aussi et surtout) sur un terrain politique et procédural.

« Ceci passera, souligne le rapport, par des mesures spécifiques, comme la réforme de l’arsenal juridique existant sur la moralisation de la vie publique, en élargissant le périmètre des déclarations d’intérêts et des règles d’incompatibilité́. L’accès à l’information, la transparence, l’évaluation et le suivi des politiques, les médias autonomes, l’action citoyenne de la société civile, sont également des garde-fous contre les dépassements, qu’il est urgent de remettre aux devants pour renforcer la confiance des citoyens ».

Cette pragmatique de changement adoptée dans le NMD s’étend aux « situations de rentes injustifiées » qui ne peuvent reculer que par un dispositif procédural visant « la réduction de la bureaucratie, des autorisations, des licences et agréments, souvent sources de corruption et de connivence public-privé », la « transparence en matière d’octroi des exonérations fiscales et des aides publiques et dans l’attribution des marchés publics ». On y reviendra.

 

Conflit d’intérêt et défiance. « Libérer les énergies et restaurer la confiance pour accélérer la marche vers le progrès et la prospérité pour tous », cette formule mise en exergue dans le rapport condense l’importance de la confiance dans le processus de développement, à la fois condition et adjuvant de la prospérité de notre pays.

La CSMD n’a pas manqué de souligner le climat de défiance générale qui est remonté des auditions institutionnelles et citoyennes : « Il y a ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien », « Il faut lutter contre l’enrichissement illicite et lier la responsabilité à la reddition des comptes ».

Ainsi la CSMD a-t-elle proposé un cadre de confiance et de responsabilité articulé autour de cinq composantes adossées à des valeurs, des normes ou des institutions : la justice, la moralisation de la vie publique, des institutions de gouvernance économique, la reddition des comptes et la démocratie représentative et participative.

Une vie publique marquée par la probité et l’exemplarité en matière d’éthique, est au cœur du pacte de confiance que le NMD ambitionne de régénérer. Le rapport sur le NMD souligne : « Les conflits d’intérêts, les collusions et les rentes indues, les immixtions et les interférences entre sphères autonomes, politiques, économiques, sociales, effritent la confiance envers les institutions, alimentent l’indifférence à l’égard de la participation politique et la défiance envers les décideurs. La sortie de cette spirale de défiance nécessite un renforcement de la moralisation de la vie publique. Ceci passera par des mesures spécifiques, comme la réforme de l’arsenal juridique existant sur la moralisation de la vie publique, en élargissant le périmètre des déclarations d’intérêts et des règles d’incompatibilité ».

 

Une pragmatique de changement par le droit. Le traitement moral et éthique du paradoxe intérêt/désintéressement contient des apories que le droit peut contribuer à dépasser.

Objet de droit par excellence, le conflit d’intérêts est, selon une définition de l’OCDE, « un conflit entre la mission publique et les intérêts privés d’un agent public, dans lequel l’agent public possède à titre privé des intérêts qui pourraient influencer indûment la façon dont il s’acquitte de ses obligations et de ses responsabilités ». Il peut être « potentiel », « apparent » ou « réel ».

La notion fait référence à une situation où des intérêts pouvant entrer en conflit sont portés par une même personne, qui pourrait profiter de cette situation pour faire prévaloir son intérêt personnel ou celui d’un tiers sur celui qu'il est chargé de défendre, de représenter ou de protéger en vertu d’une fonction publique. Tel est le cas d’un haut fonctionnaire chargé du contrôle d’une société privée dans laquelle il serait actionnaire personnellement ou par l’entremise d’une personne tierce qui lui est proche, ou d’un responsable public qui aurait un intérêt privé à la décision publique ou au vote d’une loi qu’il contribuerait à prendre ou à faire voter.

Le Conseil de l’Europe adopte une définition encore plus stricte, considérant qu’il convient non seulement de connaître les situations de conflits d'intérêts supposées réelles dans le but de les réguler, mais qu’il s'agit également de protéger les dirigeants politiques et les hauts fonctionnaires de l'administration du soupçon de partialité qui pourrait les entacher. La matérialité des actes n’est donc pas nécessaire pour qualifier un conflit d’intérêt, la présomption liée à un statut incompatible est suffisante. Autrement dit, le conflit d’intérêt existe indépendamment de son incidence réelle sur les intérêts protégés (intérêt général en l’occurrence), le seul risque ou soupçon d’atteinte étant suffisant à le constituer.

 

Un corpus législatif pléthorique. Il importe de noter que les situations de conflits d’intérêts demeurent nombreuses au Maroc en dépit de l’existence d’un arsenal juridique abondant. Comment expliquer ce paradoxe ?

La raison réside, sans doute, tant dans les lacunes du corpus législatif et réglementaire que dans l’ineffectivité des mesures répressives ou dans les limites institutionnelles des structures de supervision. La Constitution consacre les principes de moralisation de la vie publique. Dès l’article premier, il est souligné que « Le régime constitutionnel du Royaume est fondé sur (...) et les principes de bonne gouvernance et de la corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes ».

L’article 36 dispose que « Les infractions relatives aux conflits d’intérêts, aux délits d’initié et toutes infractions d’ordre financier sont sanctionnées par la loi. Les pouvoirs publics sont tenus de prévenir et réprimer, conformément à la loi, toutes formes de délinquance liées à l’activité des administrations et des organismes publics, à l’usage de fonds dont ils disposent, ainsi qu’à la passation et à la gestion des marchés publics. Le trafic d’influence et de privilèges, l’abus de position dominante et de monopole, et toutes les autres pratiques contraires aux principes de la concurrence libre et loyale dans les relations économiques, sont sanctionnés par la loi (...) ».

L’article 67 institue les commissions d’enquête parlementaire destinées à « (...) recueillir les éléments d’information sur des faits déterminés ou sur la gestion des services, établissements et entreprises publics, et soumettre leurs conclusions à la Chambre concernée ». Les articles 147 à 150 définissent les missions de la Cour des comptes, tandis que les articles 154 à 167 traitent de la bonne gouvernance, de la charte des services publics, de la déclaration de patrimoine, du Médiateur, du Conseil de la concurrence et de l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC).

En dépit d’une profusion de textes, l’arsenal juridique destiné à appliquer les principes constitutionnels de moralisation de la vie publique s’avère lacunaire à bien des égards. Plusieurs textes constituent cet arsenal :  loi 46-19 sur l’INPPLC (mars 2021), loi n°54.19 portant charte des services publics (juillet 2021), loi 31-13 relative au droit d’accès à l’information (mars 2018), loi organique 065-13 relative à l’organisation et à la conduite des travaux du gouvernement et au statut de ses membres (mars 2015), décret 2-14-867 relatif à la Commission nationale de la commande publique (septembre 2015), loi 104-12 relative à la liberté des prix et de la concurrence (juin 2014), Dahir 1.08.72 relatif à la situation des membres du gouvernement et des membres de leur cabinet (octobre 2008), Dahir 1-07-202 instituant une déclaration obligatoire de patrimoine de certains élus des conseils locaux et des chambres professionnelles ainsi que de certaines catégories de fonctionnaires ou agents publics (octobre 2008), décret 2-07-1235 sur le contrôle des dépenses de l’État (novembre 2008), loi 43-05 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux (avril 2007), décret 2-06-388 sur les conditions et modalités de conclusion, de gestion et de contrôle des marchés publics (février 2007), loi 54.05 sur la gestion déléguée des services publics (février 2006), loi 03.01 sur l’obligation pour les administration publiques, les collectivités locales et les établissements publics de justifier leurs décisions administratives (juillet 2002) et loi 69.00 relative au contrôle financier de l’État sur les établissements publics (décembre 2003).

 

Des règles ineffectives et des dispositifs inefficients. Les carences de l’architecture juridique relative à la moralisation de la vie publique en général sont de quatre natures différentes. Certaines concernent les textes ou les institutions, tandis que d’autres portent sur la culture de la transparence et sur les contre-pouvoirs.

Pour ce qui est des limites de l’arsenal juridique :

i) des acteurs importants de la vie publique ne sont pas couverts par la loi;

ii) les règles de droit permettent des mécanismes de contournement comme c’est le cas pour les conjoints qui ne sont pas soumis à la déclaration obligatoire du patrimoine ;

iii) certains risques déontologiques ne sont pas couverts (conflits d’intérêts, pantouflage, clientélisme, népotisme, etc.) ;

iv) les moyens de prévention contre certains risques ne sont pas suffisants comme les déclarations d’intérêts qui ne sont pas prévues au même titre que les déclarations de patrimoine ou les régimes d’incompatibilité qui sont manifestement  insuffisants et incomplets ;

v) les sanctions ne sont pas assez dissuasives, notamment les sanctions pour non-respect des obligations de la déclaration obligatoire de patrimoine.

Concernant les institutions chargées de la bonne gouvernance, on peut relever les défaillances suivantes :

i) les prérogatives de moralisation de la vie publique sont partagées entre plusieurs institutions et administrations (Cour des Comptes, INPPLC, Conseil de la Concurrence, Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, le Médiateur, inspections générales des administrations), pouvant ainsi créer un chevauchement de compétences et une dilution de responsabilités ;

ii) l’INPPLC n’exerce pas encore pleinement son mandat en l’absence de désignation des membres de son Conseil ;

iii) le mandat de l’INPPLC se limite à la corruption et ne couvre pas les autres aspects de moralisation de la vie publique comme la régulation des conflits d’intérêts et la lutte contre les prises illégales d’intérêts ;

iv) la justice ne dispose pas des capacités nécessaires à un traitement efficient des affaires de conflits d’intérêts en l’absence d’une réglementation dédiée, de juges spécialisés et d’une jurisprudence appropriée;

v) le cadre institutionnel du Conseil de la concurrence ainsi que son mode de fonctionnement et d’action méritent d’être revus afin de donner plus de crédibilité à son action et à ses décisions.

Quant à la culture de l’éthique et de la transparence, sa faiblesse est nettement perceptible à travers la rareté des actions de formation et de sensibilisation sur les différents types de problèmes éthiques (au-delà de la corruption) et sur les modalités de prévention d’une part, et d’autre part, la quasi absence de procédures, de règles ou d’organes de gouvernance de la déontologie au sein des organisations publiques (chartes éthiques, codes de bonne conduite, droit d’alerte, procédures d’enquête internes, compliance officers).

Enfin, la faiblesse des contre-pouvoirs est signalée par les quelques indices suivants  :

i) nombre très limité de médias d’investigation ou d’ONG locales spécialisées dans les métiers de watchdog ou de whistle-blower ;

ii) le travail d’investigation et de communication sur les sujets de moralisation de la vie publique n’est pas suffisamment encadré, les droits, les obligations et les périmètres d’action des acteurs n’étant pas clairement définis ;

iii) le travail des contre-pouvoirs n’est pas suffisamment valorisé dans la vie démocratique nationale ;

iv) les contre-pouvoirs rencontrent des difficultés et des risques dans l’exercice de leurs prérogatives (difficultés d’accès à l’information, risque judiciaire en l’absence de loi protégeant les lanceurs d’alerte, etc.).

Laxisme et soupçon. La politique de moralisation de la vie publique et de prévention des conflits d’intérêts doit éviter un double écueil.

D’un côté, maintenir un flou artistique sur la notion de conflits d’intérêts et se contenter de simples recommandations de comportement. Cette approche laisserait le soin aux personnes concernées de déterminer, par elles-mêmes, les situations d’incompatibilité ou de risque déontologique et leur donnerait l’opportunité de se décerner toutes les apparences de la vertu sans garantir effectivement l’indépendance, l’impartialité et la probité des décideurs politiques et des acteurs publics.

De l’autre, l’attitude du soupçon systématique à l’égard de tout dépositaire d’une autorité publique. Cette démarche pourrait porter préjudice aux responsables publics les plus vertueux et conduire à une quête absolutiste de transparence, peu soucieuse de la vie privée des décideurs, et déboucher sur des procès d’intention permanents.

La voie de la raison et de la responsabilité conduit ainsi à privilégier une politique équilibrée alliant transparence et protection de la vie privée, contrôle et responsabilisation, prévention renforcée et répression adaptée. Cette voie rationnelle est celle que le NMD a frayée à un niveau de granularité du « comment » qui se situe entre principes généraux et procédures opérationnelles, laissant au gouvernement une marge significative en termes de déclinaison plus fine du « comment » et de sa mise en œuvre. Prolongeant, dans l’esprit et la lettre, les orientations du NMD, les perspectives suivantes ont pour but de donner plus d’effectivité aux règles de droit et davantage d’efficience à l’action publique en matière de moralisation de la vie publique en générale et de prévention contre les situations de conflits d’intérêts:

(i) Revisiter le cadre juridique. Il s’agit d’abord de traiter au niveau de l’arsenal juridique les risques déontologiques non couverts comme les conflits d’intérêts et le lobbying. Outre la définition doctrinale et contextualisée de la notion de conflit d’intérêt, il convient de renforcer les règles d’inéligibilité ou d’incompatibilité en créant notamment une Chinese Wall entre le monde politique et celui des affaires, comme cela existe dans la plupart des pays démocratiques où les ministres ne peuvent exercer une activité professionnelle, rémunérée ou non, ni siéger au sein du conseil d’administration d’une société privée.

L’article 33 (activités de prises de participations et de gestion de valeurs mobilières) de la loi relative à l’organisation et à la conduite des travaux du gouvernement et au statut de ses membres, doit être abrogé. Un dispositif établissant une obligation de déport ou de dépaysement doit être institué, pour contraindre les ministres ou les hauts fonctionnaires à se récuser en cas de conflit d’intérêt. Des règles d’incompatibilité pour d’autres institutions publiques (Conseil de la concurrence, Cour des Comptes, INPPLC, CSPJ) doivent être définies. Il s’agit aussi de mettre en place l’obligation de déclaration d’intérêts et d’encadrer le cumul de fonctions et le pantouflage (exercice d’une activité privée à l’issue d’un mandat public ou d’une fonction publique en lien avec celle-ci).

La représentation d’intérêts privés dans le cadre d’une activité de lobbying, professionnelle ou occasionnelle, doit être encadrée et la transparence sur ce type d’activité doit être renforcée à travers des registres nominatifs publics obligatoires, comme il est nécessaire de mettre en place un cadre juridique destiné à lutter contre les emplois fictifs.

Le cadre juridique de moralisation de la vie publique et de lutte contre les prises illégales d’intérêts doit être étendu aux acteurs de la vie publique qui ne sont pas couverts par ce dispositif. La déclaration de patrimoine doit être étendue aux conjoints, sa périodicité doit devenir annuelle et faire l’objet d’une publicité pour certains responsables publics (ministres et élus). En cas de manquement aux obligations déclaratives, les sanctions doivent être renforcées. Les exceptions au droit d’accès à l’information doivent être réduites au minimum et être liées exclusivement aux exigences de sécurité nationale. Il convient de renforcer la transparence des attributions de marchés publics à travers l’accès à une base de données claire et exhaustive, et de mettre en place l’autosaisine pour la Commission nationale de la commande publique.

(ii) Renforcer le dispositif institutionnel. Il est nécessaire, à cet effet, de traiter les risques non-couverts (conflits d’intérêts, lobbying, pantouflage...) et de confier la responsabilité de la moralisation de la vie publique à une seule instance institutionnelle, qui pourrait idéalement être l’INPPLC et qui serait ainsi érigée en Autorité de déontologie de la vie publique. Il convient de garantir l’indépendance décisionnelle des instances chargées de la moralisation de la vie publique et de doter les institutions mandatées des moyens techniques et humains nécessaires pour la conduite de leurs missions. Les canaux d’instruction judiciaire des affaires liées à la moralisation de la vie publique doivent être définis, un corps de magistrats spécialisés dans le « droit de la moralisation de la vie publique » doit être formé, ou le cas échéant créé ex nihilo, avec une publication régulière de la jurisprudence des affaires traitées.

(iii) Instituer des règles spécifiques de prévention. Il s’agit d’instituer des règles et guidelines spécifiques aux différents acteurs et organisations de la vie publique en généralisant des outils d’éducation et de sensibilisation (chartes déontologiques, règlements intérieurs, codes de bonne conduite) et en organisant des formations et des actions ciblées pour sensibiliser les acteurs de la vie publique avant et pendant leur prise de fonction.

Des outils et des mécanismes de prévention spécifiques aux différentes organisations de la vie publique seront particulièrement utiles : serment, déclaration sur l’honneur, audition officielle, enquête préalable pour profils exposés, audits, etc. Des sanctions internes (sanction disciplinaire ou démission) en cas de non-respect des règles et « guidelines » spécifiques à l’organisation (y compris les règles d’exemplarité) sont nécessaires. Il s’agit aussi de renforcer la déontologie dans l’accès à l’information et dans son traitement, à travers la clarification du périmètre de l’investigation (notamment par les médias et les watchdogs/whistle-blowers) sur les sujets de moralisation de la vie publique pour éviter les risques d’atteinte à la vie privée et de diffamation.

(iv) Encadrer, protéger et renforcer les contre-pouvoirs. Il convient de préciser plus particulièrement les droits, obligations et sources de financements des acteurs concernés, ainsi que les conditions d’exercice de leur métier. Le périmètre d’information accessible doit être défini, tout comme doivent l’être également les modalités et canaux d’accès à l’information. Enfin, il est nécessaire de valoriser le travail des contre-pouvoirs auprès de l’opinion publique et de favoriser l’interaction avec les institutions de la vie démocratique et avec le gouvernement et le Parlement plus particulièrement.

(v) Rétablir la confiance. La moralisation de la vie publique en général et la lutte contre les conflits d’intérêts en particulier requièrent une véritable pragmatique de changement pour passer de la virtualité des textes à l’effectivité des politiques publiques et à l’exemplarité des comportements. L’enjeu est de taille. Relever cet enjeu permettra de rétablir la confiance des citoyens dans les institutions de l’État, la classe politique et les administrations publiques. On pourrait se demander pourquoi la problématique de la séparation entre la sphère politique et la sphère d’argent est devenue prégnante dans le débat public et pourquoi les principes d’impartialité, de probité et d’exemplarité des décideurs politiques ont pris une place prépondérante dans les jugements portés par les citoyens sur l’action du gouvernement. Dans Sphères de justice (Seuil, 1997), M. Walzer précise que l’équilibre social a pour fondement une séparation et une autonomie relative des « ordres » de pouvoir, économique et politique notamment. Toute contiguïté entre l’ordre des affaires privées et l’ordre des choix publics ne peut que conduire, en dernière instance, à une forme spécifique de tyrannie politique dans un cas, à un contrôle des moyens de domination par l’argent dans l’autre.

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