Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Webinaire diplomatique sino-américain

Le 25 mars 2022 à 15h46

Modifié 25 mars 2022 à 15h46

Bien avant le 18 mars, jour de la téléconférence entre le président américain Joe Biden et son homologue chinois Xi Jinping, la Maison Blanche avait lancé, à grand renfort médiatique, la tenue de cette rencontre, dans un contexte particulièrement grave. La guerre que mène la Russie à l’Ukraine risque de déstabiliser le monde, si des pressions ne sont pas exercées sur Moscou pour mettre un terme à son invasion.

En général, et pour plus d’efficacité, une telle réunion sensible est tenue secrète, et n’est révélée que le jour même, ou parfois plus tard. Son annonce prématurée et volontaire ne peut être expliquée que par les messages que la partie américaine voulait adresser soit à Moscou, soit à l’opinion publique américaine, ou aux deux. Pour Washington, le dialogue avec Pékin entre dans une démarche d’isoler au maximum la Russie de ses proches alliés.

Pour baliser le terrain à leur président, le secrétaire d’État Antony Blinken, comme le numéro deux de ce département Wendy Sherman, ont été fermes dans leurs déclarations à l’égard de la Chine. Le premier a déclaré que les États-Unis sont préoccupés par le fait que les chinois envisagent d’aider la Russie avec du matériel militaire qui serait utilisé en Ukraine. Sherman s’est adressée au parti communiste chinois, pour lui signifier que son avenir repose sur ses relations avec les États-Unis et l’Europe, mais pas avec Poutine.

Entamer un dialogue avec la Russie

Contrairement à la position ferme de sa diplomatie, le président américain a tenu, lors de ce webinaire, à signifier à son homologue chinois que les relations entre les deux pays peuvent s’inscrire dans une dynamique concurrentielle, mais doivent éviter les situations qui peuvent mener à des conflits imprévus, selon le porte-parole de la Maison blanche. En décrypté cela reviendrait à dire, que toute alliance de la Chine avec la Russie serait interprétée comme un alignement anti-américain.

L’objectif de Biden était de mettre en place des garde-fous, pour que les relations entre Washington et Pékin soient gérées de manière responsable et apaisée. L’impasse diplomatique dans laquelle les deux superpuissances se trouvent, depuis l’ère Trump, devient intenable et potentiellement dangereuse, maintenant que la guerre éclate en Europe entre russes et ukrainiens. Selon toute vraisemblance, cette téléconférence s’est limitée aux larges questions stratégiques entre les deux pays, pour mieux encadrer les relations bilatérales en ce temps de crise et, ce faisant, éviter tout dérapage.

Pour les chinois, leur démarche est toute autre. Le président Xi a fait savoir à son homologue américain que les conflits militaires ne sont dans l’intérêt de personne, et que la crise ukrainienne n’était pas quelque chose que Pékin souhaite. En tant que membres permanents du Conseil de Sécurité, Pékin a estimé qu’il incombe aux deux pays de conduire les relations sino-américaines sur la bonne voie. Le président chinois a souhaité que les deux nations puissent assumer leurs responsabilités en travaillant ensemble à la paix et à la tranquillité du monde.

Au-delà de ces positions, que les américains peuvent trouver alambiquées, les États-Unis sont conscients que la Chine entretient de bien meilleures relations avec Moscou qu’avec eux-mêmes. La Russie n’est pas seulement un pays avec qui Pékin a de longues frontières en partage, mais elle en est aussi plus proche idéologiquement. Le plus difficile à admettre pour Washington, est que ces deux adversaires les plus farouches, aient en commun une certaine hostilité envers les États-Unis qui veulent régenter le monde à leur manière.

C’est certainement pour cette raison que les responsables chinois ont tenu à désapprouver l’invasion russe de l’Ukraine sans pourtant la condamner comme le veut l’Occident. Le président russe s’est rendu à Pékin lors des jeux olympiques d’hiver qui se sont déroulés dans cette ville peu de temps avant l’entrée en guerre contre l’Ukraine. Il a eu l’occasion d’expliquer à son hôte ses intentions et les raisons de la présence de centaines de milliers de soldats russes sur les frontières avec l’Ukraine.

L’argumentaire classique de Poutine pour justifier l’invasion de l’Ukraine est la nécessité de protéger son pays contre l’expansion de l’Otan, explication qui trouve un certain écho favorable à Pékin. Pour cette raison, la Chine a appelé les États-Unis et l’Otan à entamer un dialogue avec la Russie pour étudier ces préoccupations de sécurité, et trouver des compromis qui puissent satisfaire les demandes des russes et des ukrainiens. Une chose est cependant sûre, Pékin est contre les sanctions économiques sans distinction qui pourraient paralyser l’économie mondiale et avoir peu d’effets sur les belligérants.

La Chine, dont l’objectif principal est de demeurer concentrée sur son expansion économique, n’a aucun intérêt à rejoindre la Russie dans sa croisade anti-Otan. Elle sait que toute alliance militaire avec Moscou lui serait fatale et mènera à un conflit global, dont personne ne peut prévoir l’issue, et surtout n’en sortira indemne. Les deux pays sont alliés depuis longtemps, et n’ont pas, pour autant, l’intention de se tourner le dos. Ce qui les lient, pour le moment, ce sont les politiques américaines agressives à leurs égards.

Renouer avec la Chine

En tenant cette entrevue avec Xi Jinping, le président Biden a voulu que certains de ses messages puissent arriver aux oreilles de Poutine, tout en poussant la Chine à mesurer les risques qu’elle encourt en cas d’alignement total sur les positions russes. Le porte-parole de la Maison blanche n’a-t-il pas déclaré que ce sont maintenant les actions de la Chine que nous allons scruter ? était-ce là, la bonne manière de demander l’implication de la Chine pour résoudre la crise ukrainienne ? Rien n’est moins sûr.

C’est face à l’impasse où se trouvent les États-Unis et l’Otan que Biden a compris l’importance de renouer avec la Chine en parlant directement à son président. Les tentatives de dialoguer avec des responsables chinois d’un niveau hiérarchique moins élevé, n’a pas donné des résultats probants, d’où la colère d’Antony Blinken à leur égard lors d’échanges tendus par le passé. La liste des désaccords entre les deux superpuissances s’allonge de plus en plus, et nécessite un dialogue permanent et sérieux.

La situation de Taiwan, la mer de chine méridionale, l’Indopacifique, et le dossier des droits de l’Homme sont parmi les grands sujets qui opposent les deux. Mais c’est sur le plan économique et stratégique que la concurrence est rude et impitoyable. Pour Pékin, les américains doivent évoluer, eux qui restent bloqués dans une mentalité issue de la guerre froide. Pékin exige tout d’abord que les deux pays se respectent, et surtout qu’ils se traitent sur un même pied d’égalité.

Washington comme Pékin maintiennent encore à ce jour un semblant de dialogue que les deux jugent serein. Il faut espérer que leur concurrence ne tourne pas à un facteur supplémentaire de chaos et de déstabilisation mondiale. Pour gérer ces difficultés et autres différences, ces mécanismes de dialogue entre Washington et Pékin semblent mieux fonctionner que ceux avec Moscou. Les webinaires ont été utiles durant la pandémie covid pour la croissance de l’économie mondiale, les voilà récupérés par la diplomatie internationale, et c’est tant mieux, pourvus qu’ils apaisent les tensions entre les puissants.

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